Par Tareq S. Hajjaj
Les États-Unis ont déclaré qu’ils construisaient une jetée flottante au large de la côte de Gaza pour acheminer l’aide humanitaire à la population du territoire assiégé. Cependant, la véritable raison de son existence est de protéger les intérêts américains dans la région.
Le Trident, un « quai flottant » construit par les États-Unis au large de la côte de Gaza, qui devrait permettre d’acheminer plus de 150 camions d’aide humanitaire à Gaza une fois qu’il sera pleinement opérationnel, est hors service depuis des semaines.
L’infrastructure du port a été endommagée dans des circonstances météorologiques peu claires et, le 15 juin, le Commandement central des États-Unis a publié un communiqué indiquant que « la jetée temporaire sera retirée de sa position ancrée à Gaza et remorquée jusqu’à Ashdod, en Israël » en raison de la haute mer attendue.
« La décision de déplacer temporairement la jetée n’est pas prise à la légère, mais elle est nécessaire pour s’assurer que la jetée temporaire puisse continuer à fournir de l’aide à l’avenir », peut-on lire dans le communiqué.
Malgré cela, la jetée flottante semble avoir servi de centre de commandement conjoint pour les forces israéliennes et américaines lors de l’invasion et du massacre du camp de réfugiés de Nuseirat le 8 juin, qui a vu la récupération de quatre captifs israéliens.
Les dommages qui ont rendu le Trident inutilisable sont apparemment dus aux fortes vagues qui ont touché certaines parties du port et quatre navires de la marine américaine, selon le commandement central des États-Unis.
Sur le terrain, les Palestiniens pensent que des groupes de résistance ont visé le port américain avec des obus de mortier, mais aucune organisation de la résistance à Gaza n’a revendiqué la responsabilité d’une quelconque attaque contre le port. Aucune autre information n’est venue confirmer ces spéculations.
Mais une chose devient plus claire. Le Trident semble être utilisé pour faciliter les invasions de l’armée israélienne dans toute la bande de Gaza.
Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme en Palestine, a déclaré qu’Israël avait « perfidement » utilisé des camions d’aide comme couverture lors de l’invasion de Nuseirat, qualifiant cela de « camouflage humanitaire » à un autre niveau.
En vertu du droit international, la perfidie, ou le fait de « feindre le statut de civil ou de non-combattant », est considérée comme un crime de guerre.
Gaza redoute que le port flottant américain ne serve à l’expulsion des Palestiniens
Plusieurs organisations palestiniennes ont rejeté la présence du port américain sur les côtes de Gaza, tandis qu’au niveau populaire, des militants se sont moqués du port et ont fait circuler des photos de véhicules blindés américains de type Hummer à l’embarcadère.
Certains ont ironisé en disant que ces Jeeps blindées devaient être là pour protéger les haricots en conserve, la sauce et les denrées alimentaires.
Le bureau des médias du gouvernement de la bande de Gaza a publié un communiqué de presse sur le port américain, qui est officiellement entré en service le 17 mai, avant que les conditions météorologiques ne le rendent inutilisable.
Le communiqué indique que l’administration américaine tente d’embellir son visage hideux et de paraître civilisée en établissant un quai pour l’acheminement de l’aide humanitaire.
« Les États-Unis affirment que l’objectif est d’apporter de l’aide humanitaire et de la nourriture à notre peuple palestinien dans la bande de Gaza, qui est exposé à des politiques de famine, de déplacement forcé et de génocide menées par l’armée israélienne avec la participation, l’implication et la bénédiction de l’administration américaine », précise le communiqué.
La déclaration met en doute les intentions de l’administration américaine, affirmant que le Trident est loin de couvrir les besoins alimentaires du peuple palestinien à Gaza.
« Le port ne mettra pas fin à la famine », précise le communiqué. « Au contraire, il permettra à l’occupation israélienne de prolonger cette guerre qui a tout dévoré. »
Lorsque la construction du port a été annoncée pour la première fois en mars, les États-Unis ont promis que les forces américaines n’entreraient pas dans la bande de Gaza.
M. Biden avait alors déclaré qu’il n’y aurait « pas de bottes sur le terrain » et que la présence de l’armée américaine ne servirait qu’à faciliter l’acheminement de l’aide.
L’aide parviendrait à Chypre par voie aérienne ou maritime, où elle serait strictement inspectée par des douaniers chypriotes, des équipes israéliennes et américaines et des représentants des Nations unies, avant d’être chargée sur des navires commerciaux et de parcourir 320 kilomètres jusqu’au Trident.
Les organisations humanitaires des Nations unies recevraient alors l’aide et la distribueraient dans leurs installations près de la côte de Gaza. Après la livraison du premier lot de nourriture par le port américain en mai, le Programme alimentaire mondial des Nations unies a assumé la responsabilité de la distribution de l’aide à l’intérieur de la bande de Gaza.
Les activités du PAM ont toutefois été suspendues en raison des inquiétudes concernant la sécurité de ses équipes.
Cette opération logistique coûteuse et complexe a été conçue par l’administration américaine comme un moyen de contourner la politique israélienne de famine et de blocage systématique de l’aide par les points de passage terrestres habituels de Gaza, lesquels sont beaucoup plus efficaces et performants.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a déclaré que Gaza ne devrait pas dépendre d’un dock flottant coûteux qui est facilement endommagé par les conditions maritimes.
L’OCHA a souligné que les voies terrestres restaient le moyen le plus pratique d’acheminer l’aide à la population de Gaza.
Un port baigné de sang
Pendant la guerre génocidaire en cours, l’armée israélienne a détruit des villes entières. Plus de 80 % de la ville de Gaza a été rasée. D’autres parties du nord de Gaza et de Khan Younis ont également été lourdement touchées et continuent de l’être.
Quand l’Occident qualifie de « succès » le massacre de 270 Palestiniens
Avec plus de 13 000 personnes disparues à Gaza, toujours enterrées sous les décombres, les Palestiniens affirment que le port flottant, que l’armée israélienne a rempli avec les ruines des maisons détruites dans la bande de Gaza, signifie que l’aide humanitaire passe par un port trempé dans le sang.
Lorsque Joe Biden a annoncé la construction du port, l’armée israélienne a commencé à ramasser les décombres des maisons de la bande de Gaza et à les placer dans la zone de construction du port afin que les ruines servent de pont pour l’arrivée des camions d’aide américains.
L’analyste politique et écrivain Nasser Eliwa soulève une question essentielle concernant le port américain : quelle est le vrai but des Etats-Unis ?
« Gaza représente aujourd’hui une forte concentration [d’intérêts] pour l’administration américaine dans le contexte du futur conflit pour la domination », a déclaré Eliwa à Mondoweiss. « Les États-Unis considèrent Gaza comme la dernière étape d’une ligne de communication qui s’étend entre l’Inde, l’Asie, le golfe Persique et la mer Méditerranée. C’est un port et un lieu de collecte, de réexportation et de réhabilitation du gaz pour l’Europe. C’est aussi un port de réserve pour ses flottes et ses porte-avions ».
« C’est ce que veulent les États-Unis », affirme M. Eliwa. « Ils veulent une base permanente en Méditerranée orientale. »
Eliwa explique que trois objectifs principaux motivent la politique américaine à l’égard de Gaza :
- Premièrement, ils veulent permettre à Gaza de fonctionner comme une base pour les flottes navales qui alimentent et financent le port de Haïfa, ou comme une base alternative en cas de changement politique en Israël.
- Deuxièmement, Gaza constitue un point de stockage et distribution pour le gaz, que ce soit dans la mer Méditerranée ou à partir de ce qui vient du Golfe vers la côte méditerranéenne. « Dans le commerce du gaz, la sécurité de l’acheminement du gaz vers l’Europe est essentielle », explique Eliwa. « L’Amérique sera donc un gardien de l’Europe. »
- Troisièmement, Gaza sera en aval du canal de la mer Rouge, qui est accessible à travers le Wadi Gaza. « Gaza est aujourd’hui la nouvelle terre que l’Amérique occupe ouvertement et clairement, et ce port n’est que la première étape de ce plan », a déclaré Eliwa.
Le port américain peut donc être considéré comme la première étape d’un processus de transformation de la géographie politique de la bande de Gaza.
Eliwa explique que la jetée flottante deviendra bientôt un port géant, et qu’il n’est pas improbable que les pays arabes le supervisent en échange de la reconstruction de Gaza.
Il explique que la présence du port faciliterait la fermeture de tous les points de passage de Gaza, éliminant ainsi la dépendance de la population civile à l’égard des autres points de passage terrestres.
Selon Eliwa, Gaza dispose désormais d’un point d’entrée indépendant pour les États-Unis, qui peuvent débarquer des forces militaires, des secours, de la nourriture et du matériel commercial dans la bande de Gaza.
En début de semaine, Mondoweiss a publié un rapport citant une source de renseignements au sein de la résistance de Gaza, qui pense que le Trident sera finalement utilisé pour faciliter l’expulsion des Palestiniens de Gaza sous des prétextes humanitaires.
Ces craintes sont partagées par les habitants de Gaza. Beaucoup s’attendent à ce que le port facilite le processus de déplacement des habitants de la bande de Gaza par la mer, ce qui est prévisible si la guerre se poursuit et que le port américain sert de moyen de transport.
« Si ce port permet aux gens de circuler librement, des milliers d’habitants de la bande de Gaza voudront voyager et revenir pour faire du commerce, étudier ou visiter leurs proches », a déclaré M. Eliwa. « Si ce port continue d’exister, il changera le statut de la bande de Gaza d’un point de vue géostratégique. »
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
14 juin 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine