Par Jonathan Kuttab
Il est scandaleux, en plein génocide alors que chaque jour apporte son lot de nouvelles tragédies et d’horreurs, de se payer le luxe de traiter des solutions de « statut final ».
Mais, étant donné qu’on nous demande en permanence ce que nous voulons et comment nous envisageons l’avenir, il peut valoir la peine d’aborder cette question – même si la tâche immédiate consiste à arrêter le génocide, à obtenir un cessez-le-feu, à libérer les otages et les prisonniers, à lever le siège de Gaza, et à commencer le processus de reconstruction.
L’expression, « du Fleuve à la Mer », souvent mal comprise, fait référence à une solution qui concerne l’ensemble de la patrie palestinienne.
Pendant un certain temps, après la guerre de 1967, de nombreuses personnes ont cru en la possibilité d’un compromis à deux états, selon lequel les Palestiniens renonceraient à 78% de la Palestine historique en échange d’un état indépendant sur les zones occupées en 1967, à savoir la Cisjordanie (y compris Jérusalem- Est) et Gaza.
Cette « solution à deux états » (dite : terre contre paix) constituait un Grand Compromis qui était censé mettre un terme à l’occupation et au conflit, débouchant sur une issue pragmatique qui ne remettrait pas en cause les principes fondamentaux que ce soit du sionisme ou du nationalisme palestinien.
Ceux qui rejetaient ce compromis ou soulevaient des questions fondamentales étaient qualifiés d’extrémistes qui ne s’intéressaient guère à la paix. C’était en effet le postulat du processus de paix d’Oslo, et les accords signés à l’époque avaient pour objectif de permettre de progresser sur la voie d’un tel objectif.
Depuis lors, cependant, et notamment après l’assassinat du Premier Ministre Rabin, ce processus a été totalement entravé par l’expansion considérable des colonies juives dans les territoires destinés à devenir un état palestinien.
En même temps, des éléments de droite ont obtenu l’adoption d’un certain nombre de lois et d’actions qui ont amplifié le caractère « juif » exclusif de l’état d’Israël, abandonnant toute prétention à l’égalité des citoyens palestiniens d’Israël.
Des transformations administratives et juridiques, ainsi que des faits accomplis sur le terrain, ont rendu une telle solution à deux-états désormais impossible.
Entre temps, des hommes/femmes politiques, des partis politiques et dirigeants ont exprimé très clairement qu’ils ne toléreraient jamais l’existence d’un état palestinien, et des mesures pour effectivement annexer les territoires ont été continuellement mises en œuvre.
J’ai moi-même écrit un petit livre sur ce sujet, Beyond the Two-State Solution, (« Au-delà de la solution à deux états ») dans lequel je décris ce processus et offre une vision nouvelle pour une solution couvrant l’ensemble de la Palestine, qui prend en compte les besoins des deux groupes dans un seul état qui satisfait les besoins essentiels de tous les peuples, sans exclusivité.il en appelle à une solution qui ne soit pas fondée sur la domination d’un groupe ou l’exclusion d’une minorité numérique.
Ainsi, lorsque je parle (et beaucoup d’autres avec moi) d’un état unique « du fleuve (Jourdain) à la mer (Méditerranée) » nous ne parlons en aucune façon d’éliminer les juifs ou les Israéliens de la région, mais d’un nouveau paradigme qui reconnait la réalité à savoir qu’il n’existe actuellement qu’un seul état entre le fleuve et la mer, un état d’apartheid qui n’est ni démocratique ni libre.
Nous exprimons l’espoir et l’objectif de rendre toute la région libre. Pas seulement les territoires occupés en 1967, mais toute la Palestine doit être libre :
- Libre sans injustice, ni oppression ni domination par quelque groupe que ce soit, Du Fleuve à la Mer
- Libre sans racisme, ni intolérance, ni discrimination et sans suprématie juive (ou arabe), Du Fleuve à la Mer
- Libre de participer à la démocratie et à des élections libres et équitables, Du Fleuve à la Mer
- Libre avec le droit au retour dans la patrie (que vous l’appeliez aliya ou awdah) sans devoir vivre en tant que réfugiés ou apatrides, Du Fleuve à la Mer
- Libre de vivre n’importe où sur l’ensemble du territoire et de circuler librement, sans murs, checkpoints, ni barrages routiers, Du Fleuve à la Mer
- Libre de pratiquer sa religion ou aucune sans coercition ni persécution, Du Fleuve à la Mer
- Libre de s’épanouir, de prier et vénérer et de développer sa culture, sa langue, et ses coutumes dans le respect mutuel et la tolérance, Du Fleuve à la Mer
- Libre sans censure gouvernementale oppressive ni détention arbitraire, Du Fleuve à la Mer
- Libre et réellement démocratique avec une presse libre, un système judiciaire indépendant, une constitution appropriée garantissant les droits fondamentaux de tous les individus et minorités contre les caprices d’une majorité versatile et quelques soient les variations démographiques, Du Fleuve à la Mer
Vous pensez peut-être que cet objectif est utopique, du genre « l’agneau et le lion reposant côte à côte, et qu’une une petite fille guidera ». Qu’importe. C’est ce à quoi j’aspire, et c’est ce en quoi je crois.
Une Palestine libre : Du Fleuve à la Mer !
Auteur : Jonathan Kuttab
* Jonathan Kuttab est cofondateur du groupe palestinien de défense des droits Humains Al-Haq et cofondateur de Nonviolence International. Avocat international réputé dans le domaine des droits humains, il pratique le droit aux États-Unis, en Palestine et en Israël. Il siège au conseil d'administration du Bethlehem Bible College et est président du conseil d'administration du Holy Land Trust. Il est cofondateur et membre du conseil d'administration de Just Peace Advocates. Il a dirigé le comité juridique chargé de négocier l'accord du Caire de 1994 entre Israël et l'OLP. Son compte Twitter/X
16 août 2024 – fosna – Traduction: Chronique de Palestine – MJB