Par Julia Kassem
Sans l’érosion de l’économie et des forces productives militaires et potentielles de la Syrie, résultant de décennies de sanctions et d’occupation des champs pétroliers par des bases américaines illégales dans le nord-est de la Syrie, ce pays n’aurait jamais pu être déstabilisé.
Immédiatement après l’accord de cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël qui marquait la victoire du groupe de la Résistance, les États-Unis et “Israël“ ont activé l’étape suivante de leur plan, à savoir l’invasion surprise d’Alep par Hay’at Tahrir al-Sham (HTS).
HTS est dirigé par Muhammad al-Jolani, l’ancien chef du front al-Nusra aujourd’hui dissous et ancien chef adjoint de Daesh (ISIS) et d’al-Qaïda qui a travaillé en étroite collaboration avec l’ancien chef de Daesh, Abu Bakr al-Baghdadi. Ces dernières années, le HTS d’Al-Jolani a blanchi son image en se présentant comme un groupe terroriste de « moindre mal » qui se concentre sur la prise de la Syrie, avec l’Iran et le Hezbollah en ligne de mire.
Al-Jolani a oscillé entre le turban, le treillis militaire et le costume-cravate, naviguant entre ses rôles d’insurgé takfiri et de figure de l’opposition en costume. Sa nouvelle respectabilité a été consacrée en 2021 par une interview extraordinaire sur la chaîne PBS. En 2022, l’envoyé de la Russie en Syrie a révélé que la Turquie, avec le soutien de l’Occident, s’efforçait de faire de HTS une « opposition modérée », afin de le débarrasser de la classification de terroriste international tout en préparant le prochain objectif des États-Unis pour la Syrie et la phase d’après-guerre au Liban.
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L’Occident estimant avoir épuisé la Russie en Ukraine, le Hezbollah contre « Israël » et l’Iran sur tous les fronts, paralysé qu’il était par un président réconciliateur, les États-Unis et « Israël » ont déclenché ces attaques terroristes dans le cadre de ce qu’ils percevaient comme une fenêtre qui se referme.
Pris par surprise, les partisans de la Syrie n’ont pas pu agir, mais ce qui a ouvert la voie à une déstabilisation complète de la Syrie, c’est l’érosion, pendant des années, de sa propre économie et de ses forces productives militaires et potentielles, engendrée par l’occupation des champs pétrolifères et l’implantation des bases américaines illégales dans le nord-est de la Syrie.
Alors que la soi-disant « opposition syrienne » recevait des fonds et un soutien logistique – directement de la Turquie et donc, accessoirement, des États-Unis, du Royaume-Uni et d’ « Israël », l’armée syrienne s’est étiolée et aurait eu besoin d’être reprise en main et soutenue financièrement. Les membres de l’armée syrienne ne recevraient que 40 dollars par mois, en raison d’années de sanctions américaines et des effets néfastes de la guerre hybride.
En 2018, la Russie a informé la Syrie que son armée avait besoin d’être réorganisée de fond en comble, et Damas a été confronté au défi de devoir financer une reconstruction de 200 milliards de dollars à l’échelle nationale. Pendant que la Syrie se débattait avec ces problèmes, Assad s’est lancé dans toute une série de négociations et de réconciliations qui ont relégué l’approche défensive au second plan – et, six ans plus tard, fin novembre 2024, les éléments étaient réunis pour un soulèvement, un effondrement et une conquête facile d’Alep par HTS.
La Syrie est maintenant tombée, après avoir échoué à fortifier sa défense et à réhabiliter son économie. L’ère de l’après-Astana et des négociations a été marquée par des concessions, pour tenter d’apaiser le Golfe et faciliter le rapprochement avec ces puissances tout en rejetant les offres iraniennes de stationner autour du Golan et dans le Sud.
La Syrie, croyant que le processus de négociation post-Astana et le partenariat iranien et russe suffiraient à garantir sa survie, n’a pas pris de mesures énergiques pour reprendre les terres du nord-est dont les richesses pétrolières étaient volées par milliards, ni pour reconstruire les institutions militaires syriennes en ruine, ni pour jeter les bases de l’autosuffisance économique.
Pendant qu’une amélioration de la situation se faisait attendre, l’opposition, certes divisée, mais bien soutenue et financée, a tiré profit de la période qui a suivi le cessez-le-feu de 2020. HTS l’a utilisée pour consolider son emprise sur Idlib et le Nord et augmenter ses attaques contre l’armée syrienne sur le terrain, passant d’une moyenne de 200 attaques en 2021 à 400 en 2022.
HTS a également profité des sanctions américaines imposées à la Syrie à la suite du tremblement de terre désastreux de février 2023, en aidant Washington à empêcher l’aide d’atteindre les zones « tenues par le régime », ne laissant passer que l’aide turque. La Turquie avait l’ambition de prendre le contrôle du nord de la Syrie et de profiter de l’effondrement de la monnaie syrienne pour la remplacer par sa propre monnaie.
Dès le début, les objectifs de l’insurrection takfiri dirigée par HTS a non seulement opéré en accord avec « Israël » et les États-Unis, mais aussi sous leur direction. Depuis 2017, les cibles des attentats terroristes à la bombe de HTS ont été des représentants du gouvernement syrien, des scientifiques syriens, des civils chiites, des pèlerins (qu’ils qualifiaient d’ « agents iraniens », à l’instar des américano-israéliens) et, presque exclusivement dans les années qui ont suivi la transformation positive de l’image de HTS, les positions des adversaires des États-Unis en Syrie, qu’il s’agisse du Hezbollah, du Corps des gardiens de la révolution islamique ou de la Russie.
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Les États-Unis ont laissé ISIS mourir et disparaître progressivement lors de frappes aériennes coordonnées, tout en favorisant le développement local de HTS.
Après l’évasion de centaines de dirigeants takfiris des prisons de Hasakah au début de l’année, nombre d’entre eux se sont déplacés vers le sud, en direction des positions de l’armée à Daraa et à Damas. Des groupes takfiris ont ensuite lancé des attaques au sol contre l’armée et la police syriennes dans ces régions du sud, aujourd’hui envahies par « Israël ».
Les attaques aériennes de l’entité sioniste à travers la Syrie, en particulier sur les infrastructures militaires dans les grandes villes, ont été incessantes et continues au cours des deux dernières années et surtout au cours des derniers mois.
Pendant la guerre du Liban, « Israël » a frappé à plusieurs reprises le poste frontière de Masnaa entre la Syrie et le Liban, ainsi que le poste frontière d’Arida au nord. Les bombardements répétés des points de passage entre le Liban et la Syrie ont maintenu la pression humanitaire sur les Libanais assiégés et ont eu pour objectif de couper les voies d’approvisionnement à destination et en provenance du Liban.
Alors que les groupes takfiris attaquaient les positions de l’armée syrienne au sol, « Israël » bombardait l’armée syrienne depuis le ciel, l’affaiblissant encore davantage. L’une des dernières attaques ciblées contre l’armée a visé un centre militaire de Palmyre, où 36 personnes ont été massacrées.
La coordination terrestre et aérienne entre « Israël » et les takfiris n’est évidemment pas nouvelle. Il a été bien documenté, il y a près de dix ans, qu’ « Israël » fournissait à Jabhat al-Nusra (l’organisation qui a précédé HTS) des cartes et des plans des positions de l’armée syrienne à attaquer dans le sud du pays. Ils leur ont également fourni des appareils de communication et du matériel médical, permettant même l’installation de camps de réfugiés syriens à la frontière. Auparavant, un rapport de l’ONU datant de 2014 avait confirmé l’étroite coordination entre les soi-disant « rebelles » et « Israël ».
L’une de leurs premières cibles a été les mêmes centres de recherche et installations de production d’armes de la Résistance qu’ « Israël » frappe depuis un certain temps. Ces opérations ont été menées en coordination avec les États-Unis et l’entité sioniste. « Israël » a longtemps été déçu que ses attaques n’aient pas « stoppé ou neutralisé » leur activité, une étape qui sera sous-traitée à leurs alliés sur le terrain.
A Alep, les militants ont assiégé le Centre syrien de recherche scientifique, le moteur économique du pays et le moteur de la défense syrienne et de l’Axe de la Résistance, et ont tué son directeur, le Dr Yervant Arslanian.
L’opposition takfiri a également attaqué l’Institut 4000 du CERS à Masyaf, cible des bombardements israéliens et des attaques du Mossad depuis des années.
