Par Patrick Cockburn
Trump semble avoir bien apprécié la procession des dirigeants européens d’Emmanuel Macron à Boris Johnson pour implorer un compromis, mais seulement pour s’en retourner les mains vides.
“L’Irak est à la pointe du fusil”, affirme Ali Allaoui, historien irakien et ancien ministre, parlant de l’escalade dans la violence qui devrait suivre le retrait américain de l’accord nucléaire iranien.
Ce n’est pas seulement l’Irak qui est en danger : une confrontation entre les États-Unis et l’Iran affectera toute la région, mais sa plus grande incidence sera en Syrie et en Irak où les guerres font rage depuis longtemps et où Washington et Téhéran sont d’anciens rivaux.
Les États-Unis s’appuieront d’abord sur la réimposition des sanctions économiques contre l’Iran pour le contraindre à se conformer aux exigences américaines et, si possible provoquer un changement de régime à Téhéran. Mais si cela ne marche pas – et cela échouera avec une quasi certitude – il y aura un risque croissant d’actions militaires menées directement par les États-Unis ou par des frappes aériennes israéliennes avec « feu au vert ».
L’Iran réagit prudemment à la dénonciation de l’accord de 2015 par Trump, se présentant comme la victime d’une action arbitraire et cherchant à inciter les États signataires de l’accord à prendre des mesures concrètes pour résister à des sanctions draconiennes comme celles imposées avant 2015. Même si cela ne se produit pas, il sera important pour l’Iran que les Européens ne coopèrent qu’à contrecœur avec les États-Unis pour imposer des sanctions, en particulier sur les exportations pétrolières iraniennes.
Un problème pour les États-Unis est que Trump a fait de l’accord nucléaire iranien négocié par Barack Obama la question sur laquelle il va tester les limites de la puissance américaine qu’il s’est engagé à développer. Mais l’accord est populaire au niveau international et semble fonctionner efficacement en empêchant à l’Iran la capacité éventuelle de développer un armement nucléaire. Les États-Unis se retrouvent donc isolé, avec le plein soutien d’Israël et de l’Arabie saoudite, dans les premières semaines d’une crise qui pourrait durer des années.
La détermination de Trump à couler l’accord pour toujours a déjà eu pour effet de marginaliser et d’humilier la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Ils avaient plaidé pour que cet accord soit préservé, mais rendu plus acceptable aux États-Unis par des accords séparés sur les missiles balistiques et d’autres questions. Trump semble avoir apprécié la procession des dirigeants européens, d’Emmanuel Macron à Boris Johnson pour implorer un compromis, pour s’en retourner les mains vides.
Si les dirigeants européens acceptent maintenant de sanctionner l’Iran, il y aura encore moins de raisons pour que Trump prenne leurs avis au sérieux à l’avenir. Ils ont déjà vu leur tentative de le calmer sur la question du changement climatique sans aucun résultat, et ils doivent soit accepter qu’ils ont moins d’influence et un rôle réduit dans le monde ou faire une tentative sérieuse pour préserver l’accord nucléaire.
Mais même s’ils le font, les États-Unis seront en mesure d’exercer une pression économique intense sur l’Iran et ses partenaires commerciaux. Les banques et les entreprises sont terrorisées à l’idée d’encourir la colère du Trésor américain et d’être confrontées à de lourdes amendes, même pour une violation involontaire des sanctions américaines. Même si les gouvernements de l’UE veulent que leurs entreprises continuent à investir en Iran, ils peuvent considérer que le risque est trop grand.
Les sanctions sont un instrument puissant mais à double tranchant, qui prennent beaucoup de temps pour imposer des résultats et ne produisent généralement pas les dividendes politiques attendus par ceux qui les imposent. Le rial iranien pourrait chuter et l’hyperinflation reviendrait à 40%, mais cela ne suffira probablement pas si l’Iran reprend l’enrichissement de son uranium. L’Iran a déjà fait savoir qu’il ne respecterait pas sa partie de l’accord nucléaire s’il n’obtenait aucun des avantages économiques promis.
Que feront les États-Unis alors ? C’est la question cruciale pour le Moyen-Orient et le reste du monde. Trump vient de torpiller toute solution diplomatique à ce qu’il considère comme la menace de l’Iran de développer une bombe nucléaire. La seule alternative est une réponse militaire, mais il faudrait plus que quelques jours de bombardements aériens. Il faudrait au moins une guerre totale pour que Trump obtienne le genre de résultats qu’il dit escompter.
L’Iran est peut-être faible sur le plan économique, mais sur les plans politiques et militaires, il est en position de force en Irak, en Syrie et au Liban, pays susceptibles de fournir la première scène pour la prochaine crise. Dans les trois endroits, ce sont les compatriotes chiites de l’Iran qui contrôlent et voient les États-Unis comme un allié des États sunnites dans ce qui est en partie un conflit sectaire chiite-sunnite.
L’administration Trump a-t-elle pensé à tout cela ? La crise commence à ressembler beaucoup à celle de l’invasion de l’Irak en 2003. Certains des principaux acteurs, comme le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, sont les mêmes néoconservateurs qui étaient persuadés que l’invasion et l’occupation de l’Irak seraient une promenade. Ils ont l’air de manifester le même mélange d’arrogance et d’ignorance dans ce qui sera leur prochaine confrontation avec l’Iran.
* Patrick Cockburn est un journaliste de The Independent spécialisé dans l’analyse de l’Irak, la Syrie et les guerres au Moyen-Orient. Il est l’auteur de Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq et de Age of Jihad: Islamic State and the Great War for the Middle East.
9 mai 2018 – The Independent – Traduction : Chronique de Palestine