Certains actes particulièrement brutaux [de la part des forces israéliennes d’occupation] dans cette même période n’ont toutefois pas été signalés par les médias internationaux.
Grâce à mon travail en tant qu’avocate au sein du Comité public contre la torture en Israël, j’ai recueilli des témoignages de victimes d’un de ces incidents.
Le 27 juillet, la police israélienne a effectué une descente dans le composé d’al-Aqsa, vers 22h. C’était peu de temps après que les autorités israéliennes eurent retiré les détecteurs de métaux et les caméras qu’elles avaient placés à l’entrée du complexe.
Le raid, qui n’était pas le premier à al-Aqsa ce jour-là, apparaissait comme une vengeance de la police sur les Palestiniens qui avaient résisté avec succès aux interdictions d’accès à la mosquée, dans une campagne de désobéissance civile longue de deux semaines.
Quelques instants après avoir appelé tout le monde à évacuer la mosquée, les policiers ont tiré des balles en caoutchouc sur les fidèles pacifiques, en blessant plusieurs. Environ 120 Palestiniens ont été arrêtés, et aucun d’entre eux n’a résisté à leur arrestation.
Une équipe médicale palestinienne avait prodigué des soins à un fidèle dans la mosquée avant le raid, et elle s’est retrouvée à devoir aider les victimes du raid, dont un homme blessé par une balle en acier recouverte de caoutchouc. ***
L’un des membres de l’équipe médicale a déclaré qu’un officier de police israélien connu sous le nom de Shlomi “s’est dirigé vers nous et a dit à ses hommes : ‘Ce ne sont pas des paramédicaux, ce sont tous des menteurs, prenez leurs gilets et b…-les'”.
La police a dépouillé le personnel médical de leurs tenues, les a groupés avec les fidèles et les a poussés dans un coin avec les mains en l’air.
La police a ensuite forcé tous les prisonniers à se mettre à terre. Beaucoup ont été battus par des policiers qui portaient des gants renforcés et avec des matraques.
Entravés
Les détenus avaient les mains liées derrière le dos avec des câbles en plastique. Enchaînés et impuissants, les détenus ont été forcés de s’agenouiller, certains ayant reçu l’ordre d’incliner la tête entre leurs jambes.
“Ils m’ont pointé du doigt, je me suis dirigé vers eux, une policière m’a attrapé par les mains, tandis qu’un autre policier m’a donné un coup de pied dans le dos et je suis tombé par terre”, a déclaré un détenu.
“Ils retenaient mes mains derrière mon dos et l’un d’eux a sauté sur moi, a marché sur ma hanche, a tiré mes mains plus loin en arrière et m’a menotté. Je lui ai dit: “C’est très serré, je ne suis qu’un humain.” L’officier a dit: “C’est serré ?” Et il a resserré les manchettes en plastique jusqu’à ce que je saigne.
Les détenus ont été divisés en deux groupes et contraints de marcher pieds nus depuis la mosquée jusqu’à la porte du Maroc – une entrée dans la vieille ville de Jérusalem.
Certains ont été forcés de marcher avec la tête baissée; d’autres ont été obligés de s’incliner à un angle de 90 degrés en marchant. À la porte, certains ont été à nouveau forcés à s’agenouiller tandis que d’autres subissaient une fouille complète au corps.
Tout cela a eu lieu alors que les spectateurs israéliens se moquaient de nous, filmaient et photographiaient.
Le premier groupe de détenus a été transféré dans des véhicules de police. Le deuxième groupe, une centaine de détenus, a été forcé de monter dans un autobus de la société israélienne de transport public Egged.
Une fois chargés dans l’autobus, les détenus ont été forcés de s’asseoir, les mains derrière le dos. Un jeune homme a dit avoir éprouvé tout d’abord un sentiment de soulagement: “j’étais enfin assis sur une chaise parce que mes pieds me faisaient terriblement souffrir. Ils étaient piétinés par les policiers et je marchais pieds nus depuis l’arrestation. Je n’étais plus capable de bouger, mes pieds étaient enflés.”
Le jeune homme ajouta rapidement qu’il n’avait “pas le droit de se sentir soulagé”. Il lui fut rapidement demandé de courber la tête entre ses genoux.
“Mon dos allait craquer”
Alors qu’il dans cette position, les policiers ont jeté un autre détenu sur son dos et ceux des trois détenus placés à côté de lui. Trois autres détenus ont ensuite été empilés sur eux, formant une sorte de pyramide humaine.
“Ils ont jeté une personne lourde sur nous quatre,” raconte le jeune homme. “Je sentais que mon dos allait craquer.”
D’autres détenus ont dûécarter leurs jambes pour que deux détenus puissent être placés sur chaque jambe. Dans certains cas, un autre détenu a été placé sur le sol entre les jambes des autres détenus et face à leurs organes génitaux.
Le reste des détenus a été forcé de s’asseoir sur le sol du couloir de l’autobus.
Le niveau de violence policière était tel que les détenus craignaient pour leur vie.
“J’ai vu la mort dans leurs yeux [de la police]”, a déclaré une autre victime.
“Je n’ai pas peur facilement”, a déclaré un autre jeune homme, âgé de 22 ans. “Mais cette nuit-là, j’étais sûr qu’ils allaient nous tuer, nous tous. J’avais tellement peur que j’ai presque uriné dans mon pantalon.”
Les témoignages de ces prisonniers et de quelques autres ont constitué la base d’une plainte déposée par le Comité public contre la torture en Israël, au nom de 10 Palestiniens placés dans ce bus. La plainte a été déposée auprès de l’unité d’enquête de la police israélienne à la fin août.
Le bus transportant les détenus a été amené au dit Complexe russe, un centre d’interrogatoire synonyme de torture.
Agression
Certains détenus ont révélé d’autres violences policières à leur égard dans le centre. Un adolescent, qui souffrait visiblement, figurait parmi les agressés.
La plupart des détenus ont été libérés du Complexe russe après une heure ou deux. D’autres, cependant, n’ont pas été libérés avant le jour suivant.
Chaque membre du groupe était lié jusqu’au jour suivant avec un autre homme pendant sa détention. Ils devaient s’accompagner même lors de l’utilisation des toilettes.
Les hommes qui étaient enchaînés devaient dormir par terre.
L’un des détenus a été frappé à la tête par la police pendant le raid. Même s’il était visiblement en train de saigner, il n’a reçu aucun traitement médical avant sa détention – moment où il a été emmené dans une ambulance.
Les détenus avec qui j’ai parlé ont tous signalé qu’ils avaient les poignets enflés et qu’ils saignaient en raison des serrages imposés.
Cet incident n’était pas la première fois qu’Israël réquisitionne des véhicules de transport public pour des opérations militaires ou policières.
En 1992, Israël a utilisé des bus Egged pour déporter plus de 400 Palestiniens – les yeux bandés – de la Cisjordanie occupée et de Gaza vers le sud du Liban.
L’utilisation abusive des bus par les forces d’occupation israéliennes est symptomatique d’un problème plus important. Depuis sa création, Israël a délibérément réquisitionné des biens publics ou civils et les a transformés en zones militaires fermées. La saisie sur ce mode de grandes étendues de la Cisjordanie a permis à Israël d’étendre ses colonies.
Israël refuse de séparer ce qui est militaire de ce qui est civil. L’armée israélienne gère des bases et des bureaux dans les universités; les soldats transportent leurs armes dans les transports publics.
En s’imposant violemment dans presque tous les aspects de la vie palestinienne, Israël a pu attaquer impunément les lieux de culte, et même les bus ont été transformés en cellules de prison.
* Sharazad Odeh est avocate palestinienne des droits de l’homme et chercheuse en droit et en genre. Elle travaille comme avocate auprès de Kayan Feminist Organization et occupe divers postes de recherche à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
10 octobre 2017 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine