L’offensive en Cisjordanie prépare le terrain pour un nettoyage ethnique de toute la Palestine

2 septembre 2024 - Des destructions sont visibles dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, alors que les forces coloniales israéliennes poursuivent leur assaut militaire à grande échelle sur le camp de réfugiés de Jénine pour le cinquième jour. Des bulldozers D9 sont utilisés pour détruire des routes, même à l'extérieur du camp de réfugiés. Certains Palestiniens tentent de s'échapper du camp de réfugiés assiégé, où les résidents palestiniens sont toujours privés de nourriture, d'eau et d'électricité. La circulation des ambulances est également entravée et les médias ne peuvent pas entrer. Le 28 août, les forces coloniales israéliennes ont lancé la plus grande offensive sur la Cisjordanie occupée depuis la seconde Intifada, ciblant Jénine, Nur Shams et les camps de réfugiés de Far'a depuis la terre et l'air. L'attaque a tué au moins 22 Palestiniens, en a blessé plusieurs autres et a causé des destructions massives - Photo : Wahaj Bani Moufleh / Activestills

Par Abdaljawad Omar

L’opération en cours en Cisjordanie a pour but de tester les limites de ce qu’Israël sera autorisé à faire. Elle prépare le terrain pour un nettoyage ethnique forcé du peuple palestinien.

L’offensive la plus récente d’Israël en Cisjordanie, qu’il a appelée avec un mépris évident « Opération camps d’été », a la prétention d’être nouvelle. Avant même qu’elle ne commence, Israël a annoncé que l’opération était la plus vaste invasion de la Cisjordanie depuis 2002.

Ce qui est le plus frappant dans ce contexte, c’est la plaisanterie selon laquelle chaque nouvelle opération représenterait une nouvelle réponse à une menace émergente.

En réalité, ces actions font partie d’une chaîne continue et ininterrompue de répression et d’une impulsion sanglante par laquelle Israël exerce son pouvoir de tuer et d’arrêter, tout en étant sous-tendu par un désir continu de voir les Palestiniens disparaître.

Nombreux sont ceux qui ont déjà observé que le besoin d’initiative constant d’Israël sur ses nombreux champs de bataille est au cœur de la nature démesurée de son offensive.

À Gaza, Israël consolide sa présence dans les corridors de Philadelphie et de Netzarim, et n’a guère d’initiative militaire ailleurs dans la bande assiégée, si ce n’est le maintien d’une pression implacable sur une population palestinienne qui a enduré toutes sortes d’horreurs au cours des onze derniers mois, notamment des massacres quotidiens qui déchirent le tissu social de cette petite et dense bande côtière.

L’occupant israélien étend sa guerre génocidaire de Gaza à la Cisjordanie

Dans le nord, la résistance libanaise et l’armée d’occupation échangent des coups dans le cadre de règles d’engagement très régulières. Malgré des escalades antérieures, le champ de bataille reste largement figé dans des rythmes spécifiques, prélevant un tribut des deux côtés sans qu’aucune résolution claire ne soit en vue.

En d’autres termes, les campagnes militaires d’Israël, si elles ne s’approchent pas d’une impasse, se sont transformées en une guerre d’usure.

Le moyen pour l’état génocidaire de reprendre l’initiative est d’ouvrir un autre front, peut-être plus « facile », qui pourrait offrir une image plus claire de la « victoire », même si les perspectives réelles de victoires décisives sur d’autres théâtres s’estompent.

Mais à quel public ce déploiment de force est-il destiné ?

Une démonstration de force

Premièrement, la machine militaire israélienne est guidée par les exigences de ses propres colons et par les objectifs de la droite-ultra qui poussent le pays vers une guerre perpétuelle.

Le besoin de voir des faits se produire – soldats pénétrant dans les maisons, combattants palestiniens tués – est impératif pour le type de guerre qu’Israël mène présentement.

Cette pression pour toujours plus de guerre, émanant d’un certain segment de la société israélienne, est juxtaposée à une autre pression provenant d’un segment différent, qui admet la nécessité de plus de guerre mais insiste pour récupérer d’abord les captifs détenus à Gaza.

Dans le cadre d’une campagne militaire prolongée, marquée par des coûts économiques, des divisions sociales et politiques, et une peur sous-jacente de l’idée même de paix que raint par-dessus tout la société israélienne, la machine militaire doit continuellement trouver de nouvelles campagnes pour justifier ses actions – en les désignant souvent par des noms grandiloquents et parfois pervers.

Ces campagnes servent à apaiser un public inquiet, chaque opération étant présentée comme une initiative nouvelle, même si elle ressemble étrangement à de nombreuses opérations qu’Israël a régulièrement menées par le passé.

Ce récit de l’accumulation tactique – le mouvement constant des troupes et la capacité à combattre sur plusieurs fronts simultanément – sert à projeter une image de force. Mais il cache une pourriture sous-jacente, à savoir l’absence de solutions viables pour Israël lorsqu’il s’agit d’affronter directement son ennemi juré, l’Iran, ou de s’engager dans une guerre ouverte dans le nord avec la résistance libanaise.

2 septembre 2024 – Scène de destruction à Jénine – Wahaj Bani Moufleh / Activestills

C’est pourquoi la Cisjordanie offre un répit commode – un nouveau théâtre où l’illusion du contrôle et du progrès peut être temporairement maintenue, même si le tableau stratégique plus large devient de plus en plus désastreux.

Guerre psychologique et test des limites

Deuxièmement, ces opérations sont également de nature « psychologique », un terme privilégié par les chefs militaires et les stratèges israéliens pour décrire l’ensemble des tactiques qui comprennent l’engagement dans la guerre de l’information, l’affirmation de la présence militaire d’Israël, la perpétration de crimes de guerre et la destruction à grande échelle des infrastructures.

Israël utilise cet éventail de tactiques militaires pour créer une impression – sur son propre peuple, mais surtout sur les Palestiniens.

Dans ce contexte, Israël décrit le modèle de Gaza comme pouvant être reproduit en Cisjordanie et se rapproche d’une campagne de nettoyage ethnique plus large.

En outre, en reproduisant certaines images de Gaza dans le nord de la Cisjordanie, Israël teste les niveaux de tolérance de ses alliés internationaux et satisfait sa base fascisante tout à la fois, en évaluant dans quelle mesure il peut rester immune de toute conséquence, tout en changeant les réalités sur le terrain en Cisjordanie, à Gaza, au Liban et dans le reste de la région.

Les Palestiniens de Cisjordanie doivent maintenant affronter l’angoisse d’une guerre d’anéantissement imminente sans avoir la capacité concrète de résister.

Il s’agit d’une forme de torture psychologique collective qui touche tous les habitants de la Cisjordanie, qui doivent faire face à la nouveauté, à l’intensité et à la violence supposées de la campagne.

Le génocide des Palestiniens de Gaza se double du génocide de l’économie de la Cisjordanie

Les rumeurs se répandent et l’Autorité palestinienne, qui opère dans l’ombre, alimente les Palestiniens en points de discussion qui servent à valoriser la politique de Mahmoud Abbas – qui, en n’affrontant pas Israël et en collaborant avec son appareil répressif, prétend se protéger contre la reproduction du modèle de la guerre exterminatrice en Cisjordanie.

C’est exactement la conclusion à laquelle Israël veut que les Palestiniens parviennent.

Attaquer la résistance

Troisièmement, sur le plan tactique, la campagne militaire est conçue pour porter le combat directement aux mouvements armés du nord de la Cisjordanie.

Ceci est particulièrement crucial à la lumière des signes croissants que certaines organisations au sein de la mosaïque de groupes dans le nord s’orientent vers des actions plus offensives.

Il s’agit notamment des tentatives infructueuses de poser des bombes au cœur de Tel-Aviv et de la résurgence des attentats à la voiture piégée en provenance du sud de la Cisjordanie. La campagne vise à mettre la résistance palestinienne sur la défensive.

Pourtant, même dans ces conditions, la campagne israélienne semble déjà être un échec, puisque pendant la campagne, trois voitures piégées ont été découvertes ailleurs en Cisjordanie (une près de Ramallah et deux près de Bethléem), et qu’une fusillade perpétrée par un ancien membre de la garde présidentielle de l’Autorité palestinienne a causé la mort de trois membres du personnel de sécurité israélien dans les collines d’Hébron, au sud de la Cisjordanie, loin du centre des opérations israéliennes dans le nord du pays.

Alors que la Cisjordanie se transforme de plus en plus en un foyer de résistance et en un théâtre d’opérations militaires régulières, l’armée israélienne – déjà très sollicitée sur de multiples fronts – sera contrainte d’engager des ressources substantielles non seulement pour mener des opérations offensives, mais aussi pour maintenir un solide dispositif défensif sur un territoire s’étendant sur 5000 kilomètres carrés.

Cette double demande de militaires sur le terrain et de ressources place Israël devant un problème qui oblige déjà à discuter de l’impact potentiel d’un troisième front sur les opérations militaires aux frontières libanaises et à Gaza.

Dans le passé, les dirigeants israéliens, plus pragmatiques, ont pris des décisions calculées qui leur ont permis d’obtenir des gains significatifs dans leurs guerres avec les Palestiniens.

Pendant la seconde Intifada, Israël a stratégiquement choisi de se retirer de Gaza, ce qui lui a permis de concentrer ses efforts militaires sur la répression de l’Intifada en Cisjordanie.

Mais Israël est aujourd’hui gouverné par des dirigeants qui se sont opposés avec véhémence au désengagement de Gaza, avec un Premier ministre plus préoccupé par sa propre survie politique et ses intérêts que par une stratégie à long terme.

Ces dirigeants s’accrochent à l’idée que la guerre perpétuelle fera progresser les intérêts d’Israël, malgré les coûts économiques, politiques, diplomatiques et militaires croissants. Ils présentent la lutte actuelle d’Israël comme une deuxième guerre « d’indépendance », mais au fur et à mesure que le conflit s’aggrave, leur mauvaise gestion des dilemmes stratégiques commence à faire des dégâts.

Les résistants de la « Fosse aux lions » ne cessent de gagner en popularité

Israël compte essentiellement sur le temps et la force militaire pour résoudre ses problèmes, mais comme tout pari, l’issue reste incertaine. Si la force peut apporter des gains à court terme, les risques et les coûts à long terme s’accumulent, et parier sur un conflit indéfini pourrait finalement s’avérer être une grave erreur de calcul.

Au-delà de l’opération : l’étranglement de la Cisjordanie

Plus fondamentalement, la politique israélienne de « privation économique » en Cisjordanie, ainsi que les efforts déployés par les factions de droite pour découpler le commerce, les marchés du travail et les infrastructures israéliens du territoire, donnent un aperçu du type de guerre préconisé par des personnalités telles que Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir.

Depuis le 7 octobre, les dirigeants du mouvement messianique des colons, qui sont aujourd’hui à la tête du gouvernement israélien, ont intensifié leurs efforts pour armer les colons en masse et demandent à l’État de découpler encore davantage Israël de la Cisjordanie sur les plans économique, financier et infrastructurel.

Cette stratégie reflète une vision plus large : en coupant la Cisjordanie de l’économie israélienne, elle vise à renforcer l’isolement des Palestiniens, à consolider le contrôle territorial israélien et à affaiblir les relations qui ont créé un statu quo confortable pour l’État israélien au cours des deux dernières décennies.

Elles visent également à provoquer artificiellement un effondrement économique et à réduire l’économie palestinienne en Cisjordanie.

Certaines de ces politiques, telles que le vol des taxes douanières palestiniennes, sont en place depuis longtemps, mais Bezalel Smotrich préconise désormais des mesures plus agressives. Il a fait allusion au découplage financier des banques palestiniennes et à d’autres formes de guerre économique destinées à créer des conditions de vie insoutenables en Cisjordanie.

Ces mesures renforceraient l’isolement économique des Palestiniens. Elles dissocieraient également les Israéliens de tout intérêt en matière de commerce et de travail avec la Cisjordanie et créeraient les conditions d’un nettoyage ethnique alimenté par l’économie – mais plus important encore, elles prépareraient le terrain pour une campagne de nettoyage ethnique par la force.

Si le simple fait de flirter avec de telles politiques constitue en soi une forme de pouvoir, instillant la peur, l’anxiété et la désorientation chez les Palestiniens, il souligne également l’érosion progressive de leur vie quotidienne.

Ces politiques entraînent une perte lente mais constante de la stabilité économique et sociale.

Soyons clairs : ces mesures ne sont pas simplement des gestes vides ou des tactiques d’intimidation ; elles servent d’indication claire de ce qui est à venir. Les bases sont jetées pour une offensive plus complète et systématique visant à isoler davantage Israël des Palestiniens de Cisjordanie, à s’emparer plus agressivement des terres et à se préparer à une offensive plus large.

La disposition d’Israël à la guerre est perpétuelle, et sa guerre contre les Palestiniens est une réalité quotidienne alimentée par la complicité de ses alliés, un approvisionnement inépuisable en armes et un manque stupéfiant d’obligation de rendre des comptes.

Lorsqu’Israël Katz a déclaré sur X qu’Israël devait « faire face à cette menace par tous les moyens nécessaires, y compris, dans certains cas de combats intenses, en poussant la population d’évacuer temporairement d’un quartier à l’autre à l’intérieur du camp de réfugiés », il n’a pas simplement fait une suggestion d’ordre tactique.

En réalité, Katz s’adressait directement aux homologues israéliens du monde entier, jetant les bases d’une escalade dans l’utilisation de la puissance de feu en Cisjordanie et normalisant le déplacement forcé des populations palestiniennes de leurs foyers dans les camps de réfugiés, les villes et les villages.

Ce que l’histoire nous apprend, en particulier dans le contexte de la guerre d’Israël contre les Palestiniens, c’est que les guerres sont souvent gagnées par accumulation – grâce à une combinaison implacable de guerre psychologique, de puissance de feu écrasante et de création délibérée de conditions insupportables conçues pour pousser la population palestinienne à partir.

C’est dans cette optique que nous devons considérer la lutte actuelle en Cisjordanie et les inévitables opérations militaires qui continueront à définir la région dans un avenir prévisible.

Ces actions ne sont pas des incidents isolés, mais font partie d’une stratégie lente, mais en constante escalade, qui rapproche les Palestiniens et le monde du bord de l’abîme.

4 septembre 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine