
1er avril 2025 - Souffrant d'une contusion pulmonaire aiguë [hématome d’un poumon, qui entraîne un saignement et un gonflement], Jannah, 12 ans, est allongée dans un lit d'hôpital à l'hôpital Al-Aqsa Martys de Deir al-Balah - Photo : Abubaker Abed
Par Abubaker Abed
À l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, dans le centre de Gaza, les médecins palestiniens perdent des patients qu’ils auraient pu sauver, à cause de la pénurie de matériel et de médicaments.
DEIR AL-BALAH, GAZA – L’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah est un lieu où se concentrent l’horreur et la souffrance. Il n’y a pas un instant de tranquillité ici. Un flot constant d’ambulances arrive en urgence, chargées de blessés, principalement des corps écrasés et carbonisés et des enfants démembrés.
Les salles résonnent des cris des mères. Des bambins en sanglots errent dans les couloirs à la recherche de membres de leur famille. Des prières funéraires ont lieu toutes les heures, et cela est à peine suffisant pour répondre au nombre de morts qui augmente sans cesse.
La morgue de l’hôpital est un véritable charnier : les corps sont empilés les uns sur les autres. Une petite rivière de sang s’écoule à l’extérieur, serpentant sous les pieds des parents qui attendent de voir leurs proches une dernière fois.
Les cris de douleur de ceux qui transportent des corps mutilés au cimetière voisin sursaturé et cherchent une tombe vide sans en trouver, emplissent l’air.
À l’intérieur, les survivants, impuissants, attendent debout, appuyés aux murs, et prient pour que le carnage prenne fin – ou pour qu’une frappe aérienne israélienne les tue enfin et mette fin à leurs souffrances.
La zone autour de l’établissement médical est continuellement bombardée. Au cours de la nuit, Israël a frappé des tentes en bordure de l’enceinte de l’hôpital, blessant trois personnes qui cherchaient un abri, comme des milliers d’autres résidents déplacés.
À l’extérieur de l’hôpital Nasser, à Khan Younis, Israël a bombardé une tente destinée aux médias, y mettant le feu, tuant le journaliste Hilmi al-Faqawi et un autre civil, et blessant six autres reporters.
Tout en hurlant de terreur, des collègues ont capturé des images obsédantes de l’incident, où l’on voit le journaliste Ahmed Mansour, assis, immobile, pendant qu’il est englouti par les flammes avant que l’on ne parvienne à le sortir de là, grièvement blessé.
Deux jours plus tôt, une autre frappe aérienne a eu lieu près de l’entrée de l’hôpital Al-Aqsa, tuant mon cousin Salman Abed et son fils Mahmoud. Puis, dimanche, une autre frappe aérienne à Khan Younis a tué dix autres membres de ma famille, dont ma tante, un autre cousin, son mari et six enfants.
Comme tous les autres établissements médicaux encore debout à Gaza, l’hôpital Al-Aqsa ne peut quasiment pas fonctionner. Des blouses et des bandages tachés de sang jonchent le sol. Il y a des couvertures déchirées sur des brancards hors d’usage.
Le Dr Izzeddin Shahin, un médecin de 31 ans spécialisé dans la réanimation et les soins intensifs, s’efforce de prodiguer ses soins malgré la grave pénurie de fournitures médicales de base due au blocus israélien.
« Deux chirurgiens, deux ventilateurs et quatre lits de soins intensifs, c’est tout ce dont nous disposons à l’hôpital pour le moment. Nous manquons également de supports de perfusion, de réchauffeurs de sang, de pompes à seringues et de médicaments vitaux comme l’adrénaline », a déclaré Shahin à Drop Site.
« Les patients nous demandent des matelas médicaux et des anticoagulants, mais il n’y en a pas », a-t-il ajouté. « Nous manquons de gaze et de coton, ainsi que de stérilisants et d’alcool, si bien que nous avons parfois recours à des serviettes hygiéniques en guise de gaze. Nous sommes obligés de commencer les soins dans des salles non stérilisées, avec seulement des gants. C’est pourquoi certains blessés finissent par mourir. »

1e avril 2025 – Le Dr Izzeddin Shahin dans la salle des opérations principale de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah – Photo : Abubaker Abed
Dans un communiqué publié lundi à l’occasion de la Journée mondiale de la santé, le ministère de la santé de Gaza a déclaré que 37 % de tous les médicaments essentiels et 59 % des fournitures médicales ont été complètement épuisées et sont « à zéro ».
« La bande de Gaza est privée de médicaments, et des répercussions graves et catastrophiques viendront s’ajouter à la détérioration de la situation sanitaire et humanitaire », a déclaré le ministère.
Les hôpitaux fonctionnent grâce à des générateurs, poursuit le communiqué, qui risquent de s’arrêter en raison de la pénurie de carburant et de pièces de rechange.
Les forces israéliennes ayant détruit les appareils de tomodensitométrie et d’imagerie par résonance magnétique, les patients sont désormais privés de services d’imagerie diagnostique.
Par ailleurs, 40 % des médicaments pour les premiers soins et 54 % des médicaments contre le cancer et les maladies du sang sont en rupture de stock, ce qui perturbe les protocoles de traitement.
Shahin nous a parlé d’un garçon de 9 ans, qu’il avait traité, à son arrivée à l’hôpital, la semaine précédente. Il avait de terribles blessures ouvertes à l’abdomen et à la cuisse, des brûlures par explosifs et de multiples fractures au bassin, à la suite d’une frappe aérienne israélienne.
« Nous avons fait de notre mieux pour le soigner et lui sauver la vie. Nous lui avons fait une transfusion sanguine dans la salle d’opération, puis il a été transporté en soins intensifs pour subir une intervention chirurgicale, mais il a malheureusement succombé à ses blessures une demi-heure plus tard », a déclaré Shahin.
« Son cas était très critique et il avait besoin de toute une série de fournitures médicales qui font défaut à l’hôpital, notamment des points de suture appropriés, des fraises à os et des doses de sang. C’est la raison pour laquelle ces blessés meurent ».
Shahin a mentionné un autre enfant, âgé de 11 ans, qui est arrivé à l’hôpital avec des fractures aux jambes, des éclats d’obus dans l’estomac et des brûlures sur plus de 60 % de son corps.
« Les éclats d’obus avaient déchiré ses intestins et atteint son foie. Bien que nous ayons réussi à contrôler l’hémorragie interne, l’état de l’enfant s’est détérioré et il est décédé quelques heures plus tard en raison de la pénurie aiguë de médicaments et de fournitures médicales vitales », a déclaré Shahin.

1e avril 2025 – Mariam Isa, sept ans, est allongée dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah – Photo : Abubaker Abed
Drop Site a rencontré un autre médecin de l’hôpital Al-Aqsa, le Dr Amro Al-Talaqa, qui est un généraliste de 29 ans qui travaille aux soins intensifs. Il a reçu trois cas critiques il y a quelques jours, a-t-il déclaré à Drop Site, qui ont succombé à leurs blessures peu de temps après avoir été admis aux soins intensifs.
« Au cours des trente derniers jours, nous avons perdu une quarantaine de patients en raison du manque de fournitures et d’équipements médicaux au sein de l’unité de soins intensifs, qui compte désormais cinq patients qui risquent de perdre la vie à tout moment », a déclaré Al-Talaqa.
« De nombreux patients meurent après avoir été admis à l’unité de soins intensifs en raison de la grave pénurie de solutions médicales spéciales et d’anesthésiques pour les traumatismes crâniens et le traitement des enfants en général. Nous avons également un besoin urgent de ventilateurs, de moniteurs, de ciseaux et de scalpels ».
Al-Talaqa a ajouté : « L’hôpital n’est pas en mesure d’assurer le changement quotidien des pansements des blessés. Certains patients auraient besoin d’au moins huit bandages crêpés, mais on ne peut les changer que deux ou trois par jour. C’est dangereux pour les patients car cela entraîne la prolifération d’infections virales dans l’unité de soins intensifs. La probabilité de décès atteint parfois jusqu’à 90 % parce que nous n’avons pas accès à ce matériel de base et nous n’avons pas non plus la place nécessaire pour accueillir les blessés, ce qui nous oblige parfois à placer deux patients sur un seul lit pour pouvoir leur fournir l’oxygène nécessaire à leur survie ».
Il a aussi cité le cas de Jannah, une fillette de 12 ans hospitalisée en soins intensifs pour une contusion pulmonaire aiguë, qui a dû être intubée et opérée, bien que les fournitures médicales fassent défaut.
« La plupart des cas que nous recevons sont des traumatismes crâniens et des blessures par balle à la poitrine qui nécessitent un séjour en soins intensifs de 30 à 60 jours », a-t-il déclaré.
Il a souligné que la plupart des enfants qu’ils soignent n’ont pas de famille survivante et qu’ils ont besoin de soins de santé mentale pour pouvoir s’en sortir. « Nous manquons littéralement de tout à l’hôpital », a-t-il expliqué.
Dans une salle voisine se trouve Ismail Abu-Lebda, un patient de 37 ans hospitalisé à l’hôpital Al-Aqsa depuis le début de la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza, lorsque les frappes aériennes d’octobre 2023 ont anéanti leur quartier résidentiel.
Cette attaque a tué deux de ses filles et l’a laissé avec des blessures par perforation et des fractures multiples complexes aux jambes.

1e avril 2025 – Ismail Abu-Lebda est hospitalisé à l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa depuis octobre 2023 après avoir été blessé lors d’une frappe aérienne qui a tué deux de ses filles – Photo : Abubaker Abed
« Il existe une liste de nombreux médicaments et antibiotiques que les médecins m’ont prescrits et que je devrais prendre, mais qui ne sont pas disponibles », a déclaré M. Abu-Lebda.
« Par conséquent, je prends de mauvais substituts tels que Rocephin et Paracetamol qui ne soulagent guère mes souffrances. Je dois prendre du Declophen, qui est mauvais pour les os, pour dormir. Je prends également d’autres médicaments pour essayer de faire face à la douleur. Il n’y a même pas ici d’appareil pour pomper le sang coagulé entre mes os écrasés. J’aurais également besoin d’une bonne alimentation, en particulier de viande et de poisson, mais je ne mange que des conserves de mauvaise qualité une ou deux fois par jour, ce qui augmente les complications au fil du temps », a-t-il déclaré, la voix altérée par la souffrance.
Selon le directeur médical de l’hôpital Al-Aqsa, le Dr Eyad Al-Jabri, l’hôpital risque de fermer complètement en raison du manque de carburant et de fournitures médicales. « Nous avons deux générateurs, le premier n’a plus de carburant et le second n’en a plus que quelques litres », a déclaré Eyad Al-Jabri à Drop Site.
« Nous devons donner la priorité aux services de l’hôpital et aux blessés qui ont une chance de survivre. C’est le manque de place et la pénurie de fournitures qui nous obligent à prendre ces décisions difficiles. Nous ne disposons que de très peu de ressources et nous ne les utilisons que pour les cas très urgents ».
Al-Jabri a déclaré qu’avant le cessez-le-feu, l’hôpital effectuait jusqu’à 1500 interventions chirurgicales par mois. « Notre personnel est complètement épuisé et ne peut pas continuer à travailler dans des conditions aussi difficiles. De plus, le personnel ne perçoit pas toujours de salaire », a-t-il dit.
« Nous avons actuellement 210 patients à l’hôpital qui manquent d’une alimentation adéquate et de médicaments appropriés pour se rétablir. Le manque de machines de dialyse a causé des centaines de décès au cours des derniers mois. Nous parlons beaucoup du manque de gants et de gaze, mais, en fait, l’hôpital manque de tout, y compris d’équipements essentiels comme les réanimateurs, les moniteurs et les électrocardiogrammes. »
« Nous ne pouvons pratiquer que certaines interventions chirurgicales car nous n’avons pas les moyens d’effectuer toutes les opérations », a-t-il ajouté. « Il n’y a pas assez d’antibiotiques et d’anesthésiques ».
Al-Jabri a également souligné qu’en raison du blocus, les délégations médicales internationales et les camions d’aide humanitaire chargés de médicaments essentiels et de produits de première nécessité sont limités par l’armée d’occupation -ou ne sont pas autorisés du tout à entrer dans la bande de Gaza. « Les Israéliens empêchent des médecins qualifiés de venir nous aider et bloquent les gros chargements de produits médicaux de base qui sont envoyés à Gaza », a-t-il déclaré.
« L’hôpital est sur le point de fermer à cause du siège israélien », a déclaré Al-Jabri. « Cela détruira la vie des milliers de personnes qui vivent dans le centre de Gaza, sous les bombardements incessants et impitoyables de l’armée génocidaire ».
Auteur : Abubaker Abed
* Abubaker Abed est un correspondant de guerre par circonstance à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza. Il a été projeté dans une zone de guerre active pour rendre compte du génocide. Il est journaliste et commentateur de football.
7 avril 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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