Aidé par les renseignements et le travail d’ « Israël » dans l’attaque de ces installations – dont le plus récent raid d’ « Israël » sur Masyaf en septembre qui a tué 18 personnes, HTS a lancé une attaque via un drone ukrainien le 4 décembre sur l’institut CERS au cours de ses incursions dans Hama, s’attaquant à un site ciblé depuis longtemps par « Israël » après que ce dernier a admis que les frappes aériennes ne suffisaient pas à elles seules.
Leur prochaine cible était Homs, à seulement 45 km de là. Cela a fait basculer l’équilibre territorial en faveur des terroristes, en isolant la Résistance libanaise désormais coupée de sa voie principale de transfert et de transport d’armes, de fournitures et de logistique.
En ouvrant la voie à la contre-insurrection takfiri, « Israël » avait pour objectif de bombarder des sites autour de la ville d’Homs, qui, selon lui, sont des sites de stockage et de transfert d’équipements de combat du Hezbollah, ainsi que des points d’entrée et de transfert pour les unités du Hezbollah en Syrie. Le porte-parole en langue arabe de l’armée israélienne, Avichay Adraee, l’a souligné dans un tweet la nuit suivant la prise de Hama, et ce n’est pas une coïncidence si ses propos interviennent alors que Homs était la prochaine cible des « rebelles ».
À ce stade, il était clair que l’armée syrienne ne se battait plus, en raison des ordres de déposer les armes donnés par de généraux corrompus, allant à l’encontre de la directive d’Assad. Les infiltrations profondes ont presque instantanément paralysé l’armée. Les frappes aériennes russes qui avaient touché les sites terroristes dans les premiers jours du siège d’Alep avaient cessé, et le CGRI ne disposait d’aucune force active.
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Homs est officiellement tombée le samedi 7 décembre, et la chute de la Syrie, finalisée par l’ordre d’Assad de minimiser l’effusion de sang des civils en ordonnant une transition pacifique du pouvoir, et entérinée à Astana par l’Iran, la Russie et la Turquie, a mis le dernier clou au cercueil.
« Israël » a également cherché à étendre sa zone tampon sur le plateau du Golan, apaisant ainsi une crainte de longue date d’une infiltration de la Résistance dans le plateau après 14 mois d’opérations du Hezbollah contre des sites du territoire occupé.
Le changement de régime en Syrie a permis à « Israël » d’envahir Quneitra au prétexte d’étendre cette soi-disant zone tampon. Simultanément, « Israël » a frappé tous les sites, infrastructures et entrepôts militaires critiques de la Syrie dans le but d’anéantir toute capacité de défense qui pourrait être transférée au Liban ou utilisée contre l’entité occupante à l’avenir.
Pendant les frappes, Netanyahu s’est félicité de la chute « historique » de la « tyrannie de Damas », un projet américain de longue date rendu possible grâce à un effort coordonné des groupes rebelles et d’ « Israël ».
« Sans les coups que vous avez infligés au Hezbollah et à l’Iran, nous n’aurions pas pu libérer la Syrie », a déclaré Fahd Masri, porte-parole de l’Armée syrienne libre, aux médias israéliens. « Merci à Israël. C’est une victoire israélienne, nos frères et voisins », a-t-il ajouté, faisant écho aux déclarations faites par un certain nombre de membres de l’ « opposition syrienne » et de l’Armée syrienne libre aux médias sionistes au cours des dernières semaines.
A ce stade, les objectifs que servent ces différentes opérations apparaissent clairement.
Mais, du fait de la situation fragile de la Syrie au cours de la dernière décennie, les factions de la Résistance se sont tournées vers la production domestique et l’autosuffisance dans tous les domaines, un plan accéléré par le défunt commandant du CGRI, Hajj Qassem Soleimani.
Le Hezbollah produit déjà ses propres missiles et drones à l’intérieur du pays avec des stocks d’armes inconnus d’ « Israël ». Si la chute de la Syrie est un chapitre très sombre et difficile à clore pour l’Axe de la Résistance, les miracles opérés à Gaza et au Yémen, tous deux assiégés depuis des années, nous enseignent que les factions de la Résistance ne se rendront pas. Au contraire, elles s’adapteront, poursuivront leur combat et obtiendront de nouvelles victoires, dans un Moyen-Orient où tout est aujourd’hui possible.
12 décembre 2024 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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