Jours de massacres en Syrie

Des réfugiés syriens traversent la rivière Nahr al-Kabir pour rejoindre le village libanais de Hekr El Dahri, fuyant les violences dans les provinces côtières syriennes de Lattaquié et Tartous - Photo : Marwan Naamani

Par Murtaza Hussain

Sous couvert de soulèvement raté, des hommes armés assassinent des centaines de civils dans des villages à majorité alaouite dans le cadre de tueries sectaires.

LATAKIA, Syrie — Samar Yazbek, une romancière primée dont la famille est originaire du village côtier de Besisin, en Syrie, a été terrifiée lorsque des hommes armés et camouflés ont fait irruption dans sa maison familiale vendredi, agressant ses frères et volant leurs voitures, pour revenir le lendemain extorquer de l’argent et de l’or.

« Ils ont saccagé notre maison », a déclaré Yazbek, qui était une opposante virulente de l’ancien régime, à Drop Site News. Mais ce n’est que lorsque Yazbek est sortie qu’elle a commencé à comprendre l’ampleur de l’horreur. « Lorsque nous sommes sortis dans la rue, nous avons vu des combattants en uniforme exécuter des civils, laissant les rues jonchées de cadavres. »

Entre le 6 et le 11 mars, les villes et villages de la côte méditerranéenne syrienne ont été le théâtre d’une vague de violences de masse visant les civils de la minorité alaouite. Il s’agit des pires violences en Syrie depuis que la chute de l’ancien président Bachar al-Assad à la mi-décembre a conduit à la prise du pouvoir par une coalition de milices dirigée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Des vidéos choquantes montrant les conséquences d’exécutions de masse, ainsi que les récits des survivants, font état d’un nombre de morts effarant.

Après plusieurs jours d’affrontements contre ce qu’il a décrit comme des « vestiges du régime », le pouvoir syrien a déclaré lundi la fin des opérations militaires sur la côte, annonçant qu’il avait repris le contrôle de la zone. Au fur et à mesure que des informations émanant de la province ont été publiées, il est devenu évident que des militants du pouvoir en place avaient perpétré des massacres à grande échelle dans des villages alaouites, les survivants étant contraints de fuir vers les montagnes pour se mettre en sécurité ou vers la base militaire russe voisine de Hmeimim.

Les massacres de civils ont eu lieu après une série d’attaques qui auraient prétendument été menées par des forces paramilitaires armées dirigées par d’anciens officiers de l’armée de l’époque Assad, qui auraient tué 231 membres des forces de sécurité affiliées au pouvoir du HTS, selon le commandement des opérations militaires du nouveau régime.

La violence avait une composante sectaire évidente. La famille Assad, qui a dirigé la Syrie pendant plus d’un demi-siècle, est alaouite, et de nombreuses personnalités militaires de haut rang du régime sont également issues de cette minorité, qui représente une petite part de la population syrienne, majoritairement sunnite.

Les groupes minoritaires, dont les civils alaouites, ont été régulièrement pris pour cible par les milices sectaires pendant la guerre civile qui a duré plus de dix ans dans le pays.

Le pouvoir intérimaire a répondu aux premières attaques contre ses forces par une opération militaire de grande envergure dans les provinces côtières de Lattaquié et de Tartous, tout en lançant un appel à la mobilisation générale des milices alliées et des combattants irréguliers à travers le pays.

Selon un rapport de Human Rights Watch sur les massacres, après une mobilisation totale des forces répressives ordonnée par le chef de la sécurité publique de Lattaquié le 6 mars, le lendemain, al-Sharaa a publié une déclaration affirmant que « le temps du pardon était révolu » et appelant à la « libération » et à la « purification » de la région tout en exhortant les forces de sécurité à protéger les civils.

Des convois de combattants armés arrivant d’Alep, d’Idlib, de Hama et de Homs ont envahi la région pendant plusieurs jours, lançant des attaques contre les communautés alaouites sur toute la côte. Des vidéos montrant des exécutions massives, des abus et des humiliations de civils, ainsi que des pillages ont rapidement inondé les médias sociaux.

L’ampleur des massacres est toujours en cours de comptabilisation par les observateurs internationaux. L’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé au Royaume-Uni, a estimé que plus de 1300 personnes ont été tuées depuis le 6 mars dans les communautés côtières de Syrie.

Le Réseau syrien pour les droits de l’homme (SNHR), une autre organisation de surveillance, a jusqu’à présent estimé que 432 membres des forces de sécurité du gouvernement intérimaire et civils ont été tués par d’anciens combattants de l’armée d’Assad, tandis qu’au moins 529 personnes, « y compris des civils et des membres désarmés des restes du régime d’Assad », ont été tuées par des milices alignées sur le pouvoir, ce qui porte le total à plus de 900 morts et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

Mardi, le Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a également déclaré qu’il avait « jusqu’à présent documenté le meurtre de 111 civils », ajoutant que son enquête était en cours et que « le nombre réel de personnes tuées est probablement beaucoup plus élevé ».

Le pouvoir dirigé par le HTS a prétendu que ses attaques visaient des éléments de l’ancien régime soupçonnés de tenter un coup d’État, et a attribué les attaques contre des civils à des violations individuelles commises par des combattants. Mais de nombreux témoins des attaques ont contesté cette affirmation, décrivant ce qui semblait être des massacres sectaires généralisés visant des communautés alaouites non impliquées dans un quelconque soulèvement.

Le HTS est toujours désigné comme une organisation terroriste par le gouvernement américain et d’autres puissances occidentales. En décembre dernier, l’administration Biden a levé la prime de 10 millions de dollars que les États-Unis avaient mise sur la tête du chef du HTS, Ahmed al-Sharaa, alors connu sous son nom de guerre Mohammad al-Jolani, en 2013, affirmant qu’il avait adopté une « vision violente et sectaire » et notant que les forces qu’il dirigeait « avaient mené de multiples attentats-suicides à travers la Syrie ».

Al-Sharaa, ancien dirigeant d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique, a affirmé renoncer à ses anciennes affiliations et a voulu se relooker dans les années qui ont précédé le renversement du gouvernement d’Assad.

Les attaques meurtrières de la semaine dernière contre des villages alaouites ont intensifié les craintes quant au sort des minorités syriennes sous le nouveau régime et à la possibilité de nouveaux massacres sectaires à l’avenir.

Des vidéos des massacres diffusées sur les réseaux sociaux indiquent l’implication de combattants de factions de l’Armée nationale syrienne (SNA), un groupe soutenu par la Turquie qui a aidé HTS dans sa campagne pour renverser Assad.

Dans certaines vidéos macabres partagées sur les réseaux sociaux, des hommes armés mentionnent ouvertement les noms de leurs brigades au sein de l’Armée nationale syrienne, alors qu’ils se tiennent devant des rangées de corps de personnes exécutées.

L’Armée nationale syrienne a déjà été sanctionnée par le gouvernement américain pour son implication dans des crimes contre l’humanité contre des civils kurdes dans le nord de la Syrie. Un responsable de l’Armée nationale syrienne qui s’est entretenu avec Drop Site a reconnu que ses troupes avaient été impliquées dans des meurtres, mais il a qualifié ces derniers d’« actes individuels qui n’ont pas été tolérés ni encouragés par les chefs ».

« Personne n’en est sorti vivant »

Sawsan Khalil, une femme originaire d’un village près de Jableh, a fui, comme beaucoup d’autres, son domicile pour se réfugier dans les collines et les forêts de la région, après avoir entendu des récits sur le meurtre d’amis et de collègues dans les communautés voisines.

« Lorsque les groupes armés sont arrivés chez mon collègue, qui est professeur de physique et vivait avec sa mère, sa sœur et son fils de 3 ans, ils lui ont demandé s’il était sunnite ou alaouite », a-t-elle rapporté à Drop Site. « Ils ont ensuite pris ses clés de voiture, son or et son argent, puis l’ont exécuté devant sa famille. Son corps est resté là pendant trois jours avant qu’ils puissent l’enterrer. Notre voisin, Majd Barhoum, a connu le même sort. Ils ont pris sa voiture et son or, puis l’ont tué devant sa femme et ses trois enfants. »

Forcée de fuir son domicile, Khalil a raconté qu’elle et d’autres personnes s’étaient enfuies dans la campagne près de leur village et avaient passé des jours à se cacher des tueurs. « Nous avons passé quatre jours avec à peine assez de nourriture et sans électricité », a-t-elle raconté. « Si nous trouvions une maison avec de l’énergie solaire, nous y chargions nos téléphones. »

Selon les informations diffusées par les médias locaux, les premières attaques menées par des insurgés armés liés à l’ancien régime visaient des positions militaires, des hôpitaux et d’autres infrastructures essentielles de la région, menaçant ainsi l’emprise du gouvernement dirigé par le HTS sur la région. Des images de soldats du gouvernement tués par le HTS ont été largement diffusées sur Telegram en début de semaine, montrant également des exécutions sommaires apparentes.

Faute de moyens pour contrôler l’ensemble du pays ou réprimer seul le soulèvement, le pouvoir dirigé par le HTS a répondu à la révolte par un appel général aux armes dans toute la Syrie. Des appels au djihad armé ont été lancés depuis les mosquées des grandes villes, exhortant à la fois les milices organisées et les combattants irréguliers de la population sunnite majoritaire à rejoindre le combat.

Il en a résulté un déluge de militants arrivant sur la côte, dont beaucoup étaient déterminés à infliger une punition collective à la population alaouite.

Selon plusieurs témoins directs qui se sont entretenus avec Drop Site, les massacres dans les villages alaouites étaient souvent précédés d’actes d’humiliation verbaux et physiques. Dans au moins un village, des hommes ont été contraints de ramper sur le sol et d’aboyer comme des chiens, avant d’être traînés par des militants et exécutés.

Les survivants et les témoins des attaques ont déclaré à Drop Site que certains des pires abus ont été commis après le passage des forces du HTS dans une zone, suivis par d’autres militants dont l’affiliation était inconnue, et qui se sont livrés à des massacres dans la population.

« Le village de Brabshbo a cherché refuge dans les forêts. Lorsque les forces répressivs sont entrées, elles ont annoncé par haut-parleurs qu’elles garantissaient la sécurité. Les habitants, qui se sont laissés convaincre, sont rentrés chez eux », a déclaré Ahmad Ibrahim, qui a été témoin des suites des massacres.

« Cependant, dès que les forces se sont retirées, l’une des factions est entrée et a massacré tous les habitants du village. Personne n’en est sorti vivant. »

Des vidéos sur les réseaux sociaux, qui proviendraient de Brabshbo, semblent corroborer le récit du massacre, montrant des rangées de cadavres et des personnes en deuil alignées dans les rues du village.

Fadi Moussa, un habitant de longue date d’Ain al-Arous à Lattaquié, se souvient du crépitement persistant des tirs alors qu’il courait dans les rues à la recherche d’un endroit sûr. Il a déclaré que les maisons étaient systématiquement pillées et incendiées, car de nombreux habitants avaient fui vers la base aérienne russe de Hmeimim, située à proximité, à Jableh.

« Les Russes ont installé privisoirement des tentes pour accueillir le nombre croissant de personnes déplacées », a-t-il déclaré à Drop Site, ajoutant qu’il n’avait pas l’intention de rentrer chez lui de sitôt après les violences dont il avait été témoin. Pendant ce temps, des milliers de Syriens ont également fui vers le Liban voisin, selon l’ONU.

Plusieurs témoins directs ont rapporté que des villages entiers avaient été incendiés et que leurs habitants avaient été expulsés. Dans le seul village de Sanobar, une centaine de civils auraient été tués en quelques heures.

Un survivant, qui s’est entretenu avec Drop Site la semaine dernière sous couvert d’anonymat par crainte pour sa sécurité, a réussi à s’échapper de Sanobar pour se rendre dans la ville de Lattaquié. « Les corps gisent encore dans les rues », a-t-il déclaré. « Et de nouveaux groupes armés sont arrivés pour achever ceux qui ont survécu à la première vague. »

Le commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a demandé dimanche que des enquêtes soient menées sur les massacres. « Le massacre de civils dans les zones côtières du nord-ouest de la Syrie doit cesser immédiatement », a déclaré M. Türk dans un communiqué de presse.

« Nous recevons des informations extrêmement inquiétantes faisant état de familles entières, y compris des femmes, des enfants et des combattants faits prisonniers, qui sont tuées. Des exécutions sommaires à caractère sectaire sont signalées, perpétrées par des auteurs non identifiés, par des membres des forces de sécurité du pouvoir intérimaire, ainsi que par des éléments associés à l’ancien gouvernement. »

Dans un discours télévisé dimanche, Al-Sharaa a préténdu vouloir tenir pour responsables tous ceux qui participent à des actes de violence ou à des meurtres de civils. Il a également promis de traquer les partisans d’Assad. « Aujourd’hui, alors que nous sommes à un moment critique, nous sommes confrontés à un nouveau danger : les tentatives des vestiges de l’ancien régime et de leurs soutiens étrangers d’inciter à de nouveaux conflits et de plonger notre pays dans une guerre civile, dans le but de le diviser et de détruire son unité et sa stabilité », a-t-il déclaré.

« Nous affirmons que nous tiendrons pour responsables, fermement et sans indulgence, quiconque est impliqué dans le massacre de civils ou porte atteinte à notre peuple, qui outrepasse les pouvoirs de l’État ou exploite l’autorité pour parvenir à ses propres fins. »

Le « président » par intérim a annoncé la décision de former un « comité indépendant » chargé d’enquêter sur les violences contre les civils. Mais cela n’a guère réconforté les survivants. « Nous ne leur faisons aucunement confiance », a déclaré un habitant qui avait fui un village alaouite, sous couvert d’anonymat par crainte de représailles.

« Il n’y aura pas de véritable enquête, pas de véritable justice. Ce qui se passe ici, c’est un extermination systématique. »

« Tout ce que je veux maintenant, c’est fuir »

La prétendue « communauté internationale » s’inquiète depuis longtemps du sort des alaouites et des autres minorités en Syrie sous un pouvoir dirigé par d’anciens militants d’Al-Qaïda et de l’État islamique. Après la chute d’Assad, le nouveau gouvernement a déclaré une amnistie générale pour tous les militaires associés à l’ancien régime, à condition qu’il n’y ait aucune preuve qu’ils aient personnellement participé à des massacres ou à des crimes contre l’humanité.

Pourtant, si les attaques de cette semaine ont été les pires depuis la chute d’Assad, elles n’étaient pas les premières. Une série d’autres crimes a eu lieu ces derniers mois, perpétrés par des milices contre les communautés alaouites dans la ville de Homs et ses environs.

De nombreux groupes armés en Syrie cherchent maintenant à se venger des crimes commis par le régime d’Assad pendant la guerre, et le pouvoir du HTS a été accusé de fermer les yeux sur ces attaques sectaires.

Les habitants de la ville de Baniyas, où de nombreux habitants ont été massacrés cette semaine, ont déclaré aux journalistes que les auteurs étaient « des Syriens des villages environnants cherchant à se venger d’un massacre perpétré en 2013 dans la ville voisine de Beyda, où des paramilitaires ont tué plusieurs centaines de sunnites ».

Mais au milieu du chaos général des combats et des massacres de cette semaine, des alaouites d’autres régions de la côte ont raconté que leurs voisins sunnites étaient intervenus pour sauver leurs amis et leur famille.

« Un groupe d’hommes armés a menacé mon ami Abid – quand je dis ‘hommes armés’, je n’ai aucune idée s’ils faisaient partie d’une faction, d’une brigade ou d’autre chose. Ils ont exigé de savoir s’il était alaouite ou sunnite et de montrer sa carte d’identité », a déclaré une femme alaouite de Jableh qui s’est entretenue avec Drop Site.

« Ils n’arrêtaient pas de lui crier dessus, le pressant de prouver son identité. Mais alors, ses voisins d’Idlib sont intervenus. Une femme a ouvert sa porte et leur a dit : ‘C’est mon frère. C’est mon frère’, et elle l’a fait entrer chez elle. »

Dans une déclaration faite cette semaine sur les attaques, le chef des militants kurdes Mazlum Abdi a semblé rejeter la responsabilité sur l’ASN soutenue par la Turquie, affirmant que ses forces étaient « principalement responsables des massacres », tout en appelant le nouveau pouvoir à « reconsidérer la méthode de formation de la nouvelle armée syrienne et le comportement des factions armées », afin de mettre fin aux conflits sectaires et au règlement des comptes.

Le groupe d’Abdi, les Forces démocratiques syriennes soutenues par les États-Unis, qui sont des rivales acharnées de l’ASN, ont signé lundi un accord de réconciliation avec le pouvoir syrien qui devrait entraîner un partage du pouvoir et l’intégration de leurs forces.

Les massacres ont brisé l’optimisme que certains alaouites ressentaient quant à leur avenir après la chute d’Assad. « Je voulais partir pendant le règne d’Assad, mais je suis resté, espérant sa chute. Aujourd’hui, je suis certain que cette terre est sanglante et maudite, ne se reproduisant que pour dévorer ses enfants à l’aube », a déclaré un homme qui s’est entretenu avec Drop Site.

« Tout ce que je veux maintenant, c’est fuir vers n’importe quel pays, loin de cet enfer. »

14 mars 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine

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