Par Abdel Bari Atwan
Des millions de Libyens et beaucoup plus d’Arabes et de Musulmans se réjouiront de la nouvelle selon laquelle l’ancien président français Nicolas Sarkozy a été interrogé puis remis en liberté sous caution, pour avoir reçu plus de 50 millions d’euros de l’ancien dirigeant libyen Mouammar al-Kadhafi pour financer sa campagne électorale victorieuse en 2007.
Pas plus que les victimes directes de la campagne de bombardement de l’OTAN en 2011 qui a détruit la Libye, l’a transformée en un État en faillite et a entraîné la mort de dizaines de milliers d’habitants et la fuite de millions d’autres dans les pays voisins. Cela ne signifie pas que ceux qui restent dans leur patrie sont mieux lotis, et dans la plupart des cas, leur situation est encore pire.
Cadeau empoisonné
Les interrogateurs français de Sarkozy ont confirmé qu’ils avaient des preuves sérieuses d’activités criminelles de sa part sur plusieurs points, notamment la corruption, le blanchiment d’argent et la violation des lois françaises de financement des campagnes électorales.
Il est ironique que Kadhafi ait aidé Sarkozy à entrer à l’Élysée et qu’il soit maintenant la cause de sa perte et de sa détention, après des années d’enquêtes sur ce qui est un scandale.
Sarkozy pensait qu’en lançant des frappes aériennes de l’OTAN sur la Libye et en faisant capturer et tuer sommairement Kadhafi – de la manière laide et sanglante qui a été utilisée – il pourrait enterrer les secrets du dirigeant libyen avec sa dépouille dans un endroit inconnu dans le désert libyen. Il ne savait pas que la «malédiction du colonel» reviendrait le hanter, anéantirait son avenir politique et personnel et le reléguerait à une place bien méritée dans la poubelle de l’histoire.
Les millions de Libyens qui regrettent maintenant les jours de Kadhafi – après avoir vu ce que ses successeurs ont fait de le pays – doivent remercier l’homme d’affaires libano-libanais Ziad Takieddine. Il a en effet révélé avoir livré trois mallettes contenant des billets de 200 et 500 euros au chef de cabinet de Sarkozy alors que ce dernier était ministre de l’Intérieur, et de l’avoir rencontré en personne au ministère. Il a aussi soutenu que – avec la confirmation de Mousa Kousa, ancien chef des services secrets libyens – le régime de Kadhafi avait fourni 50 millions d’euros en espèces à la campagne de Sarkozy.
“Que ce clown rende l’argent !”
En mars 2001 – après que Sarkozy ait joué son rôle dans la mise en place du projet – l’intervention de l’OTAN était devenue évidente. Kadhafi lui-même en parlait dans un discours: “J’ai aidé Sarkozy à accéder au pouvoir. Je lui ai donné de l’argent pour qu’il devienne président … Il est venu ici… Il a visité ma tente quand il était ministre de l’Intérieur et a demandé de l’aide. »
Le fils de Khadafi, Saif-al-Islam a déclaré pour sa part que le “clown Sarkozy” devait rendre l’argent “qu’il a pris de la Libye pour financer sa campagne électorale.”
Sarkozy a de bonnes chances d’être condamné. Contrairement à Kadhafi, la plupart des témoins sont encore en vie et peuvent être convoqués pour témoigner ou faire l’objet d’une visite par les procureurs pour faire des déclarations de témoins. Parmi ceux-ci figurent Saif al-Islam et l’ancien chef de la sécurité Abdallah as-Sanousi (en Libye), Mousa Kousa (au Qatar) et l’ancien chef du bureau de Kadhafi, Bashir Saleh (actuellement en Afrique du Sud).
Il est paradoxal que Sarkozy ait affirmé aux enquêteurs – selon le quotidien Le Figaro – qu’il a été victime d’une campagne que Kadhafi avait initiée contre lui et qui a été poursuivie par ses sbires, lui coûtant les élections de 2012. Il a nié toutes les accusations.
Sarkozy a peut-être perdu sa candidature à la réélection, mais grâce à ses intrigues, le peuple libyen a perdu son pays, sa sécurité et toute vie normale, transformés en enfer pour des millions de personnes à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Ces Libyens ont le droit de savourer le châtiment de Sarkozy et veulent le voir jeter derrière les barreaux, pour le moins. Il est le principal responsable de la mort et de la destruction de la Libye que personne n’aurait pu imaginer et qui, encore plus sérieusement, se poursuit aujourd’hui et pour les années à venir.
Un pays ravagé
C’est la malédiction du bon peuple libyen qui a subi la plus grande fraude de son histoire en croyant que l’OTAN et ses avions de guerre leur apporteraient la liberté et la justice sociale, et établiraient un modèle de sécurité, de stabilité et de prospérité pour un avenir meilleur. Cette malédiction a frappé Sarkozy mais elle poursuivra également les autres complices de cette conspiration désastreuse, y compris des personnalités libyennes et des dirigeants arabes qui sauront se reconnaître.
La revanche ne ramènera pas Kadhafi à la vie, ni les 35 000 victimes des bombardements de l’OTAN et des milices qu’elle a portées au pouvoir, qui ont propagé la mort et la destruction dans tout le pays et ont dérobé plus de 360 milliards de dollars.
Mais cela fournit une sorte de justice divine, ce qui est le moins qu’on puisse espérer.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
23 mars 2018 – Raï-al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine