Par Tariq Dana
Alors que le régime israélien poursuit son génocide à Gaza, d’importantes négociations visant à formaliser et à améliorer les vieilles relations secrètes de l’Arabie saoudite avec Israël se poursuivent. Tout en essayant de définir les paramètres d’un accord de cessez-le-feu, l’administration Biden a également redoublé d’efforts pour négocier un accord historique entre les deux pays.
Cet article se penche sur la manière dont les intérêts des États-Unis, de l’Arabie saoudite et d’Israël se renforcent mutuellement, pour nourrit l’accord envisagé, ainsi que sur la solidarité feinte de l’Arabie saoudite avec la lutte des Palestiniens ; il replace l’accord de normalisation dans le contexte d’une dynamique régionale changeante.
Intérêts américains et israéliens : Une alliance sécuritaire en mutation
Washington aspire depuis longtemps à ce que l’Arabie saoudite embrasse officiellement Israël. La loi bipartisane sur la normalisation des relations avec Israël, adoptée par le Congrès en mars 2022, souligne cet objectif et enjoint au département d’État de poursuivre la normalisation arabe avec Israël sur la base des accords d’Abraham de l’ère Trump.
Comment les dictatures arabes sauvent la mise à l’état génocidaire
Parmi tous les partenaires possibles, l’Arabie saoudite est celui qui correspond le mieux aux intérêts américains et israéliens. Les États-Unis s’efforcent de faire d’Israël le principal pilier militaire et économique de l’ordre régional qu’ils dirigent.
Ils veulent qu’Israël devienne la plaque tournante d’une coalition anti-iranienne impliquant l’Arabie saoudite et d’autres partenaires des accords d’Abraham.
Il est très important de comprendre que les relations entre l’Arabie saoudite et Israël sont une initiative calculée pour cultiver de nouvelles alliances en matière de sécurité dans un contexte de rivalités croissantes entre les puissances mondiales.
Un pacte de défense américano-saoudien, qui est au cœur des pourparlers de normalisation en cours avec Israël, répond directement à cet objectif. Selon les termes de ce pacte les États-Unis s’engageraient à défendre l’Arabie saoudite et à lui vendre des armes américaines.
Ce faisant, l’accord renforcerait les relations militaires américano-saoudiennes et contribuerait simultanément à contrecarrer la coopération de Riyad avec la Chine en matière de sécurité.
Mais, en dépit des intérêts régionaux, les États-Unis ont conditionné tout accord de ce type avec l’Arabie saoudite à la normalisation des relations de cette dernière avec Israël. Le message adressé à l’Arabie saoudite est donc clair : une alliance avec Israël est une condition préalable à la protection des États-Unis.
Masquer l’abandon saoudien de la Palestine
Le régime saoudien formule ostensiblement un certain nombre d’exigences liées à la Palestine dans le cadre des négociations sur la normalisation. Les demandes de Riyad comprendraient un cessez-le-feu permanent à Gaza et une « voie » vers la création d’un État palestinien.
Le calendrier de la création d’un État n’est toutefois pas clair et le régime israélien poserait certainement des conditions qui permettraient de la repousser indéfiniment.
La tentative de l’Arabie saoudite de lier la normalisation israélienne à la création d’un État palestinien vise sans aucun doute à fournir une couverture politique à ceux qui pourraient accuser le royaume d’abandonner la cause palestinienne.
En réalité, la normalisation avec Israël serait la continuation – et non le début – de l’abandon de la lutte palestinienne et de l’acceptation de facto du statu quo colonial des occupants israéliens par l’Arabie Saoudite.
En effet, les fruits de la relation informelle que l’Arabie saoudite entretient depuis des décennies avec le régime israélien sont actuellement manifestes à travers la répression de la solidarité nationale avec la Palestine et l’intensification de la propagande anti-palestinienne dans sa couverture médiatique du génocide.
La dictature saoudienne s’attaque à la résistance palestinienne
Le nouveau programme scolaire saoudien est même allé jusqu’à supprimer le nom « Palestine » des cartes des manuels scolaires.
Malgré ces efforts systématiques pour modifier l’attitude du public à l’égard du colonialisme israélien, le régime saoudien a bien du mal à convaincre sa population.
Une enquête récente du Centre arabe pour la recherche et les études politiques a révélé que 95 % du public saoudien considère la cause palestinienne comme une question arabe centrale.
Un sondage réalisé en 2023 par l’Institut pro-israélien de Washington pour la politique du Proche-Orient indique également que 96 % des citoyens saoudiens sont opposés à la normalisation et pensent que les pays arabes devraient couper tous les liens avec Israël.
Adhésion aux « accords d’Abraham »
Si un accord de normalisation israélo-saoudien est conclu, il sera probablement intégré dans les accords d’Abraham.
L’entrée officielle de l’Arabie saoudite dans ce système d’accords comporte des ramifications importantes et dangereuses pour la Palestine et l’ensemble de la région.
En effet, l’immense puissance financière et le poids symbolique du royaume dans les mondes arabe et musulman pourraient engendrer un effet domino. La participation saoudienne, doublée d’incitations économiques ou de pressions politiques, pourrait pousser d’autres nations arabes et musulmanes à rejoindre cette alliance.
Même si un accord formel de normalisation israélo-saoudien ne pourra voir le jour qu’après l’entrée en fonction du prochain président américain en 2025, la détermination de l’Arabie saoudite à légitimer un régime largement décrié semble complètement déconnectée de la réalité mondiale.
Alors qu’une grande partie du monde a pris conscience des objectifs génocidaires et coloniaux d’Israël, la volonté obstinée de Riyad de normaliser ses relations avec l’Etat hébreu permet de douter de sa rationalité et de ses facultés stratégiques, sans parler de la solidarité avec la cause palestinienne.
Auteur : Tariq Dana
* Tariq Dana est professeur adjoint d'études sur les conflits et l'humanitaire à l'Institut d'études supérieures de Doha, et chargé de cours à l'Université Northwestern au Qatar. Il a été directeur du Centre d'études sur le développement de l'université de Birzeit et chercheur principal à l'Institut d'études internationales Ibrahim Abu-Lughod, à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève et à la School of Oriental and African Studies.
30 juillet 2024 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet