Par Haidar Eid
Je suis né dans le camp de réfugiés de Nuseirat et il a fait de moi ce que je suis. Le massacre de Nuseirat ne sera pas le dernier à Gaza, mais comme tous les massacres commis par des colonialistes, il constituera un jalon dans notre longue marche vers la liberté qui ne sera pas oublié.
Je suis née dans le camp de réfugiés de Nuseirat ; tous mes frères et sœurs y sont également nés. Mon père, ma sœur et mon frère sont enterrés dans deux de ses cimetières. La quasi-totalité du clan Eid y vit encore, et ceux qui ont été massacrés par la machine à tuer génocidaire d’Israël y sont enterrés.
Des centaines de mes étudiants sont originaires de cette région. Je connais presque toutes les rues du camp ; je connais les visages de ses habitants, qui sont tous des réfugiés de villes et de villages effacés par l’apartheid israélien en 1948.
Nuseirat, l’un des huit camps de réfugiés de Gaza, est devenu un élément majeur de ma conscience nationale et de classe, un lieu à la fois de dénuement et de révolution.
Au début des années 1970, j’étais un petit enfant lorsque j’ai entendu parler des affrontements entre les fida’iyyin, nos surhommes, et les « méchants » sionistes.
Les histoires d’héroïsme et de martyre pour défendre le camp et un pays perdu appelé Falasteen étaient discutées par la famille, les proches, les voisins et les amis – tous des réfugiés du sud du « pays des oranges tristes », comme l’a dit notre géant intellectuel, Ghassan Kanafani.
Un lien a été créé entre le village de Zarnouqa, d’où mes parents ont été expulsés par des voyous sionistes avec des milliers d’autres villageois en 1948, et Nuseirat.
Le dialecte de Zarnouqa/Nuseirat est devenu pour moi la forme correcte de l’arabe parlé ; ses bortoqal (oranges), me disait-on, étaient les meilleures du monde entier (parfois, l’orateur reconnaissait qu’elles n’avaient rien à envier à celles de Jaffa !).
Ces vergers d’orangers ont été replantés autour de Nuseirat jusqu’à ce que l’Israël de l’apartheid décide de les déraciner tous pendant la première Intifada de la fin des années 1980 et du début des années 1990.
J’écris cet article quelques heures après que l’Israël génocidaire a tué 274 personnes et blessé plus de 400 beaux et belles Nuseirati(e)s, dont beaucoup sont des membres de ma famille, des amis et des étudiants, et ce uniquement pour sauver quatre de ses captifs.
Soixante-quatre des victimes étaient des enfants et 57 des femmes.
Ceux qui ont été brutalement assassinés se rendaient au souk du camp ou en revenaient, prenaient leur petit-déjeuner, jouaient dans la rue, se rendaient à l’hôpital Al-Awda, préparaient à manger et rendaient visite à leurs parents et amis, c’est-à-dire que le moment a été soigneusement choisi pour tuer le plus grand nombre de personnes possible.
Quand le génocidaire Biden sera-t-il satisfait ? Combien d’enfants devront encore perdre des membres ou être tués ? Combien de mères devront être assassinées ou perdre leurs enfants pour que l’Occident colonial, États-Unis en tête, soit convaincu qu’il est temps d’instaurer un cessez-le-feu ?
De toute évidence, les 37 000 morts, dont 15 000 enfants et 11 000 femmes, et plus de 11 000 sous les décombres, ne suffisent pas.
Que dire de la destruction de 70 % de l’ensemble de la bande de Gaza ? L’assassinat de centaines d’universitaires, de médecins et de journalistes ? L’effacement de familles entières des registres d’état civil ? La fermeture de ses sept portes d’accès ? La mort par la faim de celles et de ceux qui refusent de partir ou de mourir ?
Non, ce n’est pas suffisant.
Gaza est en train d’être anéantie en temps réel sous les yeux du monde entier. En fait, Gaza a marqué le début de la fin des « droits de l’homme » tels qu’ils sont définis et monopolisés par l’Occident colonial.
Ni la Cour internationale de justice, ni la Cour pénale internationale, ni l’Assemblée générale des Nations unies et son Conseil de sécurité n’ont été en mesure d’arrêter le génocide et de protéger mon Nuseirat. Et pourquoi ?
Uniquement parce que quelques Palestiniens de souche brune ont réussi à s’échapper de Gaza après plus d’une décennie et demie de vie sous un blocus terrestre, aérien et maritime total dans la plus grande prison à ciel ouvert de la planète ! Comment osent-ils briser l’image d’invincibilité militaire d’Israël et de l’Occident colonial ?
Nuseirat est un microcosme du génocide. La vie de quatre Israéliens blancs ashkénazes équivaut à celle de 274 pères, mères, médecins et enfants autochtones. Le monde blanc célèbre cette « victoire » sans se soucier des « dommages collatéraux », tant que les victimes ne sont pas comme « nous », les dieux blancs de ce monde injuste.
Le massacre de Nuseirat n’est pas un moment de victoire après lequel Benjamin Netanyahu et sa bande de voyous fascistes peuvent s’arrêter. Il y aura d’autres massacres commis par les mêmes colonisateurs assoiffés de sang.
Mais Nuseirat, comme tous les massacres commis par les colonialistes, que ce soit en Algérie, en Afrique du Sud, en Irlande ou dans d’autres colonies de peuplement, sera un point de repère dans notre longue marche vers la liberté.
Seuls ceux qui se tiennent du bon côté de l’Histoire peuvent lire les signes.
Auteur : Haidar Eid
* Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger.Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.Son compte twitter.
9 juin 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine