Par Blake Alcott
S’adressant au Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou le 16 juillet 2017, le président français Emmanuel Macron a répété la formule en vogue qui dit que l’antisionisme est antisémite. Pour Macron, les manifestations antisionistes et anti-Israël sont « une nouvelle forme d’antisémitisme. » Nous entendons ceci presque quotidiennement, et bientôt l’un de nous, les antisionistes va atterrir en prison pour avoir soutenu que seul un état palestinien, démocratique en Palestine a le droit d’y exister.
Il y a seulement quelques décennies, et pendant quelques décennies seulement, le sionisme était déclaré raciste, mais maintenant le chef d’état d’un membre du Conseil de Sécurité, la France prétend que c’est l’anti sionisme qui est raciste.
Il y a toutefois un gros défaut du point de vue logique à ce raisonnement qui considère qu’il est antisémite de penser qu’Israël devrait être remplacé par une démocratie : La position antisioniste nie à un état juif le droit d’exister en Palestine, aux dépends des Palestiniens indigènes. Elle ne nie pas à des juifs, “aux juifs”, le droit d’avoir leur propre état quelque part, sans que ce soit aux dépends de quelqu’un. Ni ne l’affirme forcément. Cette position pro-palestinienne nie simplement le droit d’un quelconque état, qu’il soit juif ou autre, de s’imposer à la Palestine contre la volonté des Palestiniens indigènes.
La question, donc, n’a jamais été de se prononcer par Oui ou par Non sur le sujet de l’autodétermination juive en tant que telle, incarnée par un état. Même si la réponse est positive, cela n’équivaut pas à un Oui à Israël : la prétention de certains juifs, ou de juifs sionistes, ou de juifs européens, ou de sionistes chrétiens, que la Palestine appartient ‘aux juifs’ ne tient pas. Cette terre a appartenu et appartient toujours aux habitants de chair et de sang du vingtième siècle dont les ancêtres y vivaient depuis des siècles ou des millénaires.
Au contraire, la question a toujours été de savoir sur quelle terre et au frais de qui un état juif pouvait en toute justice être établi. Ça ne pouvait en aucun être la Palestine parce que selon des critères moraux et rationnels les droits de propriété et les droits politiques des Palestiniens, qu’il soient musulmans, chrétiens, juifs ou athées, ont préséance.
Ce sont là les problèmes qui rendent impossible tout justification éthique du sionisme, qui affirme avec insistance que son état doit se trouver en Palestine. Que l’état imposé soit juif n’est pas le propos. Ce qui l’est, c’est qu’il soit imposé, et nécessairement par les armes.
L’antisionisme, – mieux le pro-palestinianisme – ne se prononce donc pas du tout sur la question générale de l’autodétermination juive. Il peut même, malgré de solides arguments de principe contre des états définis selon des caractéristiques ethno-religieuses, éprouver une grande bienveillance pour le vœux de nombreux juifs d’avoir un havre où ils seront protégés des persécutions européennes. Mais pas aux dépends existentiels d’autres.
Dans le cadre de ce débat, il n’est même pas nécessaire de définir ce que l’on entend par “état juif”. Que ce soit quelque chose de douillet, avec un drapeau représentant l’étoile de David et Hanoukka au lieu de Noël, ou la réelle entité sioniste qui privilégie légalement les juifs et refuse aux Palestiniens victimes du nettoyage ethnique leur droit au retour, n’entre pas en ligne de compte. L’un ou l’autre, s’il est rejeté par une majorité de la population indigène de Palestine, est illégitime.
Voilà en fait ce que signifie contester la légitimité d’Israël : c’est une colonie européenne qui a pu s’établir grâce au soutien britannique. Une condition nécessaire à l’existence de l’état sioniste fut et est la suppression du droit à l’autodétermination des Palestiniens. Affirmer que l’état d’Israël est illégitime n’a ainsi intrinsèquement rien à voir avec le judaïsme ou les juifs, mais seulement avec le fait que c’est le sionisme qui a jeté la première pierre d’un colonialisme agressif. L’entité politique légitime n’a jamais voulu d’Israël, point final.
