Ce que sera la Palestine après sa libération, selon Yahya Sinwar

23 mars 2024 - Des milliers de fidèles musulmans accomplissent la prière du vendredi de la deuxième semaine du Ramadan dans la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem occupée, malgré les mesures strictes et sans précédent imposées par le régime israélien à la ville sainte et à ses environs. Le département jordanien du Waqf islamique à Jérusalem a déclaré que près de 120 000 fidèles ont pu se rendre sur le lieu saint et accomplir la deuxième prière du vendredi du Ramadan dans les cours de la mosquée, considérée comme le troisième lieu saint pour les musulmans du monde entier. Ce ramadan intervient alors qu'Israël continue de bombarder la bande de Gaza, ce qui a entraîné la mort à cette date d'environ 32 000 Palestiniens dans ce qui est largement considéré comme un génocide - Photo : Activestills

Par Alain Alameddine

Le dirigeant du Hamas Yahya Sinwar avait compris que la résistance est un outil permettant d’atteindre un objectif politique : la création d’un état palestinien du fleuve à la mer.

Il est intéressant de noter qu’il ne reportait pas la réflexion sur la forme que pourrait prendre cet état à après la libération.

En 2021, il a sponsorisé une conférence intitulée « La promesse de l’au-delà : La Palestine après la libération » qui visait à formuler des recommandations quant à la forme de cet état palestinien et sur la façon d’aborder des questions telles que l’organisation du retour des réfugiés, le sort des colons, le traitement des lois de l’état occupant et des accords internationaux conclus avec ce dernier, entre autres.

La conférence proposait de mettre sur pieds une « Commission de Libération de la Palestine », qui serait composée de membres des forces palestiniennes et arabes qui « épousent l’idée de libérer la Palestine » et aurait la responsabilité de coordonner les efforts de ces forces.

On a fait de Sinwar un martyr avant qu’il ne puisse voir sa vision pour la Palestine de demain prendre davantage forme, ou avant la constitution d’un organisme de coordination pour faire progresser cette vision.

La nécessité de ces deux éléments est aujourd’hui cruciale. L’examen de certaines des recommandations de la Conférence pourrait contribuer à ouvrir le débat entre Palestiniens et Arabes convaincus de la nécessité d’aligner la vision politique et les mesures concrètes en vue de former un organisme de coordination pour la libération de la Palestine.

Les recommandations de la conférence

« L’occupation » est par essence un système de contrôle imposé de l’extérieur à une société. La « libération » est un projet pour démanteler ce système et le remplacer par un autre qui exprime les aspirations de la population autochtone.

Au cours de l’histoire, les mouvements de libération nationale ont élaboré des visions pour l’avenir de leur société – à savoir la forme de l’état après la libération. Les recommandations de la conférence s’inscrivent dans ce cadre.

Par exemple, la conférence recommandait (Recommandation 17) :

  • « que le rapatriement des réfugiés palestiniens se fasse progressivement, avec l’élaboration d’un guide pour expliquer le mécanisme du retour planifié, et l’encouragement des Palestiniens, dont le capital le permet, à contribuer au logement, à l’emploi et à l’investissement »
  • que « la terre soit restituée à ses propriétaires à moins que des intérêts stratégiques et des constructions n’y aient été bâtis, et les propriétaires équitablement indemnisés, soit en espèces, soit en compensation immobilière ».

Et qu’en est-il du sort des colons après la libération ? La Conférence recommandait ce qui suit : « En matière de traitement des colons juifs sur la terre de Palestine, il faudrait distinguer entre un soldat qui doit être combattu, un fugitif qui peut ne pas être inquiété ou au contraire poursuivi en justice pour ses crimes, et une personne qui se rend pacifiquement et qui peut être accueillie ou à qui on peut accorder un délai pour partir » (Recommandation 15).

En conformité avec la vision palestinienne historique d’un état unique pour tous ses citoyens.

« En matière de législation », la recommandation de la Conférence est la suivante : « Fonctionner avec les lois en vigueur avant la création de l’état indépendant à condition qu’elles ne soient pas en contradiction avec les principes énoncés dans la Déclaration de l’État de Palestine ou en conflit avec les lois qui seront promulguées et approuvées au cours de la phase de transition ou après la phase de transition jusqu’à l’unification de la législation en Palestine, parce que la disparition d’un état ne signifie pas la disparition des effets légaux et les lois ne peuvent être abrogées ou modifiées que par d’autres lois » (Recommandation 5).

La résolution stipulait aussi : « Le sort des accords internationaux signés par l’occupant ou l’Autorité Palestinienne dépendra de la volonté de l’État de Palestine lors de la libération. » Elle recommandait en outre : « La formation d’une commission de juristes pour étudier tous les accords, traités et organisations auxquels l’État d’Israël a adhéré et décider quels traités l’État de Palestine choisira d’hériter ou pas » (Recommandation 9).

La commission de Libération de la Palestine

Les trois premières recommandations concernant la Commission de Libération de la Palestine étaient spécifiques dans la mesure où elles avaient trait au processus de libération lui-même.

Elles en appelaient à : « La formation d’une Commission de Libération de la Palestine provenant de toutes les forces palestiniennes et arabes qui adoptent l’idée de libération de la Palestine, et soutenues par une alliance de pays amis. »

Elles définissaient sa responsabilité comme suit : « Élaborer un plan qui utilise les énergies de la nation et distribue les rôles à ses diverses composantes en fonction de leurs capacités spécifiques ».

L’année qui vient de s’écouler a montré la nécessité d’un tel organisme de coordination, étant donné qu’il est apparu qu’il n’existe quasiment aucune coordination au sein des forces qui épousent l’idée de libération de la Palestine, que ce soit en matière de guerre de communication, de résistance armée, d’activités médiatiques, de boycotts, d’action directe, de batailles juridiques ou autres, ce qui se traduit par un gaspillage d’énergies, d’occasions manquées et la fragmentation du discours.

Par exemple, le Hamas a répondu aux accusations de l’ennemi selon lesquelles il avait «ciblé des civils», l’argument principal utilisé par ce dernier pour justifier son génocide, sous plusieurs formes, notamment via le document intitulé « Our Narrative… Operation Al-Aqsa Flood? » (Notre récit … Opération déluge d’Al-Aqsa) qui répétait la position du mouvement : « Éviter de porter atteinte aux civils, surtout aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées est un engagement religieux et moral de tous les combattants des Brigades Al-Quassam » .

Il soulignait que le 7 octobre : « Les combattants palestiniens n’ont pris pour cibles que les soldats de l’occupation et ceux qui portaient des armes contre notre peuple [et] ils avaient à cœur d’éviter de porter atteinte aux civils, » expliquant que les Israéliens non-combattants tués l’ont été soit par l’armée d’occupation, soit par des Palestiniens non organisés, soit à l’occasion de tirs croisés.

Toutefois, peu d’efforts ont été faits pour communiquer ce message aux gouvernements, aux représentants politiques, aux mouvements politiques, aux organisations juives antisionistes, aux médias traditionnels et non traditionnels, aux mouvements de solidarité, aux militants et autres.

Bien que le « Our Narrative » ait été traduit en dix langues étrangères, l’hébreu n’en faisait pas partie, et aucun effort n’a été fait pour communiquer Our Narrative aux Israéliens. Même les vidéos de la résistance en hébreu n’ont pas été diffusées aux Israéliens.

Les dirigeants du Hamas, tels que Osama Hamdan ou Musa Abu Marzouk, et ceux du Jihad Islamic comme Muhammad Al-Hindi ont rejeté à maintes reprises la notion qui consisterait à « nettoyer la Palestine des juifs » et ont mentionné sans équivoque la possibilité pour des Israéliens de se maintenir sur le territoire en qualité de citoyens palestiniens égaux après la libération.

Ceci est tout à fait conforme aux recommandations de la conférence mentionnées plus haut et avec la position historique du mouvement de libération de la Palestine.

Cette vision n’a, malheureusement, pas été médiatisée auprès des colons en Palestine, ni au monde extérieur. Ce qui a permis à l’occupant de battre les tambours de guerre chez les colons, et de dépeindre l’opération militaire du 7 octobre comme une attaque contre les juifs, et d’en conclure que les juifs n’avaient pas d’autre choix que d’annihiler les Palestiniens de façon préventive.

Cette lacune dans le discours de libération a aussi permis aux alliés des colons en Europe et en Amérique du Nord d’interpréter des expressions comme « Free Palestine » (Palestine Libre) ou « From the River to the Sea » (du fleuve à la mer) comme invoquant la déportation et/ou l’extermination des juifs.

La résistance palestinienne a fait peu d’efforts pour contester cette guerre narrative de l’ennemi et pour fournir aux alliés à l’étranger un quelconque éclairage sur la question.

Parallèlement, l’absence d’un discours de libération clair a affaibli la cause palestinienne en la présentant comme une simple revendication pour l’égalité des droits ou la fin de l’apartheid, ou en reprenant des propositions qui font le jeu du sionisme telles que la création de deux états ou le bi-nationalisme.

Sinwar a été assassiné, mais la nécessité de ces deux objectifs demeure : d’abord, centrer le discours de libération palestinien sur une vision claire d’un état palestinien unique de tous ses citoyens, et ensuite, la création d’un organe qui épouse cette vision et coordonne les efforts entre les forces qui l’adoptent.

Toutefois, ces deux objectifs ne vont pas s’auto-réaliser par miracle. Les Palestiniens, leurs alliés israéliens et tous ceux qui dans le monde entier aspirent à une Palestine libre doivent y travailler.

16 novembre 2024 – Middle East Monitor – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

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