Gaza : ne détournons pas notre regard

Dans les bras de sa mère, une toute jeune victime - aujourd'hui amputée d'une jambe - des bombardements israéliens sur Gaza - Novembre 2023, hôpital al-Nasser à Khan Younis - Photo : UNICEF

Par Marie Schwab

On peut lire sur son visage que son cœur est dévasté, pour toujours. Dans ses bras, la merveille des merveilles, son trésor, son amour, son soleil, sa raison d’être, son alpha et omega, son âme – son fils. Dont les petites jambes aux pieds nus tressautent sur son bras au rythme de ses pas.

Le père n’est pas pressé, plus personne ne l’attend plus nulle part. En cet instant, c’est pour l’éternité qu’il porte son enfant. Il n’a pas eu à le chercher ; son fils gisait là, bien en vue, comme endormi sur les décombres. Cet enfant encore chaud, cette incarnation de la perfection, de l’amour, de la joie, de l’avenir, est mort.

Ne baissons pas les yeux. Contemplons chacun de ces visages – celui du fils, celui du père. Confrontons-nous à la détresse incommensurable de cet autre père, qui embrasse son bébé, encore et encore, encore et encore.

La peine du père ne suffit pas à ranimer le tout petit enfant. Ne détournons pas le regard de ces enfants démembrés gisant dans une flaque de sang. Confrontons-nous au désespoir absolu de cet enfant, au visage implorant, qui suit, les bras tendus, le corps de sa mère qu’on emporte.

Ce sont des humains qu’Israël assassine. Non des listes sans fin de nombres. Des humains que parfois, les proches ne reconnaissent qu’à leurs vêtements, aux bijoux.

Enveloppons du regard et d’amour les corps faméliques des dix-sept enfants arrivés mercredi à l’hôpital Kamal Adwan pour y recevoir des soins de toute urgence ; qu’on ne pourra pas leur donner, par manque de tout. Kamal Adwan : un hôpital qui, comme les autres, n’est en mesure d’apporter ni soins médicaux ni sécurité, constamment bombardé.

Hani Mahmoud, journaliste à Deir el Balah: « Nous assistons à un enchaînement d’événements terrifiants, échos des pires événements ayant eu lieu dans l’histoire de l’humanité : la destruction systématique de tout ce qui est indispensable à la survie. »

Être parent à Gaza, et voir les rêves de ses enfants, naguère imaginatifs, farceurs, joueurs, se réduire à une obsession : « manger du riz, du poulet, des pommes de terre. »

Soha, jeune mère, confie : « L’hiver arrive sur nos estomacs vides, nos corps refroidis, nos maisons détruites, nos tentes. Le plus dur, c’est de voir nos enfants souffrir de maladies, de froid, de faim, quand tout ce que nous pouvons leur donner, c’est notre patience et nos prières. »

Autrefois, Soha était aussi ingénieure. À présent, elle est tout entière une mère terrifiée.

Toutes les boulangeries de la Bande de Gaza ont été détruites par l’occupant. Seules subsistent, péniblement, 7 des 19 boulangeries humanitaires, à court elles aussi de farine, d’eau, de combustible.

À Gaza, on regrette le bon temps. Quand le rationnement drastique montait jusqu’à 500 camions par jour. Quand on parlait de malnutrition, pas de famine. Quand seuls 700 enfants par an étaient détenus et torturés dans les prisons israéliennes. Quand seuls 68 enfants étaient assassinés chaque année par l’occupant. (*)

À Gaza, depuis treize mois, on assiste à un changement dans l’intensité de la persécution des Palestiniens. Les crimes, les cibles étaient les mêmes avant. L’intention aussi. Et l’impunité.

Qu’il est de bon ton de justifier par le sentiment de culpabilité qui hanterait l’Occident. La bonne blague. Ainsi donc l’extrême droite et la droite, meilleurs soutiens à Israël de par le monde, seraient rongées par la culpabilité ?

Justifier le soutien au génocide en cours en alléguant son sentiment de culpabilité requiert une gymnastique de l’esprit pour le moins hasardeuse. Il est certes plus convenable d’invoquer un sentiment de culpabilité plutôt qu’une convergence idéologique et d’intérêts.

Après s’être assis, toute honte bue, sur leur propre ultimatum enjoignant Israël à améliorer le respect du droit humanitaire à Gaza, les États-Unis ont opposé leur veto mercredi à une résolution pour un cessez-le-feu. Et s’enferrent ce faisant dans leur manie de distordre le réel, de rendre les opprimés responsables de l’oppression qu’ils subissent, s’enlisant dans leur obsession à chercher à interpréter le droit.

Or le droit n’est pas sujet à interprétation. Pas plus qu’il ne se négocie.

« Y a-t-il un droit spécial pour Israël, différent de celui qui s’applique pour nous tous ? », interroge Majid Bamya, envoyé de Palestine à l’ONU, à l’issue du vote.

« Stoppez-les ! Aidez-nous. Il y a un monde où nous pourrions vivre, où nos enfants pourraient grandir, sans occupation, sans bombes, sans tanks, sans colonies, sans mur, sans check-points militaires, sans prisons, sans humiliation constante, sans oppression, sans maisons détruites, sans amputations, sans souffrance. Ce monde pourrait exister aujourd’hui si nous décidions d’agir. Il y a un monde où Palestiniens et Israéliens vivent leur vie, côte à côte, portent un regard confiant sur l’avenir, nouent des relations. C’est cet avenir qui est en train d’être détruit, sous nos yeux, et la population palestinienne en est la première victime. » (6)

Note :

(*) Save the children dénombrait 38 enfants assassinés par l’occupant en Cisjordanie occupée en huit mois au 18/9/2023.
En 2022, Save the Children avait recueilli la parole de Youssef, enfant de Cisjordanie occupée : « Mon rêve est de pouvoir flâner sur le chemin de l’école, observer les oiseaux, la flore. Je ne veux pas sentir l’odeur des gaz et voir des soldats partout. Je ne veux pas avoir peur de sortir. Je ne veux pas que ma mère ait peur que les soldats me fassent du mal et qu’elle parcoure les rues dans l’angoisse qu’il ne me soit arrivé quelque chose. » Youssef a été assassiné par l’occupant en septembre 2023. Source : ibid.

23 novembre 2023 – Transmis par l’auteure

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