Craignant des mesures plus sévères, Israël est en train de rassembler les forces pro-israéliennes en Europe et aux États-Unis contre les directives récentes de l’Union Européenne sur l’étiquetage de certains produits coloniaux. Nous démontons ici les arguments d’Israël à la fois concernant l’impact sur l’économie palestinienne et sur les travailleurs palestiniens.
En réalité l’entreprise coloniale israélienne a un impact dévastateur sur l’économie palestinienne, en dépossédant les Palestiniens de leurs terres, de leur eau et d’autres ressources, tout en créant du chômage de masse. Les auteures interrogent également le statut de ces travailleurs palestiniens – une minorité de la population active – qui ont été contraints de gagner leur vie au sein même des implantations coloniales si nuisibles à l’économie palestinienne et plus généralement aux droits des Palestiniens. Elles examinent l’initiative de l’U.E. et recommandent des démarches complémentaires que l’U.E. devrait entreprendre si elle veut être pleinement en conformité avec le droit international et européen (1).
Le contexte
Il a fallu des années pour que l’U.E. développe sa position sur l’étiquetage des biens produits dans les colonies qu’Israël a construites en territoire palestinien et syrien depuis l’occupation de 1967. La Commission européenne avait déclaré en 1998 qu’Israël était soupçonné de ne pas respecter les accords de coopération UE/Israël signés en 1995 et entrés en vigueur en 2000, et qui exemptaient les marchandises israéliennes des droits de douane.
En 2010 la Cour Européenne de Justice confirmait que des produits issus de Cisjordanie n’étaient pas éligibles pour bénéficier du traitement tarifaire douanier préférentiel aux termes des accords de coopération UE/Israël, et que les allégations des autorités israéliennes n’étaient aucunement contraignantes pour les autorités douanières européennes.
Toutefois c’est seulement en 2015 que l’U.E. a enfin comblé son retard en alignant ses actes sur ses propres règlements, répondant notamment à la pression croissante de la société civile pour reconnaître l’illégalité des implantations coloniales. Le 10 septembre dernier, le Parlement européen votait une résolution appelant à l’étiquetage de biens produits dans les colonies israéliennes comme étant produites dans des « colonies israéliennes » plutôt qu’en « Israël ». Il s’assurait que ces produits ne bénéficient pas du traitement commercial préférentiel relevant des accords de coopération UE/Israël.
Deux mois plus tard, le 11 novembre, l’U.E. publiait enfin ses directives relatives à l’étiquetage, qu’elle intitulait par l’euphémisme « Notice interprétative ». Toutefois les produits des colonies seront toujours commercialisés avec l’UE, laissant aux consommateurs la possibilité de prendre une « décision éclairée » quant à leur choix d’acheter ou non ces produits.
Israël prétend que la démarche de l’UE est « discriminatoire » et nuisible pour l’économie palestinienne en général et en particulier pour les travailleurs palestiniens. Voilà clairement une tentative de détourner l’attention de la communauté internationale de la réalité de l’entreprise coloniale illégale, de ses effets profondément négatifs sur l’économie palestinienne ainsi que des obligations morales et légales de l’U.E.
En fait l’entreprise coloniale israélienne est entièrement illégale au regard du droit international, comme l’avait réaffirmé en 2004 la Cour Internationale de Justice dans son Avis consultatif sur « l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé ». Le transfert par Israël de sa population vers le territoire occupé et une violation des 4èmes Conventions de la Haye 1907 et de Genève 1949.
L’exploitation économique des TPO
Nous nous concentrons ici sur les territoires qu’Israël a occupés en 1967 : la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, la bande de Gaza et le Plateau du Golan, et plus spécifiquement des implantations et avant-postes israéliens construits en Territoires Palestiniens Occupés (TPO) (2). Nous n’aborderons pas toutes les violations du droit international et des droits palestiniens.
Le fait qu’Israël a fondé la construction de colonies sur l’exploitation économique des TPO est largement documenté. Cette exploitation inclut : la confiscation de larges pans de terres palestiniennes et la destruction de propriétés palestiniennes afin de réaliser des constructions ou de l’agriculture ; l’appropriation de ressources hydriques, au point que 599,901 colons utilisent six fois plus d’eau que la population totale de Cisjordanie soit 2,86 millions de personnes ; l’accaparement de sites touristiques et archéologiques ; l’exploitation de carrières, de mines, des ressources de la Mer Morte ainsi que d’autres ressources naturelles non renouvelables, comme on le verra ci-dessous.
En outre les colonies ont été soutenues par une infrastructure de routes et de postes de contrôle et par le Mur de Séparation qui a entraîné la création de bantoustans isolés en Cisjordanie et l’appropriation d’encore plus de terres palestiniennes.
Résultat : les colonies israéliennes contrôlent quelque 42 % des terres de Cisjordanie. Ce chiffre inclut les zones construites ainsi que les limites municipales des colonies israéliennes. Ces frontières englobent en fait des superficies qui sont 9,4 plus larges que les zones construites des colonies de Cisjordanie et elles sont interdites aux Palestiniens sauf s’ils ont des permis.
