Parfois, vous devez repousser des images horribles au fond de votre esprit.
Au cours de l’attaque israélienne de 51 jours contre Gaza à l’été 2014, j’ai vu des dizaines de cadavres. La pire chose dont j’ai été témoin était d’avoir vu détruite une voiture à environ 10 mètres de l’endroit où je me trouvais. J’ai pu voir son conducteur rendre son dernier souffle et mourir.
À ce moment-là, tout mon corps s’est glacé. Pendant plusieurs jours, je ne pouvais plus penser qu’à cette scène effroyable. J’étais incapable de dormir pendant près d’une semaine.
Les événements ont été très vite cet été-là. J’ai fait de mon mieux pour oublier l’incident et poursuivre ma vie.
Plus de trois ans ont passé. Et malgré mes efforts pour mettre cette expérience derrière moi, je sais que les cicatrices mentales qu’elle a laissées n’ont pas guéri. Comme beaucoup d’autres personnes à Gaza, je suis resté vulnérable.
Cela a été prouvé le 8 décembre dernier, lorsque les manifestants à Gaza ont exprimé leur colère contre l’annonce par Donald Trump deux jours plus tôt que les États-Unis reconnaîtraient Jérusalem comme la capitale d’Israël.
Mahmoud al-Masri était parmi les manifestants tués par les troupes israéliennes ce jour-là.
J’avais regardé Mahmoud courir vers la clôture séparant la région de Khan-Younes d’Israël. Mahmoud était courageux et sans crainte. Il a continué à courir malgré le fait que les forces israéliennes tiraient des grenades lacrymogènes dans sa direction.
Mahmoud a grimpé la clôture, agitant un drapeau palestinien. Il a été abattu dans le dos par des soldats israéliens.
Quand Mahmoud est tombé, les soldats israéliens ont continué à tirer. Il gisait par terre, perdant son sang pendant près d’une heure avant que les tirs ne cessent. Au moment où quelqu’un pouvait enfin lui apporter de l’aide, Mahmoud avait perdu connaissance.
“Nous sommes arrivés à Mahmoud lorsqu’il a rendu son dernier souffle”, m’a dit Musab Abu Shawish, un infirmier et ambulancier. “Nous n’avons rien pu faire pour lui, sauf lui donner de l’oxygène.”
Sans espoir
Le meurtre de Mahmoud m’a laissé désemparé. Mais ce n’était pas la vue de son cadavre qui me bouleversait le plus – je ne me tenais pas assez près de Mahmoud pour avoir vu son visage.
C’était plutôt une vidéo qui montrait son père, Abd al-Majeed, disant au revoir à Mahmoud dans une morgue.
“S’il vous plaît laissez-moi avec mon fils”, a dit Abd al-Majeed aux gens autour de lui. En voyant sa douleur, tout mon corps a tremblé et j’ai commencé à pleurer de façon incontrôlée.
Je ne connaissais pas personnellement Mahmoud mais j’ai appris qui il était par son père.
Mahmoud, âgé de 29 ans, était un ouvrier du bâtiment. Il espérait créer sa propre entreprise de menuiserie et récolter suffisamment d’argent pour pouvoir rejoindre son frère Ahmad, qui a émigré en Suède il y a quelques années.
Mahmoud “a toujours détesté l’injustice”, me dit son père. “Il était très gentil et serviable.”
Il y a de fortes indications que Mahmoud savait qu’il risquait fort d’être tué le 8 décembre.
La veille au soir, il écrivait sur Facebook : «Si nous mourons en cherchant le martyre, nous mourrons debout comme des arbres.» Sur sa page Facebook, il y a une photo de Yasser Arafat et une citation attribuée au défunt dirigeant sur la façon dont Jérusalem est au coeur de la lutte palestinienne.
Mahmoud était à bien des égards typique des jeunes qui ont protesté contre la décision de Trump.
Nayif al-Salibi est un autre jeune homme avec des rêves et des ambitions. Il étudie actuellement le génie civil à l’Université islamique de Gaza. Une fois diplômé, il espère poursuivre en maîtrise en Allemagne.
Jérusalem n’est pas négociable
Il a participé à la même manifestation que Mahmoud le 8 décembre. Quand j’ai rencontré Nayif, ses yeux pleuraient à cause du gaz lacrymogène tiré par Israël. Avec beaucoup d’autres, il ramassait les grenades lacrymogènes tirées par l’armée israélienne et les renvoyait aux soldats.
“Je suis ici pour montrer au monde que nous refusons de mettre notre ville sainte [Jérusalem] sur la table des négociations”, a-t-il dit. “Personne d’autre que les Palestiniens ne peut prendre de décisions concernant Jérusalem.”
L’utilisation de gaz lacrymogène par Israël – une arme chimique – a été examinée dans une étude récemment publiée par l’Université de Californie à Berkeley. Il a été constaté que la quantité de gaz lacrymogène à laquelle les Palestiniens sont exposés est “probablement au-delà du niveau qui a été trouvé ailleurs dans le monde”.
Bien que l’étude se soit concentrée sur la zone de Bethléem en Cisjordanie occupée, elle est également pertinente pour l’utilisation de gaz lacrymogène à Gaza. Les personnes exposées au gaz lacrymogène ont souffert de symptômes similaires à ceux notés dans l’étude.
Ashraf al-Qedra, un porte-parole du ministère de la Santé à Gaza, a déclaré que près de 60% des personnes blessées lors de manifestations récentes avaient des symptômes liés à l’inhalation de gaz lacrymogène. Cela incluait une toux sévère, des problèmes respiratoires et de fortes accélérations du rythme cardiaque.
Beaucoup de gens à Gaza croient également qu’Israël tire délibérément sur les manifestants pour leur infliger des blessures graves ou même les tuer – huit Palestiniens ont été tués lors des manifestations à la frontière entre Gaza et Israël en décembre.
La vie continue
Environ 40% des blessures par balles réelles lors des récentes manifestations à Gaza étaient dans la tête et le haut du corps, selon al-Qedra.
Sharif Shalash, âgée de 28 ans, est décédé le 23 décembre après avoir été blessé lors d’une manifestation quelques jours plus tôt. Il avait reçu une balle dans le ventre, tirée par l’armée israélienne.
Sharif s’était directement confronté à l’armée israélienne à plusieurs reprises. Il était “un expert de la zone frontalière [avec Israël]”, a déclaré son ami Ahmad Hassaballah. Pendant les manifestations, Sharif avait organisé des groupes de jeunes et les avait conseillés sur la manière de lancer des pneus enflammés et d’autres objets sur les troupes israéliennes. Il avait également essayé de percer des trous dans la clôture de séparation.
Son dernier souhait, selon Hassaballah, était qu’il soit enveloppé dans un drapeau palestinien lorsqu’il serait enterré.
J’ai cherché à parler avec la femme de Sharif, Yasmin.
Mais quand je suis arrivé chez elle, une femme en sortait et s’est excusée au nom de Yasmin. “Elle est trop fatiguée”, dit la femme. “Elle vient de rentrer de l’hôpital et nous venons d’apprendre qu’elle est enceinte.”
C’était un rappel puissant de la façon dont la vie continue, malgré toute la douleur causée par les occupants israéliens et leurs partisans à Washington.
Auteur : Hamza Abu Eltarabesh
3 janvier 2018 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine