Par Nur Arafeh
Israël a utilisé les 50 dernières années d’occupation pour façonner l’économie palestinienne en fonction de ses propres intérêts.
Bien que l’on répète que le président américain Donald Trump pourrait abandonner l’idée de négociations de paix israélo-palestiniennes après les réunions infructueuses du conseiller principal de la Maison Blanche Jared Kushner à Jérusalem et Ramallah, certaines politiques proposées par Trump sont indépendamment susceptibles de se poursuivre. Par exemple, Trump a récemment déclaré qu’il se félicitait des mesures visant à “débloquer l’économie palestinienne”.
Ces mesures, approuvées par Israël, comprennent l’amélioration des possibilités de circulation des Palestiniens entre la Jordanie et la Cisjordanie, l’attribution de terres occupées par des colons israéliens en Cisjordanie pour un usage résidentiel, agricole et industriel palestinien, le développement de deux zones industrielles, et enfin l’augmentation des heures d’ouverture aux barrages militaires entre la Cisjordanie et Israël pour faciliter le déplacement des Palestiniens.
Dans l’intervalle, Israël continue de placer la bande de Gaza sous sa domination économique. Le territoire sous blocus souffre actuellement d’une crise très invalidante de fourniture électrique.
De telles mesures économiques, du moins en ce qui concerne la Cisjordanie, reposent sur l’hypothèse que le manque de prospérité des Palestiniens est la principale source du conflit. La prétention inhérente est que le succès économique et les projets économiques conjoints entre Israéliens et Palestiniens amélioreront la vie Des Palestiniens et ouvriront la voie à la paix.
Depuis les années 1970, les responsables israéliens, ainsi que les États-Unis et d’autres dirigeants à l’échelle internationale qui ont mené les négociations, ont favorisé une telle approche de “paix économique”.
Benjamin Netanyahu, qui y était tout d’abord opposé en tant que leader du parti Likoud, a fortement défendu cette approche en 2008, et depuis lors, la communauté internationale a de plus en plus promu l’idée qu’il existe un antidote économique contre l’impasse politique.
Mais considérer le développement économique comme le cheval et une paix juste comme le chariot ne fait qu’exacerber l’impasse politique, puisque le symptôme – la privation économique – est confondue avec la cause, à savoir l’occupation israélienne et la domination militaire.
En outre, cette approche déconnecte l’économie de son contexte historique et obscurcit le fait que “l’économie palestinienne” est une construction politique intégrée dans les politiques d’occupation d’Israël, qui visent à exproprier les terres palestiniennes et à étendre un État exclusivement juif – tout en dominant l’économie palestinienne dans le processus.
Le 5 juin a marqué 50 ans d’occupation israélienne. Les cinq dernières décennies témoignent largement de l’utilisation par Israël de l’économie comme outil de domination sur le territoire occupé, conformément à ses intérêts politiques et stratégiques.
Après l’occupation de la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza en 1967, Israël a cherché à intégrer l’économie des territoires occupés dans son propre territoire, tout en permettant une expropriation maximale des terres.
Israël a contrôlé le commerce pour servir ses intérêts, en veillant par exemple à ce que ses produits aient librement accès au marché palestinien, alors que les produits palestiniens avaient peu accès au marché israélien.
Le marché palestinien est devenu captif pour les produits israéliens. En 1984, les produits israéliens représentaient 89,3% des importations de la Cisjordanie.
Israël a également intégré l’économie des territoires occupés dans son propre marché du travail. Entre 1967 et 1990, 35 à 40% des ouvriers palestiniens travaillaient en Israël.
Bien qu’ils aient contribué au doublement du revenu par habitant palestinien entre 1970 et 1987, cela s’est accompagné d’une baisse de la productivité de l’économie des territoires occupés.
Alors que le revenu augmentait, la production industrielle stagnait, la production agriculture baissait et des restrictions ont été imposées par Israël au développement des entreprises palestiniennes qui risquaient de rivaliser avec les siennes.
Le résultat ? Toute “croissance” dans l’économie des territoires occupés était faussée, car elle était liée à l’offre et à la demande israélienne plutôt que palestinienne, et l’économie ne fonctionnait que par l’accès au marché du travail israélien et à d’autres sources de revenus externes.
Les restrictions imposées par Israël à l’accès des Palestiniens aux ressources naturelles ont exacerbé ce problème, en particulier avec l’expansion israélienne des colonies illégales construites sur les terres palestiniennes volées, ce qui viole la politique américaine officielle de longue date et le droit international.
En 1993, l’économie des territoires occupés était structurellement faible, déséquilibrée et fortement dépendante d’Israël.
Les négociations d’Oslo ont solidifié les intérêts politiques et les ambitions territoriales d’Israël et façonné les accords économiques.
Le Protocole économique de Paris de 1994 a systématisé les relations financières et économiques entre l’Autorité palestinienne et Israël. Il a approfondi la dépendance palestinienne vis-à-vis du commerce israélien ainsi que des politiques monétaires et fiscales, et a confié à Israël le contrôle du mouvement de la main-d’œuvre et des revenus palestiniens.
Dans le même temps, il a conditionné le développement économique palestinien aux exigences sécuritaires et territoriales d’Israël.
Par exemple, le Protocole stipulait une relation d’union douanière entre les Palestiniens et les Israéliens, plutôt que la zone de libre-échange demandée par les Palestiniens. Cet arrangement permet à Israël de reporter la question des frontières et contourne ainsi la question de savoir s’il faut intégrer ou séparer les territoires occupés.
En fait, une union douanière n’entraîne ni la délimitation des frontières intérieures – et donc l’établissement d’une entité économique et politique palestinienne souveraine – ni l’élimination totale des frontières, permettant à Israël de maintenir le statu quo et de poursuivre avec un gain maximum une “solution de non-État“.
L’acceptation palestinienne de cet arrangement était une condition préalable au maintien des flux de main-d’œuvre palestinienne en Israël.
L’union douanière a également perpétué le flux illimité de biens israéliens sur le marché palestinien, alors que des restrictions sévères sont imposées sur le mouvement des biens palestiniens entre les territoires occupés et Israël et à l’intérieur même des territoires occupés.
Par conséquent, le marché palestinien reste captif pour les biens israéliens. Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, les produits israéliens représentaient plus de 70% des importations palestiniennes et ont absorbé plus de 85% des exportations palestiniennes en 2015.
Les tentatives postérieures d’Oslo visant à redéfinir les frontières territoriales et économiques avec la Cisjordanie et la bande de Gaza ont également affecté les accords sur la main-d’œuvre.
En Cisjordanie occupée, les Palestiniens ont toujours accès au marché du travail israélien, ce qui reflète la stratégie d’Israël consistant à intégrer des parties de la Cisjordanie en Israël tout en évitant une délimitation des frontières.
En revanche, Israël a restreint les flux de main-d’œuvre venant de la bande de Gaza, qu’il a placés sous blocus depuis une décennie, ce qui suggère un projet de séparation entre les économies israélienne et de Gaza.
Tous ces éléments attestent de la nature erronée de l’affirmation selon laquelle le “développement économique” peut conduire à la paix.
L'”économie palestinienne”» est une construction politique, conçue pour servir celui qui a le pouvoir : Israël.
Tous les changements économiques qui ne remettent pas en cause la structure biaisée de pouvoir qui sous-tend ce système servent de fenêtre, servent de paravent à ce qu’est la réalité : les Palestiniens et leur économie sont à la merci des intérêts israéliens.
Auteur : Nur Arafeh
* Nur Arafeh est chargée de la politique d’Al-Shabaka : le réseau politique palestinien. Elle a travaillé auparavant comme chercheur à la Faculté d’études internationales Ibrahim Abu-Lughod, à l’Université de Birzeit, en tant que chercheur associé à l’Institut de recherche de politique économique de Palestine (MAS), en tant que chargé de cours d’économie à la Faculté Al-Quds Bard de l’Univerité Al-Quds. Nur est titulaire d’un double diplôme en sciences politiques et en économie de l’Université Sciences-Po (France) et l’Université de Colombia (USA) et elle est titulaire d’un DEA en études du développement de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni). Ses principaux centres d’intérêt de recherche portent sur l’économie politique du développement au Moyen-Orient, la sociologie et la politique de développement et les formes économiques de résistance.
6 juillet 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah