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21 février 2025 - Les proches d'Ayman Al-Haimouni, 13 ans, lui font leurs adieux après qu'il a été assassiné par les forces coloniales israéliennes dans la région de Jabal Jawhar, au sud d'Hébron, en Cisjordanie occupée. Au moins 197 enfants palestiniens ont été tués par les forces coloniales israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem depuis octobre 2023. À Gaza, les attaques israéliennes ont tué au moins 17 000 enfants palestiniens - Photo : Mosab Shawer / Activestills
Par Marie Schwab
« Quand vous avez volé les terres, volé les vies, il ne vous reste plus rien à voler que le récit » sont les mots de Omar al-Akkad.
Certes, nous n’attendions pas de l’occupant qu’il dise : « La famille Bibas a été tuée avec 93 membres des familles al-Hasayna et Abu Sharia par trois bombes américaines d’une tonne larguées par nos soins. »
Nous n’attendions pas de l’occupant qu’il dise : « Vous avez fait erreur en restituant ce corps, forcément : nos bombes réduisent en bouillie les corps, et nous vous refusons l’entrée de tout matériel permettant l’identification des restes humains épars. Nous-mêmes avons benné en vrac à plusieurs reprises des centaines de corps à Gaza en 2024, sans donner aucune indication quant à l’identité des personnes, le lieu et le jour où nous les avions kidnappées ou exécutées sommairement, et nous recelons encore plus de 665 corps, certains depuis des décennies. »
Nous n’attendions pas de l’occupant qu’il se laisse émouvoir par les marques d’affection données semaine après semaine aux résistants palestiniens par les otages israéliens.
Mais n’étions-nous pas en droit d’espérer de nos médias qu’ils se démarquent un tant soit peu des mensonges israéliens ?
Qu’ils fassent – par exemple – état des plus de 350 violations du cessez-le-feu par Israël ?
Qu’ils évoquent les sept bébés morts de froid à Gaza en début de semaine, assassinés par le blocus génocidaire ?
Qu’ils mentionnent les rapports accablants sur les atrocités infligées aux Palestiniens dans les geôles israéliennes ?
Qu’ils fassent état qu’à Gaza, 5000 enfants au moins présentent des dysfonctions cognitives irréversibles ?
Que 41% des personnes de plus de 18 ans prennent soin d’enfants qui ne sont pas les leurs à Gaza ?
Qu’ils tendent leur micro à Youssef, qui sort d’un centre de torture israélien : « Je viens tous les jours me recueillir ici, auprès de mes enfants, Malak, Malik, Yasmine, Nour. Ma femme est là aussi, et mes nièces et mes neveux ; 20 enfants de ma famille gisent sous les décombres. C’est un sentiment de dévastation que je ne pourrai jamais surmonter. Ici, mon histoire a été enterrée. Mon présent a été enterré. Mon avenir a été enterré. Ma vie s’est transformée en enfer depuis que j’ai perdu toute ma famille. »
La Cisjordanie n’est pas en reste. Jour après jour, les soldats des forces d’occupation et les colons saccagent et tuent, semant la terreur et le chaos, dévastant les villes et les villages par le feu, la chimie et les bulldozers.
Pas une ville, pas un des 19 camps de réfugiés n’est épargné.
Où que le regard se pose, la Cisjordanie est défigurée par la présence de l’occupant. Le mur de l’apartheid balafre les collines et les vallées. Les colonies tailladent les coteaux et les plaines.
Les barrages militaires saturent les routes palestiniennes, barrant les liens, les projets, confisquant l’espace, et avec lui le temps et les vies. Seules la complaisance ou l’ignorance peuvent qualifier de check-points ces barrages militaires : l’occupant n’y checke rien, il bloque ; il y impose sa violence arbitraire, contingentée à son seul caprice.
Les routes réservées aux juifs rayent les vallons et les plateaux. Y circulent sans entrave, à vive allure, les véhicules emportant les colons vers leurs sombres destins de gangsters racistes, de miliciens suprémacistes.
Les forêts elles-mêmes portent la signature de l’occupant. Artificielles, elles cisaillent l’horizon au Nord comme au Sud. Constituées en grande partie de pins d’Europe centrale, plantées sur les ruines des villages palestiniens rasés en 1948 et en 1967, ou en plein désert, ces forêts chamboulent l’écosystème et font disparaître des espèces endémiques comme le lézard de Beersheba, l’iris de Jordanie, la fauvette à lunettes ou le ganga cata.
Les caroubiers, les sauges, les jonquilles et les blés sauvages qui constituaient leur milieu n’y poussent plus.
Partout, la même volonté de la part de l’occupant de gommer une identité, d’imposer par la force une hybris dévastatrice. Partout, le même fait accompli colonial.
Les méga bassines à ciel ouvert, remplies à ras bord de l’eau confisquée aux Palestiniens, s’étalent dans la vallée du Jourdain. L’occupant ouille ses piscines, cultive en plein été des fleurs et des fraises dans le désert avec l’eau qu’il détourne, et accapare à hauteur de 85% les ressources aquifères, tout en contrôlant le reste.
Les colons consomment entre 400 et 700 litres d’eau par jour.
En négatif de l’opulence arrogante de la colonisation, à quelques centaines de mètres de là, les serres et les champs palestiniens sont à l’abandon. Les oliviers, la vigne, les bananiers ont disparu du Sud de la vallée du Jourdain. Les Palestiniens, qui ont toujours travaillé en bonne intelligence avec les ressources, vécu en symbiose avec les saisons et la terre, n’ont plus assez d’eau même pour leurs palmeraies.
L’occupant détruit les puits et les réservoirs des Palestiniens, qui vivent souvent avec 26 litres par jour (bien en-deçà du minimum vital estimé à 50-100 litres/jour par l’OMS).
« Ils nous vendent l’eau qu’ils nous volent », constatent amèrement les Palestiniens.
Derrière chaque colonie, chaque ferme de colon, chaque verger de colon, se cache une confiscation, une dépossession, une évacuation violente, un drame humain, une histoire effacée. Derrière chaque accaparement, il y a une négation, la négation d’un lien à la terre, dont une ou plusieurs familles dégageaient aussi souvent un revenu.
Cette semaine, les tanks sont entrés en Cisjordanie. Ce n’était plus arrivé depuis 2002. Les bulldozers – des habitués des lieux – leur fraient un passage dévastateur, coupant à Jénine à travers quartiers, jardins, maisons, boutiques, faisant voler routes, arbres, murs, écrasant tables, comptoirs, lavabos, lits d’enfants, bibliothèques. La voie est libre, les tanks pourront cracher la mort.
Dans le même temps, partout en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les bulldozers démolissent maison après maison.
Au nom de quelles valeurs l’Occident, pourtant si regardant pour ce qui a trait à la propriété privée, laisse-t-il les bulldozers israéliens semer la dévastation, jetant sur les routes 40 000 Palestiniens ?
Quand jour après jour, en Cisjordanie, les snipers israéliens assassinent les enfants d’une balle dans le dos, les vieilles femmes d’une balle dans la poitrine ; quand jour après jour, l’occupant assassine les hommes par dizaines, recèle leurs corps, lorsqu’il ne les écrase pas au bulldozer ou ne les précipite pas du haut d’un immeuble ; quand jour après jour, l’occupant arrête les hommes par centaines, quelles valeurs suprêmes imposent donc le silence aux médias et à l’Occident, pourtant si prompts à donner des leçons en matière de droits de l’homme ?
Au nom de quels principes le monde laisse-t-il Israël empêcher les Palestiniens de se déplacer, de s’instruire, de travailler, de se soigner, de rendre visite à leurs amis et à leur famille où et quand bon leur semble, dans leur propre pays ?
Au nom de quelles valeurs, quand Israël annexe une partie de la Cisjordanie et appelle ça « Jérusalem », le monde laisse-t-il faire ?
Comment les Palestiniens sont-ils supposés réagir quand ils sont affamés, enfermés, bombardés, mutilés, terrorisés, traumatisés, kidnappés, torturés, brûlés vifs, déplacés de force ? Comment les Palestiniens sont-ils sensés répondre à l’occupation, aux violations incessantes du droit international et du cessez-le-feu à Gaza ?
Riyad Mansour à l’ONU : « L’idée que plus d’injustice, plus de brutalité, plus d’oppression vont apporter la paix, est une folie. L’idée que plus d’assassinats, plus de mutilations, plus de déplacements forcés vont apporter la sécurité est une psychose. »
Note :
Le titre est issu des propos d’Ardi Imseis.
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
1er mars 2025 – Tranmis par l’auteure
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