Par Hebh Jamal
Ce n’est pas pour notre propre famille que nous nous battons. Je ne m’accroche plus à l’espoir d’une réunification et d’une survie. Nous luttons pour la Palestine, parce que la libération de son peuple signifie notre libération à tous.
Il est difficile de croire qu’un an s’est écoulé depuis le début de ce génocide. Il est difficile d’imaginer que Gaza est toujours noyée dans le béton et le sang alors que nous n’avons pas réussi à mettre fin aux bombardements et à l’anéantissement systématique du peuple palestinien.
Et maintenant que la guerre s’étend au Liban, il semble qu’aucun d’entre nous ne puisse arrêter Israël et sa rage de destruction.
J’ai toujours eu l’espoir que tant que mes proches, ma famille, étaient encore en vie, les choses seraient simplement reconstruites lorsque le cauchemar prendrait fin.
Bien que mon mari ait eu le cœur brisé par le bombardement de la maison de son enfance à Khan Younis, nous nous sommes rassurés l’un l’autre en nous disant que les maisons se reconstruisent, que de nouveaux souvenirs peuvent être créés tant que nos proches ont survécu.
C’est ainsi, en m’accrochant à cet espoir de réunification, que j’ai combattu la complicité de mon pays dans le génocide. J’ai participé à toutes les manifestations possibles et j’ai défendu la population de Gaza sur les médias sociaux et dans le cadre de campagnes politiques.
Dans mon organisation créée en octobre, Zaytouna, nous avons persévéré pour sensibiliser les citoyens allemands ordinaires à la lutte de libération palestinienne.
Sauf qu’en Allemagne, le simple fait de protester ou de contester les crimes de guerre d’Israël peut vous entraîner dans une déferlante d’amendes et de batailles juridiques pour avoir simplement repris des slogans tels que « de la rivière à la mer », ou même pour avoir dit simplement qu’« Israël est en train de mener un génocide ».
En ce qui me concerne, il est clair que je suis dans le collimateur du gouvernement fédéral. J’ai récemment appris que la police allemande (Bundespolizei) me signalait pour « radicalisation dans le sens de la haine anti-israélienne et de l’antisémitisme », ainsi que pour sa conviction que moi et mon mari « ne croyons pas au droit d’Israël d’exister », c’est du moins ce qu’on m’a dit à la sécurité des frontières.
Bien que je n’aie jamais été arrêtée ou inculpée pour le moindre délit, même un délit à motivation politique, le gouvernement fédéral nous a mis sur liste noire, nous a surveillés et a tenté de nous piéger, moi et mes collègues, pour avoir exercé notre droit de protester.
Mais tout cela ne me dérangeait pas, car si c’était le prix à payer pour lutter pour la survie de ma famille, alors qu’il en soit ainsi. Tout allait bien tant qu’ils survivaient et que nous serions à nouveau unis une fois la guerre terminée.
J’avais hâte de revoir ma cousine par alliance, Sama. Elle m’a serré contre elle le dernier jour de notre visite à Gaza en août 2022 et m’a dit : « S’il te plaît, reviens vite. » Je lui ai promis de le faire.
Mais Israël n’a pas voulu que je tienne ma promesse.
Le dimanche 4 février 2024, Israël a bombardé la maison de Sama Abdelhadi à Deir Al Balah. Outre Sama et son frère Hassan, âgé de 17 ans, leur mère Wissam, leur grand-père, leurs oncles et tantes ont tous été tués en une seule frappe.
Après ce jour terrible, les nouvelles de martyrs dans notre famille n’ont cessé d’affluer. Un cousin par-ci, un autre par-là, et lors d’une frappe aérienne fatidique sur le camp de réfugiés de Maghazi, l’oncle de mon mari a perdu tous ses fils et toutes ses petites-filles.
Je sais que la lutte pour la libération ne peut être qu’une bataille difficile, remplie de déchirements, de douleurs et de luttes incessantes. La Gaza que j’ai connue autrefois a disparu en même temps que nos martyrs. Le Khan Younis dans lequel mon mari a grandi a été rasé. L’histoire qui a été préservée au fil des siècles est détruite.
La Palestine qui a existé n’existe tout simplement plus. Sama n’existe plus.
Je ne me bats plus en m’accrochant à l’espoir d’une réunification et d’une survie. La triste vérité pour le peuple palestinien est que même si Israël tuait tous les membres de ma famille, ainsi que tous les Palestiniens de Gaza, nous, en tant que peuple, ne changerons jamais nos exigences. Nous n’accepterons jamais de vivre dans l’assujettissement, l’occupation, l’apartheid et le siège.
Nous ne pourrons jamais accepter ou pardonner à un État de poursuivre son expansion coloniale sur les tombes des jeunes et des anciens.
Alors que je vis ici en Allemagne, que mes amis sont confrontés à des violences policières, que mes collègues sont convoqués au tribunal et que des militants de tout le pays subissent des descentes de police violentes, cela ne change en rien notre ligne de conduite.
Nous comprenons le rôle de notre pays dans la maltraitance permanente du peuple palestinien, et tant que cette réalité ne changera pas, la nôtre ne changera pas.
Nous nous battons pour la Palestine, pas pour notre famille. Nous nous battons pour la Palestine parce que la libération de son peuple signifie la libération de tant d’entre nous qui vivons dans des États qui dépendent d’Israël pour poursuivre leurs fantasmes coloniaux.
La raison d’État allemande qui donne la priorité à la « sécurité nationale d’Israël » ne le fait pas pour se soulager de la culpabilité de l’Holocauste. Elle le fait parce que le sionisme a permis à la suprématie blanche d’exister sous une nouvelle forme, cette fois contre les individus qui dénoncent la doctrine propagandiste de l’État.
Sama n’existe peut-être pas dans cette Palestine. Je tente de rationalise sa mort en me disant qu’elle n’a jamais voulu être dans cette Palestine. Une Palestine de guerre, de famine et de douleur.
J’essaie aussi d’apprivoiser l’idée de sa mort en pensant qu’elle est au paradis et qu’elle entrevoit maintenant la beauté d’une Palestine libérée, sans murs, sans clôtures et sans avant-postes, et qu’elle est heureuse et fière que nous n’ayons pas abandonné.
Nous n’abandonnerons pas, pour Sama et les dizaines de milliers de martyrs qui sont morts par pure malchance d’être nés Palestiniens.
Auteur : Hebh Jamal
* Hebh Jamal est une journaliste qui vit en Allemagne, et qui écrit principalement sur les inégalités, l'islamophobie et les droits des Palestiniens. Ses articles peuvent être consultés sur 972mag, Mondoweiss, MiddleEastEye, al-Jazeera... Son compte Twitter.
10 octobre 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine