Par Jonathan Cook
Lundi dernier, lors d’une célébration, en Cisjordanie, des 50 ans d’occupation israélienne, Netanyahou a clairement admis que les efforts américains pour relancer le processus de paix n’étaient qu’une vaste farce.
Il n’y aura pas de démantèlement des colonies ni d’expulsion de leurs 600 000 habitants – le minimum de ce qu’il faudrait faire pour établir un Etat palestinien à peine viable. « Nous sommes ici pour toujours », a assuré Netanyahu à son auditoire de colons. « Nous nous enracinons, nous construirons, nous deviendrons de plus en plus fort et nous resterons ».
Alors, qu’est-ce qui va devenir le nerf du conflit israélo-palestinien si la solution à deux États est morte? La même chose qu’au début du conflit. On va avoir une nouvelle bataille éperdue de chiffres contre les Palestiniens – dans laquelle Israël se prépare à créer de nouvelles catégories de « Juifs » qui viendront grossir les troupes.
La démographie a toujours été au cœur de la politique israélienne. Pendant la guerre de 1948, qui a établi un état juif sur les ruines de la patrie palestinienne, 750 000 Palestiniens ont été expulsés au cours de qu’on appellerait aujourd’hui une campagne de nettoyage ethnique. À la fin de cette campagne, la large majorité palestinienne autochtone avait été réduite à moins d’un cinquième de la population du nouvel État. Cela ne troublait pas David Ben Gurion, le père fondateur du pays. Il espérait bien noyer ce petit reste sous les Juifs venant d’Europe et du monde arabe.
Mais le projet se fondait sur deux erreurs de calcul.
Tout d’abord, Ben Gurion n’a pas pris en compte le taux de natalité beaucoup plus élevé de la minorité palestinienne. Malgré les vagues d’immigrants juifs, les Palestiniens se sont maintenus à 20% des citoyens d’Israël. Depuis, Israël livre une bataille d’arrière-garde contre eux. Selon des études, la seule manière avouable qu’a trouvée Israël pour limiter la natalité palestinienne est le planning familial.
Des manigances démographiques israéliennes ont été dévoilées la semaine dernière. Une enquête menée par le journal Haaretz a révélé qu’au cours des dernières années, Israël a dépouillé des milliers de Bédouins de leur citoyenneté ; les Bédouins connaissent la croissance démographique la plus rapide du pays. Israël prétend qu’il y a eu des « erreurs » bureaucratiques dans l’enregistrement de leurs parents ou grands-parents après la fondation de l’État.
Un autre Rubicon a été franchi ce mois-ci quand un tribunal israélien a approuvé la révocation de la citoyenneté d’un Palestinien reconnu coupable d’une attaque mortelle contre des soldats. Les associations de droits de l’homme craignent que, en le rendant apatride, le droit israélien n’ait établi un précédent qui permettra de conditionner la citoyenneté à la « loyauté ».
La ministre de la Justice, Ayelet Shaked, est d’ailleurs allée dans ce sens cette semaine en disant que les juges du pays devaient mettre la démographie et le caractère juif de l’État au-dessus des droits de l’homme.
La deuxième erreur de calcul a été faite en 1967. En occupant les derniers fragments de la Palestine historique sans en avoir expulsé la majorité des habitants, Israël s’et retrouvé responsable de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens supplémentaires, y compris des réfugiés de la guerre précédente.
Le « démon démographique », comme on l’appelle souvent en Israël, n’a été conjuré pendant toutes ces dizaines d’années que par la promesse mensongère qu’il serait bientôt mis fin à l’occupation. En 2005, Israël s’est offert un sursis en se désengageant de la petite enclave de Gaza et de son million de demi d’habitants.
En tuant l’espoir d’un Etat palestinien, Netanyahu vient de rendre publique son intention de mettre en place la solution d’un État des colons. Naftali Bennett, le principal rival de Netanyahu au gouvernement, est démangé par l’envie d’ignorer l’opinion internationale et d’annexer des grandes parties de la Cisjordanie.
Il y a cependant un problème. Au moins la moitié de la population du Grand Israël de Netanyahu est palestinienne. Et, avec les taux de natalité actuels, bientôt les Juifs seront clairement une minorité – qui régnera sur une majorité palestinienne.
Il faut savoir toute cela pour comprendre le rapport d’un groupe de travail du gouvernement – qui a fuité au week-end dernier – qui propose une révision révolutionnaire de qui peut être considéré comme juif et donc habilité à vivre en Israël (et dans les territoires occupés).
La loi israélienne du Retour de 1950 a déjà élargi la définition en allant au-delà de la définition rabbinique traditionnelle selon laquelle un Juif devait être né d’une mère juive. La loi accorde la citoyenneté instantanée à toute personne ayant un grand-parent juif. Cela a bien fonctionné tant que les Juifs fuyaient la persécution ou la détresse économique. Mais après l’arrivée d’un million d’immigrants suite à la chute de l’Union soviétique au début des années 1990, le réservoir de nouveaux Juifs s’est asséché.
Les États-Unis, même dans l’ère Trump, se sont révélés le principal aimant. Le Jerusalem Post a rapporté le mois dernier que sans doute plus d’un million d’Israéliens vivaient Etats-Unis. Pire encore pour Netanyahu, il semble qu’au moins certains d’entre eux soient inclus dans les chiffres israéliens, pour renforcer leurs revendications démographiques contre les Palestiniens.
Il y a actuellement deux fois plus d’Israéliens qui émigrent aux États-Unis que de Juifs américains qui viennent vivre en Israël. Avec 150 start up israéliennes rien que dans la Silicon Valley, cette tendance n’est pas prête de s’inverser.
Cette catastrophique pénurie de Juifs pousse le gouvernement Netanyahu à envisager une solution désespérée pour vaincre les Palestiniens au plan démographique. Le rapport qui a fuité conseille d’ouvrir les portes à une nouvelle catégorie de « juifs » à partir de non juifs. Selon Haaretz, cela concernerait des millions de personnes dans le monde. Le nouveau statut s’appliquerait aux « crypto-juifs », dont les ancêtres se sont convertis au judaïsme; aux communautés « juives émergentes » qui ont adopté des pratiques juives; et à ceux qui prétendent descendre des « tribus perdues » d’Israël.
Bien qu’au départ, il ne leur soit offert que des séjours de longue durée en Israël, l’idée est que cela servira de prélude à l’élargissement de leur droit à finalement obtenir à la citoyenneté. L’avantage pour Israël est que la plupart de ces non juifs « Juifs » vivent actuellement dans des parties du monde reculées, pauvres ou déchirées par la guerre, et pourraient être attirés par une nouvelle vie en Israël – ou dans les territoires occupés.
C’est à ce grand projet que s’accrochent les adeptes invétérés de la solution à un état comme Netanyahu et Bennett. Ils ont besoin de plus de soldats pour voler les terres palestiniennes, piétiner les frontières internationalement reconnues, et les espoirs de paix.
Réussiront-ils leur coup ? Ils le croient peut-être, surtout à un moment où l’administration américaine prétend qu’elle ferait preuve de « favoritisme » en s’engageant à faire avancer la solution à deux États. Trump a déclaré que les deux camps devraient élaborer ensemble leur propre solution. Netanyahu réussira-t-il à mettre les chiffres de son côté d’ici là ?
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
1° septembre 2017 – CounterPunch – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet