L’année écoulée a été épuisante pour Umm Abdeldaim Abu Lebdah… Son fils unique a disparu dans la péninsule du Sinaï, en Égypte, en août 2015 avec trois autres jeunes gens.
« Je vois le monde à travers les yeux de mon fils, son enlèvement a transformé ma vie en un enfer vivant”, nous dit cette mère âgée de 53 ans.
Disparition de 4 combattants de la résistance islamique
Les quatre hommes, membres d’une unité de commando naval du mouvement Hamas, ont été kidnappés par des hommes masqués juste après leur passage au terminal de Rafah alors qu’ils étaient entrés en Égypte et devaient se rendre à l’aéroport du Caire.
Son fils âgé de 25 ans, Abdeldaim, devait aller en Turquie poursuivre des études de troisième cycle en ingénierie. Les familles des quatre hommes disparus disent que le contact a été perdu le 19 août 2015, après que des hommes armés aient arrêté le bus dans lequel ils étaient montés à l’extérieur du terminal de Rafah.
A partir de là, leur sort reste inconnu.
“Il est vraiment mystérieux que le bus ait été pris dans une embuscade alors qu’il était escorté par des soldats égyptiens, et dans une zone qui se trouve entièrement sous contrôle et souveraineté de l’Égypte,” nous dit Mohammed Abu Libdah, l’oncle de Abdeldaim.
La crise a aggravé les tensions entre le Hamas, qui administre la bande de Gaza sous blocus, et le régime égyptien. Pendant des mois, les autorités égyptiennes ont nié toute implication dans la disparition des quatre hommes, faisant porter la responsabilité sur les groupes armés dans le Sinaï.
Une photo révèle que les quatre hommes seraient emprisonnés au Caire
Cependant, une photographie récemment divulguée montre Abdeldaim et un de ses amis, Yasser Zanoun, emprisonnés dans un centre de la sécurité égyptienne au Caire.
La confirmation apparente qu’ils sont en vie a partiellement réconforté les familles des disparus, mais ce que l’on voit d’eux sur la photo – épuisés et à demi-nus dans une cellule surpeuplée – est très pénible à voir, dit la mère de Abdeldaim. Après avoir vu la photo, elle s’est effondrée et a dû être transportée à l’hôpital.
Deux mois plus tôt, le Hamas avait envoyé une délégation au Caire pour en savoir davantage sur les quatre jeunes gens. La délégation a demandé à des responsables du renseignement égyptien de révéler où ils se trouvaient, mais le voyage a été en vain.
Yahia Mousa, un parlementaire du Hamas, nous a déclaré que les organisations internationales et les ambassadeurs étrangers – dont ils ne voulait pas communiquer les identités – ont également exhorté l’Égypte à trouver une solution à la situation, mais peu de progrès ont été accomplis.
Chantage des Égyptiens
« L’attitude égyptienne suggère que le Hamas doit payer un prix en échange de toute information concernant ces hommes », a déclaré Mousa, suggérant aussi que l’Égypte a reconnu indirectement retenir les quatre hommes comme otages politiques et vouloir imposer des conditions à leur libération.
Ces conditions, selon Mousa, sont liées aux accusations de l’Égypte selon lesquelles le Hamas soutient les combattants armés anti-gouvernementaux dans le Sinaï – des accusations toujours niées catégoriquement par l’organisation palestinienne. L’Égypte presse le Hamas de se joindre à l’armée égyptienne dans la lutte contre les combattants, a-t-il dit, tout en précisant : “Nous ne sommes pas prêts à nous battre et à entrer en conflit avec ces groupes pour le compte de l’armée égyptienne.”
Selon les médias locaux, les responsables égyptiens ont affirmé qu’ils ne savaient rien sur le sort des disparus, ni si un groupe avait revendiqué la responsabilité de leur enlèvement présumé. Cependant, plusieurs médias en langue arabe ont cité un responsable de la sécurité resté anonyme affirmant que le groupe Province du Sinaï – un groupe combattant affilié à l’État islamique – avait enlevé les quatre hommes pour en faire une monnaie d’échange dans des négociations pour la libération de 50 islamistes égyptiens qui seraient retenus dans les prisons de Gaza.
En juin dernier, un tribunal égyptien a annulé une décision prise précédemment et étiquetant le Hamas comme groupe terroriste. Cette décision a laissé croire que les relations entre l’Égypte et le Hamas pourraient s’améliorer.
La famille de Yasser Zanoun a exprimé l’espoir que la photo nouvellement diffusée pourrait enfin mettre un terme à la crise.
Un appel des familles
“Nous appelons les Égyptiens à traiter la question rapidement, et s’ils sont sûrs qu’ils ont des charges contre nos fils, pourquoi ne pas les publier devant tout le monde ?” nous dit Jihad, le frère de Yasser.
Yasser, qui devait quitter Gaza pour la Turquie et y suivre un traitement pour une blessure à la jambe, avait franchi la frontière au cours d’une des rares ouvertures du terminal de Rafah. Son enlèvement a affligé la famille, y compris son fils âgé de quatre ans, Mahmoud, qui refuse de se séparer de la photo de son père qu’il garde dans sa main, nous raconte Jihad.
Les familles des deux autres hommes – Husain Abu Zibdah et Abdullah Abu Jabin – qui ne sont pas représentés sur la photo – sont incertains de leur sort. Islam, le fils de Husain, âgé de 6 ans et qui est sur le point de commencer l’école, a exprimé sa consternation que son père ne serait pas en mesure de l’accompagner le premier jour.
« Nous ne savons vraiment pas comment expliquer la situation à ses jeunes enfants,” nous dit Anwar, le frère de Husain.
Au cours de l’année écoulée, les quatre familles ont organisé plusieurs manifestations et monté une campagne publique de sensibilisation à leur situation, demandant à l’Autorité palestinienne (AP) d’intervenir.
Rôle trouble de l’Autorité de Ramallah
Mais les familles étaient furieuses lorsque le président de l’AP Mahmoud Abbas, a ordonné en décembre à l’ex-ministre de la Justice Saleem al-Saqqa de démissionner, après que celui-ci ait demandé aux Égyptiens d’enquêter sur la disparition des quatre jeunes gens.
Contacté par Al Jazeera, le porte-parole de l’Autorité palestinienne a refusé de commenter l’affaire.
Les familles des quatre hommes, quant à elles, craignent fortement que l’atmosphère politique empoisonnée fasse que la crise se prolonge indéfiniment.
“Nous voulons que nos fils reviennent. Il est injuste que nous endurions une telle épreuve pendant qu’ils [les responsables égyptiens] calculent comment ils peuvent tirer le meilleur parti de la crise,” nous dit d’une voix brisée Umm Abdeldaim.
7 septembre 2016 – Al-Jazeera