Par Abdel Bari Atwan
Ces derniers jours, Londres accueille un cirque politique sans précédent, mettant en vedette une variété d’artistes et d’impresarios et une série de conflits politiques, en raison de la visite de trois jours du prince héritier d’Arabie Saoudite qui a débuté mercredi.
Quelques jours avant son arrivée, d’énormes panneaux d’affichage lumineux sont apparus le long des routes dans la capitale britannique, saluant le prince Muhammad Bin-Salman comme un réformateur, modernisateur et sauveur de sa nation et célébrant les liens historiques de son pays avec la Grande-Bretagne. Son image ornait également les flancs des bus à impériale et des taxis noirs, ainsi que des slogans louant ses vertus et saluant sa visite. A l’opposé, un autobus de manifestants solitaires tournait autour de la place Westminster devant la Chambre des Communes, arborant une banderole qui disait: «Prince héritier saoudien : criminel de guerre.» Il est clair que le concours de relations publiques a été remporté par le camp qui dispose du plus d’argent.
Ces expressions d’admiration et de bienvenue étaient, bien sûr, le travail de diverses sociétés de relations publiques grassement payées par le gouvernement saoudien. Pourtant, l’accueil réservé par le gouvernement britannique à l’homme fort saoudien était remarquable : il était digne d’un roi plutôt que d’un héritier pressenti ou d’un chef de gouvernement adjoint, et en fait, l’attention politique qui lui était accordée et le décorum qui l’accompagnait, a dépassé ce qui était accordé aux anciens monarques saoudiens comme Abdallah et Fahd quand ils se rendaient en visite officielle au Royaume-Uni.
Pour souligner la chaleur de la réception, il a été accueilli à un déjeuner avec la reine Elizabeth II, suivi d’une causerie avec le premier ministre Theresa May, puis d’un banquet offert par le prince héritier Charles et le futur monarque William.
Cela s’est produit dans le contexte d’une campagne de protestations, impliquant une foule de groupes anti-guerre et de défense des droits de l’homme et soutenue par diverses organisations politiques, pour dénoncer la guerre de l’Arabie Saoudite contre le Yémen. Les images des victimes ont suivi Muhammad Bin-Salman partout où il allait. Cela a fait de la guerre meurtrière et du blocus menés par l’Arabie saoudite la question dominante – et la plus contrariante – durant la visite du prince héritier saoudien. La porte-parole du parti travailliste d’opposition, Emily Thornberry, a noté que les avions de combat saoudiens réalisaient en moyenne une frappe aérienne au Yémen toutes les 93 minutes, et qu’un enfant yéménite était tué toutes les dix minutes. Le chef du parti, Jeremy Corbyn, a exigé la fin de toutes les ventes d’armes britanniques à l’Arabie Saoudite. ***
Mais ces protestations ne devraient pas avoir beaucoup d’effet sur le gouvernement conservateur de May. Il continuera à faire tout ce qui est en son pouvoir pour exploiter cette visite du dirigeant de facto du pays le plus riche du Moyen-Orient afin de récolter autant de milliards que possible en armes et investissements. D’où la flatterie extravagante du secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Boris Johnson, et son discours sur une nouvelle relation stratégique entre les deux pays et sur le soutien de la Grande-Bretagne au droit de légitime défense de l’Arabie saoudite. Cela a été accompagné par l’annonce que les deux pays formeraient un conseil conjoint pour discuter des questions internationales et économiques, ce qui implique des dizaines de milliards de livres d’investissements mutuels.
Le gouvernement britannique n’est pas disposé à écouter Corbyn ni à suivre les traces de l’Allemagne, qui a annoncé l’arrêt des exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite pour protester contre la conduite de la guerre au Yémen. Il ne tiendra pas non plus compte des conseils du Conseil Islamique de Grande-Bretagne qui l’a exhorté à ne pas se laisser berner par la façade réformiste utilisée pour dissimuler l’absence de démocratie et l’arrestation des militants en Arabie Saoudite – une opinion apparemment partagée par une majorité du public britannique. Tout se dont le gouvernement se soucie c’est d’argent, des accords commerciaux et de la création d’emplois pour l’après-Brexit en Grande-Bretagne.
Muhammad Bin-Salman a en effet introduit des réformes sociales pour plaire aux jeunes saoudiens qui constituent environ 70% de la population et a fait une démonstration très sélective de la lutte contre la corruption aux plus hauts niveaux. Mais cela ne représente guère et l’effet sera de courte durée en l’absence de réforme politique. La jeunesse saoudienne ne se satisfera pas longtemps d’un peu de divertissement et de mixité, et d’assouplissement des règles religieuses strictes. Elle finira par exiger la participation politique, plus de droits de l’homme et une plus grande transparence dans la conduite du pays.
Bin-Salman a décrit les changements qu’il a faits comme fournissant une «thérapie de choc» à une société calcifiée et conservatrice qui vit dans un âge révolu. Sa description peut être appropriée. Mais son problème, c’est que les chocs n’ont qu’un impact sur le court terme. Leurs effets se dissipent rapidement s’ils ne sont pas accompagnés de réformes générales qui, d’une part, rendent durable tout ce qui a été réalisé et, d’autre part, établissent la base d’un État moderne fondé sur des institutions.
Il est peut-être vrai que Muhammad Bin-Salman a jeté un énorme rocher dans une mare stagnante. Mais il ne suffit pas de lancer des pierres et des pierres, et ni lui ni ses conseillers ne semblent capables de comprendre cela. Le cirque de Londres pliera bagages dès la fin de la visite. Les panneaux d’affichage seront changés et les portraits retirés et mis dans un coin, et tous les intéressés mettront leurs chèques en banque et rentreront chez eux. Mais les réalités austères de l’Arabie Saoudite et ses multiples défis resteront inchangés, surtout le cauchemar de la guerre au Yémen qui est ouverte à toutes les éventualités.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
8 mars 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine
la perfide albion ne va pas mettre un terme à une guerre qu’elle a grandement participé à créer, et ce pour vendre ses vieux stocks d’armes et récupérer une partie de la manne du pétrole.