En d’autres termes, d’un point de vue moral le problème du sionisme c’est qu’Israël est au mauvais endroit. N’importe quel endroit serait mauvais si l’existence de l’état impliquait conquête militaire et nettoyage ethnique. Que l’antisémitisme, qui a donné naissance au sionisme en premier lieu fût européen, n’ayant rien à voir avec les Palestiniens, ne fait que remuer le couteau dans la plaie des Palestiniens et de la justice.
Ainsi, nous pouvons dire qu’Israël n’a aucun droit d’exister (il n’est pas juste qu’il existe), là où il est et de la manière dont il se perpétue, sans même mentionner les juifs, une collectivité juive, la notion d’état juif ou l’autodétermination juive. Nous parlons de la Palestine et des Palestiniens.
Nous devrions en fait débuter tout débat sur la Palestine et Israël en parlant de la Palestine, et non de philo- ou d’antisémitisme, ni des tenants et aboutissants de l’entreprise sioniste, ni des revendications historiques de certains résidents d’un passé lointain. Au début du sionisme politique moderne il y avait des Palestiniens indigènes, et leurs droits imprescriptibles et inaliénables devraient être notre point de mire, objectif positif qui ne nécessite pas qu’on prenne sa défense contre des accusations tirées par les cheveux concernant une quelconque attitude à l’égard des juifs et de leur aspirations nationales.
Nos arguments en faveur de la seule légitimité d’un état défini par la majorité des Palestiniens – où qu’ils résident maintenant – impliquent de fait la conclusion exprimée en termes négatifs qu’Israël est illégitime. Mais il n’est nul besoin que l’argument en faveur de l’auto-détermination palestinienne, en Palestine, ne fasse mention du groupe ethnique ou religieux particulier non-indigène selon lequel Israël se définit lui-même. Ainsi, l’affirmation selon laquelle l’antisionisme qu’implique une reconnaissance entière des droits des Palestiniens est de l’antisémitisme tombe à plat car sans objet.
La définition de l’AIMH
L’amalgame fait entre l’opposition à Israël et l’opposition aux juifs est donc honteusement illogique. Et pourtant, c’est précisément ce que fait le président français, ainsi que l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (AIMH). Mais avant d’examiner la définition de cette organisation, qu’est-ce que l’antisémitisme ? Ce n’est pas si compliqué à définir. C’est de l’antipathie ou de la violence à l’égard des juifs, ou tout autre forme de mauvais traitement à leur encontre, en raison de leur filiation ou de leur religion. (Sans cette raison, la violence et les mauvais traitements demeurent des crimes, mais pas racistes.) Personne ne choisit ses ancêtres, de sorte que de telles attitudes et actions sont criminelles et racistes.
La définition de l’antisémitisme utilisée maintenant pour que ce terme ne se réfère plus seulement aux juifs en tant que tels mais au sionisme et à Israël a une longue histoire, mais la voici, noir sur blanc, dans sa version très influente de l’AIMH : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui conduit à des manifestations de haine envers les Juifs. Ces manifestations rhétoriques et/ou physiques de l’antisémitisme sont dirigées vers des individus, juifs ou non-juifs et / ou leurs biens, et envers leurs institutions communautaires et installations religieuses juives. » (version française : Le portail juif francophone)
Bien que la formulation « haine envers les juifs » fasse abstraction de l’expression déterminante “parce qu’ils sont juifs”, acceptons cette soi-disant « définition de travail non juridiquement contraignante » adoptée par l’AIMH le 26 mai 2016.
Viennent ensuite les parties illogiques : « Parmi ces manifestations il peut y avoir celles qui ciblent l’État d’Israël en tant que collectivité juive… Des exemples contemporains d’antisémitisme dans la vie publique … incluent … nier au peuple juif le droit à l’autodétermination, par exemple, en prétendant que l’existence de l’Etat d’Israël est une entreprise raciste. »
Mais bien sûr, l’antisionisme ne cible pas Israël parce que c’est « une collectivité juive » (quoi que cela veuille dire) et ne nie pas le droit théorique de tout groupe ethnique ou religieux d’essayer d’établir pacifiquement son propre état. Il identifie par contre le sionisme comme étant raciste envers les non-juifs de Palestine.
Une fois encore, vous pouvez claironner le droit du peuple juif à l’autodétermination sous la forme d’un état souverain – si fait sans violence sur une terre acquise légalement – et quand même rejeter le sionisme et Israël. Dire que l’injustice de la persécution européenne des juifs ne justifie pas l’injustice de la spoliation des Palestiniens est une position éthique indépendante de l’ethnicité ou religion concernée. Où est l’antisémitisme ?
Déconcertante, au premier abord, est l’utilisation par l’AIMH de l’expression « un État d’Israël » au lieu de « l’état d’Israël ». Je suppose que les auteurs de la définition savent pertinemment qu’il y a suffisamment de raisons non antisémitiques de rejeter Israël – principalement qu’il se trouve en Palestine, payé par les Palestiniens. En utilisant l’article indéfini je pense qu’ils essaient de nous attribuer à nous les antisionistes l’opposition à tout état juif, où qu’il soit. Mais nous avons vu que ce n’était pas vrai. Bien que tout groupe religieux ou ethnique victime de persécution ait notre sympathie pleine et entière, nous sommes agnostiques sur ce point.
Freedland s’invite dans le débat
Nous retrouvons le même amalgame de la part de J. Freedland, l’apologiste de l’entité coloniale violente en Palestine du journal The Guardian, et qui, au grand discrédit des rédacteurs en chef de ce quotidien, fut et est peut-être encore chargé de superviser la politique éditoriale des affaires étrangères du journal.
Le 29 avril 2016, dans un article alambiqué, sinon baroque, de son journal Freedland expliqua pourquoi rendre la Palestine à ses propriétaires légitimes – pourquoi affirmer le droit des Palestiniens à l’autodétermination – était raciste envers les juifs.
Il ouvre la voie à l’amalgame en établissant une analogie avec un état noir théorique, plutôt qu’un état juif – « le seul lieu au monde où la majorité de la population … serait noire. » Il imagine ensuite qu’un grand nombre de personnes rejettent cet état, veulent qu’il soit remplacé. Omettant malhonnêtement de fournir une quelconque raison à ce rejet (une discrimination de l’état à l’égard des non-blancs par exemple), il affirme ensuite qu’une telle attitude serait de toute évidence du racisme anti noirs, pendant de l’antisémitisme : Tous les gens biens « à gauche …se méfieraient de cette insistance à prétendre que cette haine pour le seul état noir au monde était distincte d’attitudes envers les noirs en général, surtout parce que la plupart des noirs ressentaient une forte affinité pour ce pays , le considérant comme partie intégrante de leur propre identité. »
Le sophisme est évident. Etre opposé à un pays X, juif, ou aryen ou musulman ou hindou ou martien parce qu’il élimine, expulse les autres groupes ethniques et pratique la discrimination à leur encontre, ce n’est pas être opposé aux juifs, aryens, musulmans, hindous ou martiens, respectivement.
L’argument est assez creux, mais s’appuyer sur la « forte affinité des noirs pour ce pays » le réduit à une simple remarque sur les sentiments subjectifs d’un certain groupe ethnique ou religieux. Et de fait, Freedland abandonne l’analogie avec cet hypothétique état noir pour attester que les juifs ressentent « ce lien – ce besoins d’Israël. …93% [des juifs britanniques] ont dit dans le cadre d’une enquête en 2015 qu’Israël faisait en quelque sorte partie de leur identité en tant que juifs. … Bien que la création d’Israël se soit faite à un coût terriblement élevé pour les Palestiniens … il est impossible pour la plupart des juifs de la considérer comme une erreur qu’il faut corriger. »
On ne peut que demander, depuis quand les sentiments d’un groupe quel qu’il soit l’emportent sur des principes éthiques et le contexte historique ? Pour utiliser une analogie évidente, depuis quand l’ « affinité » des blancs du sud des Etats-Unis pour un régime esclavagiste l’emporterait sur les droits des noirs de ce territoire ? Il ne fait aucun doute que ces blancs ont eu le cœur brisé lors de la défaite des Etats Confédérés d’Amérique.
Puis Freedland poursuit la discussion en la détachant totalement des faits ou de l’éthique en affirmant, sans rire, que « lorsque les juifs disent que quelque chose est antisémite », c’est antisémite. C’est une logique à la Alice au pays des merveilles.
Et à trois reprises il dit que ce « quelque chose » que « les juifs » déclarent subjectivement être antisémite c’est le refus du « droit à l’existence » d’Israël. «La plupart des juifs défendront l’existence d’Israël », bien qu’il ait été « forgé dans un bain de sang ». Oui, en effet ce sont des propos de droite qui font froid dans le dos, mais le problème général, c’est que si de tels sentiments de groupe sont la seule boussole, les désaccords ne peuvent être réglés que par la violence.
Freedland insiste aussi lourdement sur le fait qu’Israël est « le seul pays juif au monde » – laissant entendre que s’il y avait plusieurs états juifs, s’opposer fondamentalement à l’un ou à l’autre de ces états ne serait pas antisémite. Mais, qu’il y ait une ethnocratie de type X ou plusieurs ne change rien au fond du problème, à savoir que c’est la violation raciste des droits des autres dans l’un quelconque de ces états qui motive une opposition fondamentale.
Pour finir, Freedland nous autorise courtoisement à critiquer Israël « en raison de telle ou telle politique », mais si nous trouvons qu’il « vaudrait mieux que ce pays noir [juif] n’ait jamais été créé », c’est que la « persécution et le massacre périodiques » d’une « minorité » noire/juive ne nous posent pas de problèmes. Si nous nous étions opposés à l’imposition britannique du sionisme dans les années 30, comme nous nous y opposons maintenant, nous « aurions refusé aux 6 millions [de victimes juives] la planche de salut qui aurait pu leur sauver la vie. » Et si ça ce n’est pas antisémite, qu’est-ce qui l’est ?
Ceci s’apparente à ‘l’éthique du canot de sauvetage’ du sionisme soft – c’était nous ou eux. Mais Freedland avance en plus que prendre le parti des Palestiniens dans le canot de sauvetage suppose nécessairement des préjugés raciaux à l’égard des juifs dans le canot de sauvetage. Sophisme, encore. Mais il convient de noter qu’étant donné que tous les Palestiniens, depuis que le sionisme fut élaboré, se sont opposés au politicide, il s’en suit d’après J. Freedland, que tous les Palestiniens sont des racistes anti-juifs. On ne peut imaginer affirmation plus calomnieuse, historiquement ignorante et généralisée, plus dépourvue d’empathie pour les Palestiniens dépossédés et victimes du nettoyage ethnique.
Case prison
Macron, Freedland et l’AIMH se trompent parce qu’ils ne prennent pas les Palestiniens au sérieux. Les Palestiniens n’ont aucune pertinence pour leur histoire, qui commence et se termine avec l’expérience juive. Parce que les indigènes palestiniens sont le bâton dans les roues de leurs arguments spécieux, ils ne comptent pas. L’Orientalisme est bien vivant.
Notre cause immédiate de souci toutefois, en raison du pouvoir de ces sionistes, c’est maintenant d’éviter la prison. L’AIMH, qui a assimilé antisionisme et antisémitisme, n’est pas n’importe quoi. Elle est constituée de pays, à savoir tous les pays de l’UE à l’exception de la Bulgarie et du Portugal plus l’Argentine, Israël, la Suisse et les États-Unis. Le Groupe de travail du Parlement européen sur l’antisémitisme a adopté mot pour mot la définition de l’AIMH, tout comme l’ont fait les gouvernements autrichien et britannique, quoique non comme loi, mais seulement comme directive.
Nous avons vu que le président français joue un rôle solo dans le chœur de l’AIMH, et il se trouve que la France a récemment tenter de criminaliser l’opposition fondamentale à Israël et même la participation au Mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions fondé sur les droits. Mis à part les inquiétudes pour la liberté d’expression, il y a tentative de criminaliser l’identification d’Israël bien argumentée comme état raciste et usurpateur en tant que haine des juifs.
Pareillement aux Etats-Unis, le Anti-Semitism Awareness Act (loi sur la sensibilisation à l’antisémitisme) a été adoptée à l’unanimité le 1ier décembre 2016. La section 3 de la loi définit l’antisémitisme par référence à la fiche d’information du Département d’Etat des E.U. du 8 juin 2010 qui à son tour, vous l’avez deviné, fait sienne la définition d’antisémitisme de l’AIMH. Sous l’intitulé de la fiche d’information « Qu’est ce que l’antisémitisme par rapport à Israël ? » nous trouvons notre vieux marronnier : « Nier au peuple juif leur droit à l’autodétermination, et nier à Israël son droit d’exister. » N’oubliez-pas, l’antisémitisme est une infraction du Civil Rights Act de 1964 (loi sur les droits civiques).
La définition de l ‘AIMH a été, il est vrai, récemment rejetée dans un essai paru dans la London Review of Books et par un avis juridique réfutant l’allégation de cette définition, à savoir que « avancer que l’existence d’un état d’Israël est une entreprise raciste » est antisémite : « A moins qu’une telle affirmation ne soit motivée par une haine envers les juifs, il ne serait pas antisémite d’affirmer qu’étant donné qu’Israël se définit lui-même en tant qu’état juif et par là même par la race, et que comme les Israéliens non-juifs et les non-juifs sous sa juridiction sont victimes de discrimination, l’Etat d’Israël est actuellement une entreprise raciste. » A ce jour, fort heureusement, les Macron et les Freedland n’affirment pas ouvertement que les états racistes ont le droit d’exister.
Au vu de telles réfutations de la définition, la Chambre des Représentants des Etats-Unis a adopté à l’unanimité le 17 mai 2017 une loi visant implicitement à unir tous ceux concernés derrière la définition absurde de l’AIMH.
Ce que je dis du caractère fondamentalement erroné de la définition n’est guère nouveau. Il y a quarante deux ans déjà Shafiq al-Hout, militant palestinien pour la libération, fit une conférence à Ottawa peu de temps après l’adoption par l’Assemblée Générale des Nations Unies de sa résolution condamnant le sionisme comme raciste : « Il y eut une intense discussion après mon discours, et un rabbin me demanda : ‘Vous avez parlé du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, mais le peuple d’Israël n’a-t-il pas aussi le droit de vivre par lui-même dans son propre état ?’ J’ai répondu : ‘Oui, bien sûr – tant que c’est sur une terre dont il est légitimement propriétaire, et non sur une terre qu’il a annexée.’ Il s’est ensuite métaphoriquement tranché la gorge en disant : ‘Mais cela veut dire moins de 10% de la terre.’ J’ai affiné sa réponse en souriant: ‘Oui, 6,4 pour cent, pour être précis.’ » (Al-Hout, My Life in the PLO, p 136)
Un langage clair
Il me semble que c’est un bon argument défensif d’expliquer que rejeter Israël n’implique en aucune façon de nier au peuple juif le droit à l’autodétermination. Israël est une certaine forme sous laquelle des (certains) juifs peuvent s’autodéterminer, et il se situe nécessairement dans un endroit spécifique, la Palestine. Il pourrait y avoir d’autres endroits et d’autres manières d’accéder à l’autodétermination sans devoir recourir au meurtre, à la spoliation et à l’humiliation d’un autre ‘soi’. Cependant, le procédé et le lieu où le véritable Israël s’est ‘fait’, se fait encore, sont immoraux.
Toutefois, un tel travail défensif n’est nécessaire que parce que le sionisme a réussi à imposer les termes du débat. Il a mis en avant l’expérience juive plutôt que l’expérience Palestinienne, et a surfé sur la vague de sympathie pour les juifs persécutés, permettant à des accusations d’antisémitisme diffamatoires de paraître légitimes. Les antisionistes se retrouvent sur le banc des accusés.
En réalité, pourtant, il incombe à la personne qui en accuse une autre de quelque chose d’aussi horrible que le racisme d’en faire la preuve. Tous les défenseurs de tous les droits des Palestiniens sont innocents jusqu’à preuve du contraire. La preuve de culpabilité nécessite de démontrer qu’il existe un lien nécessaire entre vouloir la disparition de l’état d’Israël en faveur d’un état palestinien comprenant tous les Palestiniens, et une hostilité à l’égard des juifs en tant que juifs. Ce lien nécessaire ne peut évidemment pas être fait parce qu’il n’existe pas.
Je pense que nous devrions simplement dire que lorsque nous parlons de qui devrait gouverner la terre de Palestine, c’est précisément de ça que nous parlons et de rien d’autre – pas des juifs, ou des musulmans, ni des chrétiens. Oui, c’est le sionisme qui a fait irruption sur la scène, aidé par le pouvoir britannique, sans y être invité, mais ça aurait pu être n’importe qui d’une quelconque ethnicité. Par contre, ce n’est pas simplement n’importe qui qui fut expulsé et dévalué, mais par nécessité les Palestiniens qui vivaient là.
En d’autres termes, je pense que devrions focaliser notre attention sur les droits des Palestiniens. La disparition de l’état qui occupe actuellement (toute) la Palestine n’est pas le sujet. Ce n’est qu’une conséquence de l’application de la justice. L’argument qui aboutit au remplacement Israël par un état Palestinien peut et devrait être énoncé sans avoir à mentionner l’ethnicité ou la religion spécifique par laquelle Israël se définit lui-même. Si la justice pour la Palestine ne laisse pas d’autre choix que le rejet d’Israël, qu’il en soit ainsi. Cela n’a rien à voir avec le fait qu’Israël soit un état juif.
Ce pourrait être une bénédiction déguisée que les sionistes aient adopté cet axe d’attaque si illogique, parce qu’il permet de recadrer le débat du négatif au positif : Quoi ? Anti-judéité ? Tout ce que nous voulons c’est réparer les injustices faites à la population d’un pays colonisé. Notre quête est celle d’un état qui fonctionne dans une patrie palestinienne réunifiée qui apporte réparation. Toute entité étatique non choisie par les colonisés et expulsés est exclue, quelque soit sa définition ethno-religieuse.
Les déclarations faites par Macron à Netanyahou par lesquelles cet article débute ont suscité une réponse de l’écrivain israélien Shlomo Sand, qui regimbe lorsque Macron dit que « L’antisionisme … est la forme réinventée de l’antisémitisme.» Après avoir d’abord souligné que le sionisme n’est pas le judaïsme et que de nombreux juifs étaient et sont antisionistes, il soulève le problème éthique, à savoir l’existence de l’écrasante majorité antisioniste des Palestiniens indigènes, et se demande avec perspicacité « si, sincèrement, vous [Macron] attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes ! » Parlant de lui-même, il dit non comme antisémite, mais « en tant que démocrate et républicain ….Je ne peux soutenir un état juif. »
Inutile de tergiverser plus longtemps sur le ‘droit d’exister’ d’Israël. L’antisionisme n’est pas seulement la critique de telle ou telle politique israélienne, c’est celle de l’idée même d’un état ethno-religieux en violation des vœux des citoyens légitimes de Palestine. C’est une évidence que l’état sioniste devrait céder la place à une démocratie en Palestine. Pourtant de nombreux défenseurs des droits des Palestiniens esquivent ce point, avançant qu’un état en Palestine qui soit en quelque sorte ‘juif’ est d’une certaine façon tolérable.
Ceci inclut les partisans d’une solution à deux états comme Barack Obama ou Jeremy Corbyn, solution sioniste redondante, parce que l’un des deux états préconisés est, hélas, un état juif qui a fait intrusion en Palestine. Mais il n’y a aucune raison de craindre des accusations de racisme en rejetant Israël. Ce rejet découle logiquement des droits positifs des Palestiniens, sans aucun lien avec un racisme de type antisémite.
Nous pouvons donc en toute sérénité dissocier l’antisionisme de l’antisémitisme. Pour ce faire nous devons seulement souligner que ce qui doit être corrigé – l’usurpation de la Palestine, contre la volonté du peuple de Palestine – n’a nécessairement rien à voir avec le caractère juif d’Israël, seulement avec son colonialisme et son racisme. Mais on peux faire mieux encore en conservant une orientation palestinienne. A savoir, le débat tout entier porte d’abord et avant tout sur une question de justice pour les dépossédés, de laquelle découle simplement l’illégitimité d’Israël. Il s’agit de la Palestine, et non d’Israël.
Article transmis par l’auteur à Palestine Chronicle.com.
Auteur : Blake Alcott
* Blake Alcott est un économiste de l'environnement et le directeur de One Democratic State in Palestine (Angleterre). Son livre à paraître, The Rape of Palestine : A Mandate Chronology, comprend 490 exemples du dialogue, tel qu'il existait, entre les Britanniques et les Palestiniens au cours des années 1917-1948.Toute information concernant une activité relative à ODS ou au bi-nationalisme est la bienvenue et à envoyer à blakeley@bluewin.ch.
25 août 2017 – Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – MJB