Aux yeux du monde, les Palestiniens ont gagné la bataille de la légitimité

L'artiste argentin Gustavo Calvet réalisant une fresque murale à Buenos Aires - Photo : Gustavo Calvet, via MEM

Par Ramzy Baroud

De façon surprenante, c’est l’historien israélien Benny Morris qui a vu juste, lorsqu’il a fait une prédiction sans concession de l’avenir de son pays et de sa guerre contre les Palestiniens.

« Les Palestiniens envisagent tout dans une perspective large et à long terme », avait-t-il déclaré dans une interview accordée au journal israélien Haaretz en 2019. « Ils voient que, pour le moment, il y a cinq-six-sept millions de Juifs ici, entourés de centaines de millions d’Arabes. Ils n’ont aucune raison de céder, car l’État juif ne peut pas durer. Ils sont certains de l’emporter. Dans 30 à 50 ans, ils nous vaincront, quoi qu’il arrive ».

Morris a vu juste. Il a raison dans le sens où les Palestiniens n’abandonneront pas, qu’il ne pourra jamais y avoir une situation où une société puisse survivre et prospérer indéfiniment grâce à une combinaison permanente de ségrégation raciale, de violence et d’exclusion – l’exclusion de l’autre, les Palestiniens, et son propre isolement.

L’histoire même de la Palestine témoigne de cette vérité. Si les opprimés, les natifs de la terre, ne sont pas totalement vaincus ou décimés, ils finissent par se lever, par se battre et par reconquérir leur liberté.

Il doit être extrêmement frustrant pour Israël que tous les massacres et toutes les destructions en cours à Gaza n’aient pas suffi à rapprocher le résultat attendu de la guerre : la « victoire totale » que Netanyahu n’arrête pas d’évoquer.

La frustration d’Israël est compréhensible car, comme tous les occupants militaires dans le passé, Tel-Aviv continue d’imaginer qu’une quantité suffisante de violence puisse soumettre une nation colonisée.

Mais les Palestiniens ont une trajectoire spirituelle différente qui guide leur comportement collectif.

L’État sioniste fait de sa politique génocidaire son standard et l’étend à la Cisjordanie

Parmi les nombreuses classifications de l’Histoire, les historiens français modernes font la distinction entre l’histoire événementielle et l’histoire de longue durée.

En bref, la première considère que l’Histoire est le résultat de l’accumulation d’événements se déterminant les uns les autres au cours du temps, tandis que la seconde envisage l’Histoire à un niveau beaucoup plus complexe.

L’Histoire ne peut être envisagée que dans sa globalité, non seulement avec l’ensemble des événements récents ou anciens, mais aussi par la somme des sentiments, l’aboutissement des idées, l’évolution de la conscience collective, des identités, des relations et les changements – y compris les plus subtils – qui s’opèrent dans les sociétés au fil du temps.

Les Palestiniens sont l’exemple parfait d’une histoire façonnée par les idées et non par les armes, par la mémoire et non par la politique, par l’espoir collectif et non par les relations internationales.

Les Palestiniens finiront par gagner leur liberté, parce qu’ils ont investi dans une voie à long terme d’idées, de souvenirs et d’aspirations communes, qui se traduisent souvent par une spiritualité ou, plutôt, une foi profonde et inébranlable qui ne fait que se renforcer, même pendant les périodes de guerres génocidaires.

Lors d’un entretien que j’ai mené avec l’ancien rapporteur spécial des Nations unies, le professeur Richard Falk, en 2020, celui-ci a résumé la lutte en Palestine comme une guerre entre ceux qui ont les armes et ceux qui ont la légitimité.

Rappelant que dans le contexte des mouvements de libération nationale, il y avait deux types de guerre : la guerre réelle – celle des soldats armés – et la guerre de la légitimité, celui qui gagnera cette dernière finira par l’emporter.

Les Palestiniens « envisagent tout dans une perspective large et à long terme ». Il peut sembler curieux d’être en accord avec l’affirmation de Morris car, en génarl, les sociétés sont souvent guidées par leurs propres luttes de classes et projets socio-économiques, sans disposer d’une vision commune et réfléchie sur le long terme.

C’est là que la notion de « longue durée » prend tout son sens dans le cas palestinien. Même si les Palestiniens n’ont pas décidé d’attendre le départ des envahisseurs ou que la Palestine redevienne un lieu de coexistence sociale, raciale et religieuse, ils sont animés, consciemment ou non, par la même énergie qui a poussé leurs aïeux à s’opposer à l’injustice sous toutes ses formes.

Alors que de nombreuses personnalités politiques et universitaires occidentales s’activent à faire endosser aux Palestiniens la responsabilité de leur propre oppression, la société palestinienne continue d’évoluer sur la base d’une dynamique totalement indépendante. Pour exemple, en Palestine, le sumud, ou résilience, est une culture enracinée, peu dépendante de stimuli externes, qu’ils soient politiques ou académiques.

C’est une culture vieille comme le monde. Innée. Intuitive. Générationnelle.

L’exigence de justice des Palestiniens surmontera toute la violence des Israéliens

Cette saga palestinienne a commencé bien avant la guerre, bien avant « Israël », bien avant le colonialisme contemporain.

Cette vérité démontre que l’Histoire n’est pas seulement mue par de simples événements, mais par d’innombrables autres facteurs ; que, si l’« histoire événementielle » – les aspects politiques, militaires et économiques qui contribuent à façonner l’Histoire par des événements à court terme – est importante, l’Histoire à long terme offre une compréhension plus profonde du passé et de ses conséquences.

Ce débat devrait engager tous ceux qui se sentent concernés par la lutte en Palestine et qui sont désireux d’en présenter une version qui ne soit pas guidée par des intérêts politiques à venir, mais par une compréhension profonde du passé.

Ce n’est qu’alors que nous pourrons commencer à libérer peu à peu le récit palestinien de toutes les interprétations biaisées imposées au peuple palestinien.

Ce n’est pas une tâche facile, mais elle est nécessaire pour s’affranchir des limites du vocabulaire dominant, des événements immédiats, des dates à répétition, des statistiques déshumanisantes et du mensonge pur et simple.

Il devrait être clair pour tout lecteur avisé de l’Histoire que, si les avions de chasse et les bombes de type bunker peuvent avoir un impact sur les événements historiques à court terme, c’est le courage, la foi et l’attachement à sa communauté qui déterminent l’Histoire à long terme.

C’est pourquoi les Palestiniens sont en train d’emporter la guerre de la légitimité, et c’est pourquoi la liberté du peuple palestinien n’est qu’une question de temps.

25 octobre 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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