Par Adnan Abu Amer
Les tensions se sont intensifiées le 10 février entre Israël et la Syrie après que les défenses aériennes syriennes ont abattu un avion de combat israélien qui avait bombardé Damas quelques heures après qu’Israël avait intercepté un drone iranien dans son espace aérien. Bien que les Palestiniens n’aient pas été impliqués dans les événements, quelques heures plus tard, le Hamas, le Djihad islamique, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), le Front démocratique pour la libération de la Palestine, le Mouvement populaire de résistance et le Mouvement pour la liberté palestinienne ont déclaré leur soutien à la Syrie et à l’Iran et promis de ne pas garder le silence si Israël attaquait un des deux pays.
Le même jour, les Brigades Izz ad-Din al-Qassam, l’aile armée du Hamas, ont tweeté qu’elles allaient faire de leur mieux pour protéger le peuple palestinien et répondre à toute agression israélienne, suite aux incidents à la frontière israélo-syrienne. Mahmoud Mardawi, un dirigeant du Hamas à Gaza et ancien commandant militaire des Brigades, a déclaré à Al-Monitor : « La position du Hamas sur les événements en Syrie envoie un message clair et sans concession à Israël. A savoir que le front de Gaza ne sera pas plus facile à vaincre que les fronts syrien et libanais, que les fronts syrien, libanais et Gazaoui sont unis et qu’Israël ne pourra pas les diviser. Le Hamas cherche également à rassurer la population palestinienne que l’idée d’une nouvelle guerre contre Gaza inquiète, en lui affirmant que les brigades Qassam sont capables de répondre à la menace israélienne ».
Mardawi a ajouté: « Le Hamas veut également montrer à la Syrie que si Israël l’attaque, lui, le Hamas, se tiendra à ses côtés pour qu’elle n’ait pas à affronter seule l’ennemi, comme il l’a fait par le passé. Il sera donc plus difficile pour Israël d’attaquer un des trois pays, Gaza, le Liban ou la Syrie. »
Maher al-Taher, le directeur des relations politiques du FPLP, basé à Damas, a déclaré à Al-Mayadeen le 10 février qu’une guerre israélienne contre le Liban, la Syrie ou Gaza se transformerait nécessairement en un conflit plus large sur tous ces fronts à la fois.
Hassan Hoballah, qui supervise actuellement le dossier palestinien du Hezbollah, a déclaré à Al-Monitor : « L’axe de résistance ne permettra pas à Israël de mener une guerre d’agression uniquement contre Gaza ; les commandants de terrain ont les moyens militaires d’empêcher que cela ne se produise.”
Hoballah a ajouté néanmoins : « Je ne crois pas à une agression israélienne contre la Syrie, le Liban ou Gaza. Cela coûterait vraiment trop cher à Israël, la résistance à de puissants moyens, même à Gaza, et tous les membres de l’axe de résistance sont maintenant dans le même bateau. »
Les récents événements en Syrie ont peut-être ouvert la voie à un retour définitif du Hamas dans l’axe iranien qu’il avait quitté en 2012, après un désaccord sur le camp à soutenir dans la guerre civile syrienne. Le retour progressif des bonnes relations entre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, et la manifestation de soutien du Hamas envers la Syrie devraient mettre fin aux dissensions et permettre au Hamas de rétablir de bonnes relations avec tous les membres de l’axe de résistance, c’est-à-dire Téhéran, Damas et Beyrouth.
Alors que la plupart des factions palestiniennes ont adopté des positions pro-syriennes et pro-iraniennes, le Fatah est resté remarquablement silencieux. Il n’a pas fait de commentaires, ni publié de déclaration sur les développements dont nous venons de parler. Tayseer Nasrallah, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah et dirigeant du Fatah dans le nord de la Cisjordanie, a expliqué pourquoi à Al-Monitor. « Le Fatah concentre son attention sur la cause palestinienne », a-t-il dit. « Nous n’intervenons pas dans les affaires des pays voisins. Nous croyons qu’une guerre dans la région se ferait aux dépens de notre cause nationale. Nous ne voulons pas laisser l’attention palestinienne se détourner vers d’autres questions. »
Les Palestiniens de Gaza ne se sont pas encore remis de la guerre d’Israël contre le Hamas en 2014. C’est pourquoi l’idée de s’engager dans une guerre régionale, qui ne les concerne pas directement, ne les enthousiasme guère. A cela s’ajoute le fait que le Fatah ne veut pas s’engager dans un conflit, et que ni la Syrie, ni le Hezbollah, ni l’Iran ne sont intervenus pour les aider lors des guerres israéliennes de 2008,2012 et 2014.
Wasef Erekat, un expert militaire palestinien spécialiste de la Cisjordanie et ancien commandant de l’unité d’artillerie de l’OLP, a déclaré à Al-Monitor: « S’engager dans une guerre régionale n’est pas vraiment dans l’intérêt de Gaza. Les Palestiniens du Sud-Liban et du Golan syrien pourraient peut-être se joindre à une guerre contre Israël, mais les Gazaouis ont déjà suffisamment de problèmes, comment pourraient-il s’engager dans un conflit de ce genre? Peut-être que les alliés de Gaza au Liban et en Iran peuvent le comprendre et l’accepter. »
Le 10 février, le ministre adjoint des Affaires étrangères iranien Hussein al-Islam a déclaré que l’Iran allait continuer à maintenir un front de résistance uni entre la Syrie, le Liban et Gaza. Mais il reste à voir si les positions pro-syriennes et pro-iraniennes des factions palestiniennes sont assez sincères et solides pour se concrétiser par des actions contre Israël sur le terrain.
Emad Abu Awad, un spécialiste des affaires israéliennes du Vision Center for Political Development en Turquie, basé à Istanbul, a déclaré à Al-Monitor : « L’attitude belliqueuse tous azimut d’Israël a pour but de monter les États-Unis contre l’Iran en accusant [Téhéran] de parrainer la résistance à Gaza. Bien qu’Israël puisse craindre des développements inattendus pendant une guerre [sur plusieurs fronts], son front nord avec le Liban et la Syrie demeure sa principale préoccupation. »
Les tensions pourraient encore s’intensifier entre Israël et la Syrie, ce qui constituerait un sérieux défi pour les membres de l’axe iranien. On verra alors s’ils unissent leurs forces contre Israël, ce qui pourrait aboutir à une guerre régionale dont les conséquences seraient sans doute terribles pour les Palestiniens. Ou si les factions palestiniennes s’en tiennent uniquement à des déclarations et des prises de position…
* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
22 février 2018 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet