Par Marie Schwab
« Ceux qui survivront raconteront notre histoire. Nous avons fait ce que nous avons pu. Souvenez-vous de nous » : tels sont les mots écrits par le Dr. Mahmoud Abu Nujeila sur le mur de l’hôpital al-Awda où il a été assassiné par l’occupant.
La parole du Dr. Adnan al-Bursh, directeur de l’hôpital al-Shifa, avant d’être enlevé et torturé à mort par l’armée d’occupation : « Nous mourrons debout. Nous ne nous mettrons pas à genoux. Ce qui restera dans la vallée, ce sont ses rochers. Nous sommes ses rochers. »
Voilà, condensé, l’esprit de la résistance palestinienne – ne pas se rendre, ne pas se soumettre à l’occupant. La muqawama, la résistance, peut prendre différentes formes, ses racines puisent dans la même réalité : l’occupation ; elle n’a qu’un but : la libération ; un seul chemin : le refus de l’assujettissement.
Ce chemin est multiple, toutes ses formes se complètent.
- C’est l’enfant qui tient à aller à l’école alors qu’il sait qu’il va avoir affaire aux soldats de l’armée d’occupation sur sa route.
- C’est le père qui va au travail et passera une grande partie de la journée à attendre aux barrages militaires, où il sera maltraité et soumis au bon vouloir de l’occupant.
- C’est le grand frère qui sabote le bulldozer qui sème la dévastation dans son village.
- C’est l’institutrice qui donne des cours à ses élèves chez elle après la mise à sac de l’école par les colons.
- C’est le cousin qui enlève un soldat de l’occupation pour l’échanger contre des prisonniers.
- C’est le grand-père qui replante des oliviers.
- C’est le paysan qui remet inlassablement ses terres en culture après le passage dévastateur des bulldozers israéliens.
- Ce sont les chebabs qui se défendent physiquement contre les colons. Ce sont ces milliers de jeunes qui, lors des Marches du retour, vont semaine après semaine au devant de l’armée d’occupation, alors qu’ils savent que les soldats tirent sur la foule, visant les têtes, les poitrines, les genoux.
- C’est l’étudiant en informatique enseignant le dabke aux enfants de Gaza.
- C’est Assil, devant sa tente, tricotant tout le jour des pulls pour les enfants sans maison avec de la laine qu’elle achète à prix d’or.
- Ce sont ces hommes qui fabriquent des mines avec les explosifs qui jonchent les rues de Gaza et font sauter un char israélien.
- C’est Abu Wala (*) qui, ayant reçu treize balles dans la cuisse, comme on dit pudiquement, et après des séjours répétés dans les prisons israéliennes, continue à venir manifester dans son village de Cisjordanie occupée contre la confiscation des terres.
- C’est Mahmoud (*), qui continue lui aussi de protester contre les vols de terres, même après l’assassinat de son frère et de sa sœur par l’occupant, même après avoir reçu une balle dans le pied tirée à bout portant.
- C’est Youssef (*), qui continue d’accueillir des internationaux chez lui, en Cisjordanie occupée, même si cela lui vaut le saccage régulier de sa maison, même après avoir passé six mois dans le coma, blessé à la tête par l’armée d’occupation.
- C’est Abu Marwan (*) qui, malgré de multiples séjours en prison et de multiples blessures par balle, décide de rester cultiver sa terre alors qu’il a l’opportunité de partir vivre à l’étranger.
La résistance palestinienne est une. Husam Zomlot, délégué de l’OLP au Royaume-Uni : « Nous ne sommes pas motivés par la haine. Nous sommes motivés par l’amour pour notre peuple et pour notre terre. Tous les Palestiniens sont d’accord sur le but. » (2)
Ces mots suggèrent, si besoin était, que les Palestiniens n’ont pas choisi d’être occupés, ni leur occupant. Leur faire un procès à l’antisémitisme est absurde. Si l’occupant était bouddhiste ou orthodoxe, la résistance serait la même.
Rappelons aussi qu’en novembre 1974, à l’ONU, Yasser Arafat a proposé à l’occupant de vivre ensemble dans l’égalité des droits sur l’ensemble de la Palestine historique.
« C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense », analyse Nelson Mandela, Prix Nobel de la Paix. [1]
Je voudrais rendre hommage aux hommes de Gaza. Ces hommes que l’on préfère ne pas évoquer, ce sont des frères, des fils, des pères, des amis, des voisins. Ce sont des juristes, des médecins, des boulangers, des poètes, des chauffeurs de taxi, des coiffeurs.
Ils voient leurs enfants souffrir de faim, de froid, et ne peuvent rien faire, le cœur brisé. Ils reconstruisent les hôpitaux, les maisons, les routes, les réseaux d’eau.
Ils sont déchirés face à leur impuissance à protéger leur famille des bombes. Ils n’ont pas pu empêcher la destruction de leur maison, de leur quartier, de leur ville.
Ils n’ont plus de travail, plus de ressources. Ils perdent leur mère, leur sœur, leur enfant, leur ami.
Ils recréent sans relâche des pépinières avec des graines patiemment collectées. Ils prennent des risques insensés en allant pêcher dans le viseur des drones. Ils assistent dévastés à l’agonie de ceux qu’ils aiment. Ils portent leur enfant blessé sans endroit où il pourrait être sauvé.
Ils déblaient de leurs mains les gravats pour en dégager des corps.
Jour après jour…
Des corps déchiquetés de bébés, d’enfants, dont on ne peut dire combien ils sont, dont on ne peut déterminer l’âge, dont on ne connaîtra sans doute jamais les noms ni l’histoire.
« Nous assistons à un génocide en live, documenté en direct par les personnes qui le subissent, et le monde ne fait rien. L’humanité ne peut pas tomber plus bas, » commente Husam Zomlot.
Selon le nouveau rapport publié par The Lancet, revue médicale de référence, les chiffres officiels des morts directes sont sous-estimées de 41%.
À ce jour, il y aurait plus de 80 000 morts directes, causées par les bombes et les balles israéliennes, soit 4,2% de la population de Gaza.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des (dizaines de) milliers de disparus ni des centaines de milliers de morts indirectes, comme par exemple les prématurés qui meurent en ce moment dans les couveuses rendues inopérantes par le blocus génocidaire ou les personnes mortes de déshydratation, de faim, de maladies non traitées, d’hypothermie.
Par ailleurs, un projet financé par l’USAID a publié un rapport concluant qu’en l’absence de changement en matière d’acheminement de l’aide, deux personnes au moins pour 10 000 habitants mourront de famine chaque jour dans le Nord de Gaza entre janvier et mars de cette année.
L’ONU d’autre part dénonce que 120 000 tonnes d’aide sont actuellement bloquées par l’occupant, à quelques kilomètres des personnes qui en ont un besoin urgent. Ces chargements suffiraient à couvrir les besoins des Palestiniens de Gaza pendant trois mois.
La résistance palestinienne est tout entière contenue dans ces propos du Dr. Majid (*), médecin en Cisjordanie occupée, recueillis par notre ami Pascal à l’hôpital Européen de Khan Younis : « Si je vois un colon blessé sur la route, je m’arrête car je suis médecin. Je vais essayer de l’aider, c’est mon travail. Son travail à lui est de tuer, mais le mien est de le soigner. »
La muqawama, c’est la lutte pour la dignité, l’humanité.
Notes :
[1] Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, 1996
[*] Les prénoms ont été modifiés
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
11 janvier 2025 – Transmis par l’auteure
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