Par Bahassou Reda
Les images illustrant des scènes d’une rare violence sur les campus américains ont fait le tour de la planète: Ici et là des étudiants plaqués au sol à la manière de George Floyd, d’autres conduits manu militari vers des fourgons cellulaires, les bras attachés dans le dos par des Serflex, des barricades dressées à la lisère d’un camp de fortune jonché de toile de tentes, des policiers arborant des masques à gaz chargeant des militants drapés de keffieh, des échauffourées avec de part et d’autre, deux camps antagonistes scandant des slogans hostiles etc.
Sans rien nier de leur tradition contestataire depuis la guerre du Vietnam, les universités de Yale, Harvard, Princeton ou encore MIT sont rentrés en éruption pour dénoncer la guerre à Gaza et le soutien indéfectible et infaillible de l’administration Biden à Israël, responsable d’une véritable hécatombe à Gaza.
La revendication commune à l’ensemble des universités tient en un seul mot d’ordre. « Divest Israel », « Désinvestissez d’Israël » et qui se traduit par une mise à l’index des entreprises israéliennes, la condamnation du complexe militaro-industriel qui travaille conjointement avec Tsahal, ainsi que les géants de la Big Tech qui matérialisent l’occupation en territoires occupés, mais surtout l’urgence de mettre fin à la collaboration entre les universités américaines et les instituts de recherche liés au gouvernement israélien.
Les universités israéliennes, « sont profondément complices du système d’oppression israélien qui a refusé aux Palestiniens leurs droits fondamentaux garantis par le droit international, ou a entravé l’exercice de ces droits, y compris la liberté académique et le droit à l’éducation », dénonce pour sa part la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI).
Les universités israéliennes aménagent le temps des étudiants réservistes engagés à Gaza et elles constituent le laboratoire d’idées qui fonde la politique d’occupation et de domination des Palestiniens.
Sur le banc des accusés : l’Université de Tel-Aviv, l’Université d’Ariel, l’Université hébraïque de Jérusalem, l’Université d’Haïfa…
Dans l’enceinte de la première s’est élaborée la doctrine Dahiya, qui prescrit une annihilation totale et systématique des infrastructures ainsi que la maximisation des victimes civiles, pour briser toute velléité de résistance chez l’adversaire.
La première formulation publique de cette doctrine a eu lieu en octobre 2008, dans une interview à l’agence Reuters au cours de laquelle le général Eizenkot déclare : « Ce qui est arrivé au quartier Dahiya de Beyrouth en 2006 arrivera à tous les villages qui servent de base à des tirs contre Israël. […] Nous ferons un usage de la force disproportionné [sur ces zones] et y causerons de grands dommages et destructions. De notre point de vue, il ne s’agit pas de villages civils, mais de bases militaires. […] Il ne s’agit pas d’une recommandation, mais d’un plan, et il a été approuvé. […] S’en prendre à la population est le seul moyen de retenir Nasrallah ».
Fondée en 1982, L’université d’Ariel est au sionisme révisionniste incarné par Jabotinsky ce que l’école de Chicago par le truchement d’Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss est à la sociologie.
Son implantation en Cisjordanie près de Naplouse, hors des frontières internationalement reconnues d’Israël, esquisse de fait le nouveau tracé frontalier, une citadelle avancée derrière « les lignes ennemies ».
En conséquence, les universités de Valencia en Espagne, l’institut de Recherche Technologique (IRT) Antoine de Saint-Exupéry en France et L’université de Florence en Italie ont interrompu en 2021, toute collaboration avec Ariel, jugée partie prenante dans le conflit en contradiction flagrante avec l’esprit originel de l’Universitas par opposition à la morale bourgeoise, au clergé, à l’autoritarisme régalien et papal.
Dans les nouvelles directives adressées aux agences du gouvernement américain, le département d’État par la voix de Matthew Miller appelle à geler toute coopération avec les universités israéliennes implantées en Cisjordanie. « S’engager dans une coopération technologique et scientifique bilatérale avec Israël dans les zones géographiques passées sous administration d’Israël après 1967 et qui font toujours l’objet de négociations de statut final n’est pas en accord avec la politique étrangère des États-Unis » affirme-t-il
En URSS, les figures emblématique de la dissidence étaient Andreï Sakharov, Alexandre Soljenitsyne, Vassili Grossman… Elles avaient en commun une approche très critique à l’encontre de la nomenklatura sovietique en général et la machinerie étatique en particulier, aujourd’hui sous l’égide du Léviathan ethno confessionnel israélien, ils se nomment Nadera Shalhoub-Kevorkian, Zeev Sternhell, Ilan Pappé… autant de voix discordantes qui réclament à travers une relecture historiographique un réexamen du récit national et un détricotage des mythes fondateurs (Comment le peuple juif fut inventé, Shlomo Sand).
Tenez, l’université hébraïque de Jérusalem, a suspendu la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian de la Faculté de droit de l’université hébraïque de Jérusalem. Son crime ? Avoir brisé la loi du silence en appelant ouvertement à « l’abolition du sionisme ».
Sa plaidoirie est sans appel: « Ils sont prêts à utiliser n’importe quel mensonge », a-t-elle lancé. « Ils ont commencé avec des bébés, ont continué avec des viols, et ils poursuivront avec un million d’autres mensonges. Nous avons arrêté d’y croire et j’espère que le monde arrêtera d’y croire ».
Persécuté par l’administration de l’université d’Haïfa à cause de ses prises de positions peu conciliantes, Ilan Pappé, le chef de fil du courant des « nouveaux historiens », fut contraint à l’exil en Angleterre en 2007 où il officie à la fois en tant qu’enseignant en histoire à l’université d’Exeter et de dirigeant au Centre européen d’études sur la Palestine. Son oeuvre majeure s’intitule « Le nettoyage ethnique de la Palestine » dans lequel, il théorisa la notion de « génocide progressif » pratiqué par Israël dés sa création.
« Entre 1947 et 1949 », explique la note de La Fabrique, l’éditeur de l’ouvrage dans son édition du 10 mai 2023, « plus de 400 villages palestiniens ont été délibérément détruits, des populations civiles ont été massacrées et près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants ont été chassés de chez eux sous la menace des armes ». Et de poursuivre : « Ce nettoyage ethnique, que l’on appelle aussi la Nakba ou la catastrophe, a été passé sous silence pendant plus de soixante ans et peine encore aujourd’hui à être considéré dans sa pleine mesure ».
Une dérive académique qui culmine dans les propos attribués à Ariel Porat, juriste de formation et président de l’Université de Tel-Aviv, lequel mobilise non pas le droit, et encore moins la philosophie morale ou politique, mais puise dans l’Ancien Testament pour justifier l’épuration ethnique des Palestiniens.
Dans un discours prononcé le 7 novembre, il compare le Hamas à Amalek, et appelle sur lui tel un prêtre exorciste, l’antique imprécation : « Voici ce que nous apprend le livre du Deutéronome : ‘Rappelle-toi ce qu’Amalek t’a fait dans ton voyage hors d’Egypte’. Et voici le commandement divin au peuple d’Israël : ‘Tu effaceras la mémoire d’Amalek de sous le ciel. N’oublie pas’. Voilà ce qu’il faut faire au Hamas et je suis certain que c’est ce que l’État d’Israël fera ».
Les malédictions bibliques du Deutéronome à défaut de la jurisprudence, La prophétie d’Isaïe en lieu et place du Traité du gouvernement civil de John Locke et de la République de Platon. Voila les références idéologiques et les modèles identificatoires de la « seule démocratie du Moyen Orient ».
Dans le documentaire Au nom du Temple de Charles Enderlin, Zeev Sternhell dénonçait les soubassements idéologiques du discours messianique :
La droite, armée de son idéologie de conquête de la terre est partie à l’assaut et nous n’avons pas compris d’abord la profondeur de ses sentiments de nationalisme à la fois religieux et laïque, nous n’avons pas compris le sérieux de l’entreprise et c’est la raison pour laquelle nous avons laissé faire (…) Il faut arrêter cette poussée messianique vers le mont du Temple. Le mont du Temple, c’est les mosquées, les Arabes. Un point final. Un point c’est tout. Le fait qu’ils pensent qu’ils ont gagné ne peut pas constituer une permission de la part de l’État d’Israël. Il faut que l’État d’Israël montre qu’il n’accepte pas des activités qui mettront le feu aux poudres. Ce serait Israël, non seulement contre les Arabes palestiniens mais Israël non seulement contre le monde arabe mais contre l’Islam en général.
Pour conclure, et face à l’ampleur de la mobilisation sur les campus américains mais aussi au Canada, en Australie, en passant par la France, la Suisse, la Belgique, l’Espagne…certaines universités ont accédé aux demandes spécifiques des étudiants et qui s’articulent sur des thématique suivantes :
- Le désinvestissement avec effet immédiat des entreprises entretenant des liens avec Israël, sinon la mise en place d’un comité consultatif pour veiller au respect d’une charte éthique et pour plus de transparence.
- la création d’une chaire universitaire, pour promouvoir le narratif palestinien.
- La prise en charge d’étudiants palestiniens de premier cycle.
Une question reste néanmoins en suspens, où est le Hirak des universités arabes, sont-elles restées en marge de l’histoire ? Que font les dignitaires de l’institution d’enseignement sunnite d’Al Azhar, et les étudiants de L’université islamique de Médine ? Est-ce que la théologie de la libération de Mohammed Abduh, la Réforme, et l’esprit de la « disputatio », n’appartiennent plus au lexique de l’islam contemporain?
Auteur : Bahassou Reda
* Bahassou Reda est écrivain franco-marocain. Il a fait des études de sociologie à l'Université de Lorraine et il est l'auteur de l'essai Nass El-Ghiwane, les Rolling Stones de l’Afrique, paru à "La Croisée des Chemins" au Maroc.
18 mai 2024 – Communiqué par l’auteur