Par Ramzy Baroud
L’année écoulée, marquée par l’implacable génocide israélien contre les Palestiniens de Gaza et par des raids sanglants et des violences en Cisjordanie, a été largement considérée sous l’angle des terribles conséquences humanitaires : le massacre sans précédent de dizaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes, l’annihilation de Gaza, les démolitions et les destructions en Cisjordanie occupée.
Si l’urgence humanitaire doit effectivement être une priorité, d’autres facteurs méritent également d’être pris en considération, au moment où le sanglant génocide entre dans sa seconde année. Même si le massacre n’est pas encore terminé, plusieurs conclusions peuvent déjà être tirées quant à ses conséquences à long terme.
Tout d’abord, les Palestiniens, malgré l’occupation militaire, le siège et les nombreux échecs de leurs dirigeants, restent de puissants acteurs politiques.
Leur pouvoir ne découle pas des réalisations superficielles de leurs dirigeants autocratiques ni de la reconnaissance encore symbolique de l’État de Palestine, mais de la résilience et de la force de l’ensemble des Palestiniens de Gaza et de toute la Palestine occupée.
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La guerre génocidaire à Gaza aurait eu des conséquences différentes si la société palestinienne s’était effondrée face à la machine de guerre israélienne, s’était fragmentée en factions combattantes ou avait sombré dans le désespoir sous le fardeau insoutenable de la guerre, des destructions sans précédent et de la famine. Ce seul fait est rassurant.
En outre, les sociétés arabes, même si elles sont accaparées par leurs propres luttes et défis sociaux et politiques, restent unies dans leur perception de la cause palestinienne qu’elles considèrent toutes comme la priorité arabe absolue.
De nombreux gouvernements arabes ont d’ailleurs tenus à réaffirmer publiquement que la cause palestinienne était au centre de leurs préoccupations.
Bien que les circonstances puissent, pour l’instant, empêcher certaines sociétés arabes de transformer leur attachement à la Palestine en soutien concret, l’avenir montrera que le fait que la centralité de la cause palestinienne ait été réaffirmée dans les discours des dirigeants politiques et des représentants de la société civile arabes aura du poids et des conséquences.
La même logique s’applique à l’Oumma musulmane, qui, depuis des décennies, n’a jamais été aussi unie autour d’une cause, qu’elle l’est aujourd’hui autour de la Palestine. Cela se ressent dans tous les pays musulmans et parmi les communautés musulmanes du monde entier, en particulier en Occident.
L’avenir nous en dira plus sur la signification du retour de la Palestine dans le giron des Arabes et des musulmans. Cependant, on peut déjà conclure que la résilience du peuple palestinien a, une fois de plus, recentré l’attention de tous les Arabes et Musulmans sur la Palestine et sur la place de la cause palestinienne dans leurs cœurs.
Alors que certains États arabes tentent désespérément de rester à l’écart du conflit régional centré sur Gaza, des acteurs non étatiques au Yémen, au Liban, en Irak et ailleurs remettent en question les règles traditionnelles de la politique au Moyen-Orient.
Les masses arabes n’implorent plus les armées arabes de sauver les Palestiniens, comme ce fut le cas lors des guerres, conflits et massacres précédents.
Ansarallah – les Houthis – au Yémen et le Hezbollah au Liban semblent avoir rempli les rôles qui auraient dû, en théorie, être joués par les armées traditionnelles.
Personne ne s’attend plus à ce qu’elles le fassent, ni même le souhaite.
Ces États arabes sont devenus de simples spectateurs, car de puissants groupes armés sont venus combler les lacunes et manifestent leur solidarité avec les Palestiniens en paroles et en actes.
Historiquement, c’est sans précédent. Cette situation aura probablement raison de ce qui reste de légitimité à ces régimes arabes, en particulier ceux qui se trouvent à proximité immédiate de la Palestine.
Nous pouvons également constater que, bien que le droit international soit toujours aussi inefficace, la guerre sanglante en Palestine crée des clivages entre le Sud et le Nord.
Ce dernier, à quelques exceptions près, s’obstine à répéter de vieilles rengaines sur le « droit d’Israël à se défendre », tout en ignorant tous les droits des Palestiniens.
Cependant, de nombreux pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud et d’ailleurs réclament de plus en plus haut et fort que justice soit rendue aux Palestiniens et que le droit international soit appliqué de la même manière pour tous.
Pour un monde sans frontières, sans racisme et sans violence politique
La révolte politique des pays du Sud s’est déjà traduite par des décisions lentes mais cruciales de la Cour internationale de justice, de la Cour pénale internationale et, dernièrement, de l’Assemblée générale des Nations unies.
Le 17 septembre, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution fixant une date butoir pour la fin de l’occupation israélienne de la Palestine.
La résolution A/ES-10/L.31/Rev.1 et son délai de « 12 mois au plus tard » a essentiellement déclaré nulle et non avenue tout ce qu’Israël a réalisé illégalement dans les territoires palestiniens occupés, y compris les colonies et l’annexion de terres palestiniennes.
En outre, toute une génération de personnes à travers le monde a été indignée par le spectacle des horreurs perpétrées à Gaza.
Les images sanglantes, les appels désespérés des enfants qui ont perdu leurs parents, l’incroyable destruction et l’incapacité du système international à mettre fin à tous ces crimes, resteront gravés dans la mémoire collective de l’humanité pendant de nombreuses années.
La solidarité avec la Palestine, jusqu’ici confinée au Moyen-Orient, est en train de gagner des espaces géographiques et culturels nouveaux et de plus en plus vastes. En Occident, la Palestine ne sera bientôt plus simplement un débat politique ou un sujet académique.
La nouvelle conscience internationale qui s’est développée autour de la lutte palestinienne a peut-être déjà atteint la masse critique nécessaire pour provoquer, lentement mais sûrement, le changement de paradigme tant désiré : la justice pour le peuple palestinien.
Enfin, une année de guerre nous a appris que, si une puissance de feu supérieure peut déterminer les résultats politiques à court terme, aucune arme ni munition ne peut briser la volonté d’une nation qui a juré de restaurer sa dignité et de gagner sa liberté, quoiqu’il en coûte.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
8 octobre 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet