
28 janvier 2025 - Les Palestiniens déplacés retournent dans ce qui reste de leurs maisons dans le quartier de Shuja'iyya, à l'est de la ville de Gaza, où un nouveau camp de tentes a été installé. Depuis le retrait, hier 27 janvier, des forces coloniales israéliennes du « corridor de Netzarim » qui séparait complètement les parties nord et sud de la bande de Gaza, les Palestiniens ont commencé à revenir en grand nombre dans le nord. Des agents de sécurité d'agences occidentales privées ont été déployés pour fouiller tous les véhicules entrant dans le nord depuis le sud via les points de contrôle. Au cours des 15 derniers mois de la guerre génocidaire israélienne, plus de 90 % de la population de Gaza a été déplacée, souvent à plusieurs reprises. 80 % des habitants de la bande de Gaza sont des réfugiés originaires de villes et de villages de Palestine qui ont été dépeuplés en 1948 - Photo : Yousef al-Zanoun / Activestills
Par Qassam Muaddi
Les États arabes paraissent vouloir assumer la responsabilité de la question palestinienne non seulement parce que leurs projets pour l’avenir de la région sont en jeu, mais aussi parce que la stabilité même des régimes arabes est en jeu. Mais le plan arabe est-il bon pour les Palestiniens ?
Le sommet tant attendu de la Ligue des États arabes a finalement eu lieu au Caire mardi dernier, un mois après les déclarations de Trump disant Gaza deviendrait une « Riviera du Moyen-Orient » – « propriété » des États-Unis et vidée par la force de sa population.
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Le sommet a eu lieu après le rejet du plan américain par plusieurs pays arabes, dont la Jordanie et l’Égypte, que Trump avait identifiés comme des destinations permanentes pour la population de Gaza.
En prévision du sommet, l’Égypte a annoncé à la mi-février un plan de reconstruction de Gaza sans déplacement de population, comme alternative au plan de Trump. Ce plan a été adopté, comme prévu, par le sommet arabe mardi dernier.
Le plan arabe pour la reconstruction de Gaza, expliqué
Le plan prévoit la reconstruction de Gaza en quatre ans, avec des logements modernes, des infrastructures et un réseau de transport. Sa mise en œuvre coûterait 53 milliards de dollars.
Le plan comprend également une projection de l’administration politique de Gaza après la guerre, réaffirmant le lien entre la bande de Gaza et la Cisjordanie et la plaçant dans le cadre d’une solution à deux États.
Le plan prévoit la création d’une commission indépendante pour gérer Gaza pendant la phase de reconstruction, une période de transition destinée à réunir Gaza et la Cisjordanie sous la conduite de l’Autorité palestinienne (AP).
Le plan n’est plus seulement égyptien et constitue désormais la proposition arabe unifiée pour l’avenir de Gaza, censée contrer directement la vision dystopique et criminelle de Trump.
Le gouvernement israélien a rejeté catégoriquement le plan, déclarant dans un communiqué que le sommet arabe n’avait pas tenu compte de ce qu’il a appelé les « faits nouveaux » survenus après le 7 octobre 2023.
Israël a également objecté que le plan arabe ne mentionnait ni ne condamnait les attaques du 7 octobre et continuait de s’appuyer sur l’Autorité palestinienne et l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) dans la phase de reconstruction.
Alors que la Maison Blanche a également rejeté le plan, l’AP et le Hamas l’ont accepté. Des divergences subsistent entre eux sur le sort de l’armements du Hamas et le maintien des Brigades Ezzedine al-Qassam en tant que groupe de résistance armée à Gaza sous l’administration de l’AP.
Il appartient désormais aux États arabes de convaincre l’administration Trump de soutenir leur plan et leur vision plus réaliste que l’expulsion massive de la population de Gaza.
Cela représente un intéressant défi pour les ambitions économiques de Trump au Moyen-Orient.
Les perspectives de normalisation des relations entre les pays arabes et Israël, les méga-investissements prévus dans la région impliquant des ressources naturelles (y compris les réserves de gaz naturel de Gaza) et l’intégration économique d’Israël avec les États du Golfe pour contrer l’expansion économique de la Chine sont en jeu.
Un recul pour la représentation politique palestinienne
Trente-quatre ans après que les Israéliens et les Palestiniens se sont assis pour la première fois à la table des négociations lors de la conférence de Madrid en 1991, et après que les deux parties ont entamé des négociations bilatérales directes à Washington, l’avenir de la cause palestinienne semble désormais dépendre de la capacité des États arabes à parvenir à un accord avec les États-Unis.
Bien que cette situation représente un précédent historique dans lequel les États arabes ont adopté une position unifiée sur la Palestine et se sont adressés d’une seule voix à l’administration américaine, elle constitue également un revers pour la cause palestinienne et une conséquence directe de l’échec des États arabes à l’égard de la cause palestinienne.
La dernière fois que les Arabes ont eu une position unifiée sur la Palestine, c’était lorsque la Ligue arabe a reconnu l’OLP comme le seul et légitime représentant du peuple palestinien lors du sommet de Rabat en 1974.
Il s’agissait d’une étape importante pour remettre la cause palestinienne entre les mains des Palestiniens et dissocier les États arabes de la responsabilité principale de la résolution de la question palestinienne.
La décision arabe de 1974 était elle-même en opposition avec la décision précédemment adoptée lors du sommet de Khartoum de 1968 qui rejetait les négociations avec Israël compte tenu de son occupation des terres arabes dans les hauteurs du Golan syrien, le désert du Sinaï égyptien, la Cisjordanie et Gaza.
La reconnaissance par les pays arabes de la représentation des Palestiniens par l’OLP en 1974 est intervenue après la guerre d’octobre 1973, que l’Égypte et la Syrie considéraient comme leur représailles contre Israël après que le secrétaire d’État américain Henry Kissinger eut commencé à jeter les bases d’un processus politique entre Israël et les États arabes.
En d’autres termes, la reconnaissance de l’OLP en 1974 était un moyen de libérer les États arabes de leur responsabilité envers la Palestine.
La même année, l’OLP adopta un nouveau programme politique, appelé « Programme en dix points », qui acceptait les négociations comme moyen d’établir un État palestinien.
Lorsque l’opposition la plus radicale à la direction d’Arafat au sein de l’OLP, représentée par plusieurs factions de gauche, critiqua Arafat pour avoir fait des compromis sur la libération complète, lui et son camp défendirent leur position en disant qu’ils exerçaient « l’indépendance de la prise de décision palestinienne ».
Depuis 1967, les États arabes ont tenté par tous les moyens de se dégager de leur responsabilité directe dans la résolution de la question palestinienne, tandis que les Palestiniens ont essayé de prendre leur destin en main.
Dans un certain sens, c’est l’une des réalisations les plus tangibles de la lutte palestinienne au cours des dernières décennies.
Mais un demi-siècle plus tard, la voie des négociations est bloquée, la solution à deux États est morte et l’OLP elle-même a perdu une grande partie de sa pertinence.
Ses dirigeants actuels continuent de s’appuyer sur leur passé de lutte politique pour maintenir leur légitimité, sans réel pouvoir ni influence sur le terrain et renonçant complètement à toute forme de résistance ou d’antagonisme envers l’occupation.
Pendant ce temps, une autre force palestinienne, le Hamas, a pris la direction opposée, poussant la stratégie de la lutte armée à ses limites les plus extrêmes. Il est maintenant contraint de négocier pour son propre avenir politique.
Le plus paradoxal est qu’après cinquante ans, l’avenir de la cause palestinienne est de nouveau entre les mains des États arabes et des États-Unis, bien loin de « l’indépendance du processus décisionnel palestinien » d’abord prônée par Yasser Arafat et actualisée par le Hamas.
Pourquoi les États arabes s’intéressent-ils à la Palestine aujourd’hui ?
Les États arabes assument aujourd’hui la responsabilité de la question palestinienne, non seulement parce que leurs projets pour l’avenir de l’économie de la région sont en jeu (lesquels, avant le 7 octobre, avançaient déjà à grands pas, sans tenir compte du peuple palestinien), mais aussi parce que la stabilité des États arabes eux-mêmes est en jeu.
L’alternative à la proposition arabe de reconstruction de Gaza est un « nettoyage ethnique » total, d’abord à Gaza et très probablement ensuite en Cisjordanie.
La figure la plus vociférante de l’extrême-droite israélienne aujourd’hui, le ministre des Finances israélien Bezalel Smotrich, appelle cette vision une « fin définitive du conflit ». Ce qu’Israël et l’administration Trump ne comprennent pas, c’est qu’une expulsion massive des Palestiniens ne mettrait pas fin au « conflit », mais lui donnerait plutôt un nouveau départ.
Après la Nakba de 1948 et l’expulsion massive de plus de 200 000 Palestiniens en 1967, des régimes arabes entiers sont tombés et de nouveaux gouvernements se sont élevés à leur place.
La présence des réfugiés palestiniens dans ces pays s’est transformée, contre toute attente, en une formation militante qui a bénéficié de la sympathie écrasante des sociétés dans lesquelles ils étaient intégrés.
Souvent, cela a menacé la légitimité des pays arabes d’accueil et leur position conciliante envers Israël. Les États arabes qui ont vécu ces expériences le savent.
Les dirigeants politiques palestiniens eux-mêmes sont incapables de parvenir à un programme politique unifié ou de reconstruire le mouvement national palestinien sur une base démocratique.
Une expulsion massive des Palestiniens serait le cataclysme qui ouvrirait une nouvelle ère, et personne ne peut garantir quel type de leadership palestinien en émergera.
La seule alternative est de rétablir la stabilité du système politique palestinien actuel et de lui donner une chance de se redresser. Cela ne peut se faire qu’en réunifiant Gaza et la Cisjordanie sous l’égide de l’OLP, et c’est pourquoi les États arabes ont apporté leur soutien à cette proposition.
Quant au Hamas, il a déjà accepté de renoncer au contrôle de l’administration de Gaza et de faire partie de l’OLP, en faisant sien le programme de l’OLP qui prévoit la création d’un État palestinien dans le cadre d’une solution à deux États.
Le compromis que l’Autorité palestinienne devrait faire pour que cela se produise serait d’autoriser des élections libres et de laisser s’exprimer tous les courants politiques de la société palestinienne, dont beaucoup sont apparus après la scission entre le Fatah et le Hamas en 2007 et n’ont jamais eu la possibilité de jouer un rôle dans la politique palestinienne.
Le génocide de Gaza a été un événement cataclysmique qui ne peut être effacé. Les choses ne seront plus jamais comme avant.
Les divisions politiques internes palestiniennes nempêchent de faire face aux conséquences, et la scène politique israélienne est trop consumée par une vague sans précédent de fanatisme raciste pour produire un leadership pragmatique capable de proposer une vision réaliste de l’avenir.
Alors que le système politique arabe officiel, à travers l’accord trouvé entre les États, revient à la table des négociations pour discuter des termes de leur proposition avec les États-Unis, la réalité géopolitique du Moyen-Orient est en train d’être redessinée.
Mais une chose reste constante : le peuple palestinien n’est pas libre et il n’a pas renoncé à l’être. Le reste sera réorganisé autour de ce fait.
Auteur : Qassam Muaddi
* Qassam Muaddi est un journaliste palestinien basé à Ramallah. Il couvre l’actualité palestinienne : événements politiques, mouvements sociaux, questions culturelles ... Il écrit pour les quotidiens libanais Assafir et Al Akhbar, les sites Middle East Eye, Mondoweiss et The New Arab, ainsi que pour les journaux électroniques palestiniens Metras et Quds News Network.Son compte twitter.
8 mars 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique Palestine
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