Les Palestiniens à Israël : “Jamais nous ne quitterons Jérusalem !”

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"Nous resterons, quoi qu'ils fassent..." nous dit Rania Elias, directrice du centre culturel Yabous - Photo : Al-Jazeera/Mersiha Gadzo

Par Mersiha Gadzo

Mazen Jabari se dirigeait vers le Centre culturel Yabous à Jérusalem-Est occupée pour tenir une conférence à la mosquée al-Aqsa, quand il a reçu un appel téléphonique lui conseillant de ne pas s’y rendre.

“La police israélienne a pris d’assaut la place, et ils cherchent … à vous parler”, s’est entendu dire Jabari, chercheur à l’ONG de la Société d’études arabes.

La police et les services de renseignement israéliens sont arrivés une heure avant le début de la conférence d’al-Aqsa – qui avait pour but d’organiser un débat sur la garde du site sacré par la Jordanie – et ont ordonné à la directrice du centre, Rania Elias, d’annuler l’événement, prétendant qu’il était organisé par l’organisation “terroriste” Hamas [résistance palestinienne].

“Cela n’a rien à voir avec le Hamas ou un quelconque parti politique”, a déclaré Elias à Al Jazeera. “Ces travaux de recherche sont présentés dans les journaux, sur les médias sociaux, à la télévision, etc., et sont discutés ouvertement.”

Jabari estime que l’événement a été annulé parce que les autorités israéliennes ne voulaient pas que certaines informations soient diffusées au public. “Les deux gouvernements [d’Israël et de la Jordanie] n’avaient aucun intérêt à ce que ce type d’information soit discuté devant le public palestinien à Jérusalem en juillet”, a-t-il expliqué, faisant référence aux larges manifestations contre les mesures de contrôle de l’occupant à Al-Aqsa.

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L’interdiction de la conférence au centre Yabous n’est en aucun cas un phénomène isolé.

Selon la Coalition Civique pour les Droits des Palestiniens (CCPRJ), basée à Jérusalem, cela fait partie des tentatives à plus grande échelle d’Israël de judaïser la ville. Depuis 2001, le groupe a constaté que les autorités israéliennes d’occupation ont temporairement ou définitivement fermé au moins 35 institutions publiques et ONG palestiniennes à Jérusalem-Est occupée.

Parmi elles se trouve le groupe de réflexion de la Maison d’Orient, qui a servi de siège à l’Organisation de libération de la Palestine dans les années 80 et 90; le Théâtre National Palestinien; la Chambre de commerce de Jérusalem; la Chambre de commerce agricole et industrielle; la Société d’études arabes; le Conseil supérieur du tourisme; et le Centre des petits projets de l’Union européenne.

La Maison d’Orient a été forcée de fermer ses locaux à Jérusalem-Est occupée en 2001 et les autorités israéliennes ont renouvelé la fermeture tous les six mois, poussant le groupe de réflexion à déplacer ses bureaux dans le quartier de Beit Hanina. La Société d’études arabes et la Chambre de commerce de Jérusalem ont également été contraintes de déménager.

Les groupes de défense des droits de l’homme ont condamné la fermeture des institutions palestiniennes comme étant une violation du droit international et comme une tentative d’étouffer le développement politique, social, culturel et économique palestinien dans Jérusalem-Est occupée.

“Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a critiqué à plusieurs reprises la législation antiterroriste israélienne pour le flou des définitions, l’ambiguïté du langage et des accusations”, a déclaré le CCPRJ dans un communiqué.

“C’est une politique de persécution systématique menée contre la société palestinienne qui continue de résister à la multitude de lois, de politiques et de mesures arbitraires et discriminatoires avec lesquelles Israël cherche à annexer de manière permanente la ville palestinienne occupée, et à la transformer en une zone majoritairement israélo-juive.”

Les syndicats du secteur de la santé n’ont pas été épargnés. En 2015, la police israélienne et les services de renseignement ont ordonné à l’Union palestinienne de la santé de fermer sa représentation à Jérusalem pendant une année, citant l’Ordonnance de 1948 sur la “prévention du terrorisme” d’Israël qui permet à l’armée de “fermer tout lieu desservant une organisation terroriste ou ses membres … un lieu d’action, de rencontre, de propagande ou de stockage”.

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«Pour toute fermeture, ils utilisent cette excuse de sécurité … Habituellement, ils ne donnent jamais d’explications ni de détails, ils n’accusent jamais personne en particulier”, a déclaré Zakaria Odeh, directeur du CCPRJ, soulignant que ces mesures “font pression sur les habitants de la ville en fermant les institutions qui apportent de différentes manières un soutien à la population”.

L’Union palestinienne de la santé fournit des services de santé aux enfants et aux jeunes Palestiniens. Depuis 1990, cette institution gère un programme de santé dans plus de 60 écoles, offrant des examens médicaux et d’autres services aux étudiants.

“[Les organisations qui travaillent] dans l’éducation, la culture, le tourisme, la santé – assurent elles-mêmes le travail du gouvernement [palestinien]. Elles protègent les Palestiniens dans la ville, elles protègent l’identité palestinienne et préservent notre existence ici. [Les autorités israéliennes d’occupation] ne veulent pas voir cela”, a déclaré Elias.

Les ONG sont chargées de fournir des services aux Palestiniens de Jérusalem-Est occupée puisque, dans le cadre des accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne n’est pas autorisée à opérer à Jérusalem.

En plus de l’incident qui concerne la conférence de Jabari, les autorités israéliennes ont ciblé le Centre culturel Yabous à plusieurs reprises.

En 2014, le Centre d’Al-Qods pour le Conseil Juridique avait prévu dans ses locaux un débat ouvert sur les services publics, mais les autorités israéliennes ont interdit la conférence, prétextant qu’elle était organisé par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti qu’Israël considère comme un groupe “terroriste” [résistance palestinienne].

Le festival annuel de littérature de Yabous a été fermé en 2009, et quelques années plus tard, une session sur le printemps arabe a également été interdite.

“Les fermetures sont imposées afin que les gens se sentent désespérés face à la situation qui les entoure”, a déclaré Elias, soulignant que la situation des institutions palestiniennes n’a jamais été aussi précaire.

Depuis le début de 2017, ces institutions subissent également des pressions financières, a-t-elle déclaré. Des dizaines d’organisations palestiniennes à Jérusalem-Est occupée – dont la Cour d’Art palestinienne Yabous et al-Hoash – ont reçu des appels téléphoniques d’une banque locale, les informant qu’ils devaient fermer leurs comptes, a déclaré l’avocat Mazen Qupty qui représente al-Hoash.

“Chaque jour, il devient de plus en plus difficile de respirer dans cette ville. [Les Israéliens] ne sont jamais à court d’imagination pour toutes leurs règles et règlements qui vous rendent très difficile de rester ici”, a déclaré Elias. « Je dis toujours que nous travaillons à Jérusalem pour verser [aux Israéliens] de l’argent. Il est étonnant de voir combien ils demandent entre l’impôt foncier, l’assurance et tout ce système qu’ils ont mis en place à Jérusalem et qui rend notre vie ici si difficile à affronter”.

L’été dernier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est engagé à adopter un autre projet de loi visant à limiter le financement étranger des ONG en Israël.

Yabous, ainsi que la Société d’études arabes, reçoit une grande partie de son financement de l’étranger, y compris du Programme des Nations Unies pour le développement et de l’Union Européenne.

Malgré les obstacles, Jabari et Elias disent qu’ils continueront à faire leur travail, Jabari prévoyant d’organiser un autre événement à un autre endroit à l’avenir pour présenter son document de recherche sur al-Aqsa.

“Au contraire, cela nous encouragera à travailler plus, cela nous donnera plus de force et d’énergie”, a déclaré Elias. “Nous ne quittons pas Jérusalem, nous restons, et peu importe ce qu’ils font.”

* Mersiha Gadzo est journaliste et productrice en ligne pour Al Jazeera English. Avant de rejoindre Al Jazeera, elle travaillait en tant que journaliste freelance en Bosnie-Herzégovine et dans les territoires palestiniens occupés.


14 octobre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine