« À Gaza, mourir n’est qu’une question de temps »

Des Palestiniens déplacés de force depuis le nord de Gaza se rassemblent pour recevoir de la nourriture grâce aux initiatives de particuliers et d'institutions à Deir al-Balah, dans le sud du territoire. Après plus d'un an d'attaques des forces coloniales israéliennes à Gaza, la grande majorité de la population est déplacée et confrontée à une crise humanitaire catastrophique, l'aide étant systématiquement entravée par Israël. Les ONG internationales de défense des droits de l'homme ont condamné le régime israélien pour avoir utilisé la famine comme arme de guerre - Photo : Yousef Alzanoun / Activestills

Par Marie Schwab

À l’âge où d’autres apprennent à lire, à nager, à jouer du piano, Mohammed Said, 6 ans, apprend à marcher sans jambes. Il se déplace sur le sable entre les tentes, sur les moignons de ses membres, amputés 2 cm sous l’aine, avec l’aide de son bras gauche et du moignon de son bras droit, chaussé d’un roller. Ce qu’on retient de lui, que je garde au fond de mon cœur, c’est la lumière de ses yeux et l’éclat de son sourire. Longue vie, petit Mohammed.

Les deux missiles israéliens qui lui ont arraché une jambe et massacré sa mère, son père, son frère Mohammed et sa sœur Dalia n’ont pas éteint le vibrant désir de vivre de Dunia Abu Mohsen, 12 ans, animée par trois rêves : une prothèse orthopédique, la fin du génocide et devenir docteur. Une bombe larguée sur l’hôpital où elle se trouvait a assassiné Dunia, ses rêves et le souvenir de ses parents.

La parole de Karin Huster, de MSF, de retour de Gaza : « Je n’ai pas assez de mots pour décrire la cruauté de ce qui se passe à Gaza. Le pire, c’est de penser que cette apocalypse est d’origine humaine et qu’elle est voulue. Rien dans cette destruction n’est laissé au hasard. Les Palestiniens vivent en sursis. Ce n’est qu’une question de temps avant de mourir à Gaza. Il ne s’agit pas d’une famille touchée, mais d’une famille après l’autre, après l’autre, après l’autre. J’ai dû pousser des corps sur le côté pour pouvoir amener des patients à soigner. C’est quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. »

Alors que quatre résolutions de l’ONU [1] devraient suffire à imposer un cessez-le-feu à Gaza, alors qu’un embargo sur les armes et des sanctions contre Israël sont des obligations légales (5), les Palestiniens se voient contraints, encore une fois, de céder aux exigences inqualifiables auxquelles l’occupant conditionne un cessez-le-feu. Or le génocide, l’occupation, la colonisation doivent cesser parce que ce sont des crimes ; il n’y a rien à négocier. Si un pays doit rendre des comptes, c’est Israël, et ses soutiens. Si un pays doit se voir imposer des conditions, c’est Israël. Israël réussit le tour de force de faire croire que c’est l’occupant, et non l’occupé, qui est en droit de se défendre, distordant la réalité jusqu’à faire porter à l’opprimé la responsabilité de l’oppression qu’il subit.

« La résistance contre une occupation militaire coloniale, contre un régime d’apartheid, est légitime », martèle Husam Zomlot, délégué de l’OLP au Royaume-Uni. « Demandez aux résistants français – à moins que vous ne pensiez que l’Allemagne nazie avait le droit de se défendre. »

Oui, la résistance palestinienne est légitime, elle est même légale : la résolution de l’ONU du 12 décembre 1990 réaffirme sa légitimité, « par tous les moyens à disposition ». Et puisque la résistance est légale, tout soutien l’est aussi – a contrario du soutien à l’occupant dans ses agissements génocidaires et coloniaux, qui est explicitement illégal ; a contrario aussi des pratiques fréquentes en Occident de criminalisation du soutien aux Palestiniens.

Il suffit que l’occupant dise : « Nous menons des frappes ciblées », que l’occupant dise : « La nourriture et l’aide entrent à flot », pour que les médias et les puissants regardent ailleurs. C’est ainsi que des « frappes ciblées » ont annihilé plus de 1400 familles à Gaza.

C’est ainsi que, samedi dernier, au moment où nous étions rassemblés ici, une « frappe ciblée » sur l’école Majda al-Wasila, à Gaza-Ville, dans le Nord, a assassiné Hanan al-Ghura, âgée de trois jours, et sa mère.

C’est ainsi qu’au même moment, une « frappe ciblée » à al-Burej, dans le centre de la Bande de Gaza, a assassiné Mohammed al-Qrinawi, journaliste, ainsi que sa femme et leurs enfants. C’est ainsi qu’à Gaza, depuis décembre de l’année dernière, on utilise un acronyme pour désigner un enfant blessé, sans aucune famille (8). C’était le cas de Mohammed, 5 ans, le crâne traversé par la « balle ciblée » d’un tir de sniper, mort en salle d’urgence, les soins intensifs étant complets.

Ce sont les soignants qui ont porté son corps à la morgue. « Il avait de tout petits pieds, de toutes petites mains, et sa dernière expression était celle d’une intense souffrance », se souvient Dr. Tanya Haj Hassan.

Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, soulignait au mois de juillet que « 80% des personnes au monde souffrant de famine ou d’un niveau de faim catastrophique sont à Gaza. »

La famine à Gaza n’est pas une crise. Une crise n’est pas planifiée, délibérément provoquée. Lorsqu’une crise éclate, le monde met tout en œuvre pour la stopper. La famine organisée par l’occupant n’a qu’un nom : le génocide par le blocus et par la destruction systématique de la souveraineté alimentaire. De même, « l’effondrement » du système de soins n’a qu’un nom : le génocide par le blocus et par le ciblage méthodique des hôpitaux et des médecins.

Dans quel monde vivons-nous, où la fin d’un génocide est objet de négociations ? C’est comme si le fait d’être signataires de la Convention sur le Génocide, de la Charte des Nations-Unies, de la 4e Convention de Genève, qui, toutes, visent à protéger les civils, conférait l’immunité aux Etats signataires en cas de violation. Comme si le fait d’avoir créé l’OMS, en 1946, dans le but de graver dans le marbre le droit à la santé et à l’accès aux soins, exonérait les États du devoir de les respecter.

Je voudrais terminer par une pensée pour la petite Iman, effondrée devant les corps de son papa Nidal et de son frère Mounir, assassinés par l’occupant à l’école Majda al-Wasila, à Gaza-Ville.

Une pensée pour Nour, qui fête sur leur tombe l’anniversaire de ses deux enfants, Rasha, qui aurait dû avoir 11 ans, et Ahmed, qui aurait dû fêter ses 12 ans, qui ont tous deux survécu à un premier bombardement de leur maison, au mois de juin, et qui ont été assassinés par deux missiles largués sur leur maison par l’occupant le 1er octobre.

Ces deux enfants auraient dû avoir la vie devant eux, continuer à se partager leurs livres et leurs perles à enfiler.

Notes :

  • [1] Résolutions des 12.12.2023, 25.3.2024, 10.6.2024 et 11.12.2024
  • [2] Non seulement au regard du génocide mais aussi de 76 ans d’assujettissement et d’oppression, cf. résolution de l’ONU du 18.9.2024

21 décembre 2024 – Transmis par l’auteure

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.