La majorité des colonies de Cisjordanie sont construites en Zone C, qui représente 60 % de la Cisjordanie et qui est riche en ressources naturelles (3). Selon une étude de la Banque Mondiale, 68 % de la Zone C ont été réservés pour les colonies israéliennes, tandis que moins de 1 % a été accordé à l’usage palestinien. Dans cette Zone C, l’exploitation coloniale israélienne est concentrée dans la Vallée du Jourdain et dans la partie nord de la Mer Morte.
Les colonies israéliennes contrôlent 85,2 % de ces surfaces – les terres les plus fertiles de Cisjordanie. L’abondance en eau et le climat favorable offrent les meilleures conditions pour l’agriculture. En effet, elles produisent 40 % des exportations de dattes d’Israël. Et les Palestiniens sont empêchés d’y vivre, d’y construire, voire d’y laisser paître leur bétail, sous prétexte que la terre est soit « domaine d’État », soit « zone militaire » soit « réserve naturelle ».
Israël recourt encore à d’autres procédés pour expulser les Palestiniens de leurs terres : démolir des maisons, interdire la construction d’écoles et d’hôpitaux et refuser aux habitants l’accès à des services aussi essentiels que l’électricité, l’eau et le creusement de puits. Gros contraste avec la plupart des colonies qui sont désignées « priorités nationales », ce qui leur permet de recevoir une aide financière du gouvernement israélien dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la construction de logements et du développement industriel et agricole. (4).
Les recettes israéliennes issues de l’exploitation de terres et de ressources palestiniennes dans la Vallée du Jourdain et le nord de la Mer Morte sont estimées à 500 millions NIS par an (130 millions $ – près de 119 millions €).
Pour se rendre compte de l’impact sur l’économie palestinienne, il faut noter que le coût indirect des restrictions israéliennes pour l’accès à l’eau des Palestiniens dans la Vallée du Jourdain – leur rendant impossible la culture de leurs terres – se chiffre à 663 millions de dollars, l’équivalent de 8,2 % du PNB palestinien en 2010 (voir tableau ci-dessus).
Et Israël continue à construire de nouvelles colonies. En novembre dernier dans son discours au Centre US pour le Progrès Américain, Netanyahu a prétendu qu’aucune nouvelle colonie n’a été construite ces vingt dernières années. En réalité, 20 nouvelles implantations ont été approuvées sous son mandat, dont 3 étaient des avant-postes illégaux qui furent ensuite approuvés par le gouvernement.
La manifestation la plus récente de la politique coloniale israélienne est la reconstruction du Mur de Séparation près de Beit Jala en Cisjordnie, qui sépare effectivement les villageois des terres agricoles dont ils sont les propriétaires dans la Vallée du Crémisan . L’aménagement de ce segment de Mur est destiné à permettre l’annexion de la colonie de Har Gilo au sud de Jérusalem, la rendant contiguë avec la colonie de Gilo située à l’intérieur des limites créées par Israël pour la municipalité de Jérusalem après son occupation en 1967.
Notes :
(1) Al-Shabaka remercie la Fondation Heinrich-Böll pour son partenariat. Les vues exprimées dans cet article sont celles des auteures.
(2) Les avant-postes des colonies sont construits sans autorisation officielle, mais ils reçoivent un soutien financier des ministères, des agences gouvernementales et de fondations locales et internationales (surtout US). Souvent Israël les “légalise” après coup.
(3) Les Accords d’Oslo ont divisé la Cisjordanie en trois Zones pour une période intérimaire. Zone A : en principe sous le contrôle de l’AP mais sujette à de fréquentes incursions israéliennes. Zone B : sous contrôle conjoint israélo-palestinien. Zone C sous contrôle exclusif d’Israël. La période intérimaire a pris fin en mai 1999.
(4) cf “Trading Away Peace : How Europe helps sustain illegal Israeli settlements.”
* Nur Arafeh, membre d’al-Shabaka, diplômée de Sciences Po (France), de Columbia (USA) et de Cambridge (GB), elle travaille actuellement à l’université Birzeit sur les formes économiques de résistance.
* Samia al-Botmeh, membre d’al-Shabaka, enseigne à l’université Birzeit après ses études à Londres (thèse en économie sur les travailleuses palestiniennes). Ses publications portent sur l’économie palestinienne, les différentiels de genre et l’économie politique dans le cadre colonial.
* Leila Farsakh, membre d’al-Shabaka, est professeure à l’Université du Massachusetts (Boston) et chercheuse à l’université Birzeit. Elle est l’auteure de Palestinian Labor Migration to Israel : Labor, Land and Occupation, (Routledge, Fall 2005) et l’éditrice de Commemorating the Naksa, Evoking the Nakba, (un volume spécial de l’Electronic Journal of Middle Eastern Studies, printemps 2008). En 2001 elle a reçu le Peace and Justice Award de la ville de Cambridge ( Massachusetts).
15 décembre 2015 – al-Shabaka – Traduction : Info-Palestine.eu – Marie Meert