Par Jalal Abukhater
Les dirigeants palestiniens n’ont pas de vision d’avenir, ni de plan d’action pour répondre aux attaques israéliennes.
La politique intérieure palestinienne est un marécage, et Ramallah en est la partie la plus trouble.
Ces eaux stagnantes ont commencé à s’agiter il y a cinq mois, lorsque les États-Unis ont modifié leur politique sur Jérusalem, suscitant des réactions chez les acteurs politiques locaux et internationaux. Le 14 mai, ces changements sont entrés en vigueur et l’ambassade des États-Unis a été transférée dans un bâtiment de Jérusalem situé sur la ligne d’armistice de 1949, renforçant ainsi la revendication d’Israël sur l’ensemble de la ville.
Il s’est dit en Palestine que la réaction de l’Autorité palestinienne (AP) à ces changements a été la plus forte enregistrée depuis de longues années. L’AP a déclaré que désormais elle ne considérait plus les États-Unis comme un “acteur pertinent” du processus de paix, et elle a appelé le peuple à participer à des “journées de rage“.
Il me paraît bien naïf de dire que les États-Unis ne seront plus un “acteur pertinent” en ce qui concerne notre destin, à nous Palestiniens. Il me semble plutôt que c’est la direction politique palestinienne qui n’est plus un “acteur pertinent”. Quant à nous, le peuple palestinien, nous sommes tenus à l’écart des décisions concernant notre avenir.
Depuis décembre, nous assistons au mêmes éternelles rengaines réactionnaires, sans vision réelle ni plan d’action précis. Les Palestiniens voient bien que leurs dirigeants n’ont aucune intention de changer le statu quo, malgré tous les discours enflammés.
La seule chose que font les dirigeants, c’est de prendre des mesures pour renforcer encore davantage leur emprise sur une population palestinienne rendue toujours plus pauvre et désespérée par l’occupation.
A la mi-mars, les efforts de réconciliation déjà interrompus entre l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et le Hamas à Gaza semblaient être à nouveau dans l’impasse. Après la tentative d’assassinat qui aurait ciblé le convoi du premier ministre Rami Hamdallah et du chef de la sécurité Majid Faraj, l’AP a blâmé le Hamas avant même que la poussière ne se soit retombée.
Cela a permis au président Mahmoud Abbas, âgé de 82 ans, d’annoncer de nouvelles mesures punitives pour forcer le Hamas à cèder le contrôle de la bande de Gaza à l’Autorité palestinienne.
Puis, en avril, des banderoles annonçant un “Renouvellement de la loyauté et du soutien au Président Mahmoud Abbas” ont soudain fait leur apparition sur les routes et les bâtiments publics de Cisjordanie.
Les bannières, sponsorisées par une grande variété de familles et d’entreprises situées en Cisjordanie, faisaient partie d’une opération de communication visant à redonner de la légitimité aux dirigeants actuels de l’AP. D’après ce que m’a dit le représentant d’une entreprise basée à Naplouse, les familles et les entreprises qui parrainent ce genre de campagne reçoivent en échange certaines faveurs et un accès plus facile aux ressources publiques.
Fin avril, le Conseil national palestinien s’est réuni, en l’absence de représentation officielle du Hamas, du Djihad islamique, du Front populaire de libération de la Palestine et de quelques personnalités politiques indépendantes. D’après ce que m’ont dit certains participants, cette réunion du Conseil avait pour seul but de consolider l’autorité des dirigeants actuels du gouvernement palestinien à Ramallah.
A ce jour, aucun changement majeur de politique ou de stratégie n’a été annoncé en réponse aux développements politiques majeurs des cinq derniers mois.
Entre-temps, nous avons marqué le 70ième anniversaire de la Nakba (la catastrophe), alors que les États-Unis continuent de faire pression pour faire passer le “deal du siècle” qui privera les Palestiniens de tout droit ou revendication sur leurs terres. Tout cela avec le soutien des États arabes qui parlent de normalisation des relations avec Israël. Le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman serait même allé jusqu’à dire, lors d’une réunion avec des dirigeants juifs à New York : “Il est temps que les Palestiniens acceptent ce qu’on leur propose et reviennent à la table des négociations ou alors qu’ils se taisent et arrêtent de se plaindre.”
Israël poursuit sans entrave ses activités illégales dans les territoires occupés. Globalement, la légitimité de l’État d’Israël semble s’accroître. Début mai, le PDG d’Alibaba, Jack Ma, a effectué un important voyage en Israël, où il a rencontré divers hauts responsables du gouvernement israélien, dont le premier ministre Benjamin Netanyahu. Israël est l’un des trois pays où Alibaba envisage de s’implanter, selon Ma. De même, la visite du PDG de Tesla, Elon Musk, en Israël en mars, a suscité des spéculations sur un éventuel investissement de Tesla dans ce pays dans un avenir proche.
Et pendant tout ce temps, je nous vois, nous, les Palestiniens et nos soi-disant dirigeants, courir comme des poulets sans tête. Une tempête de bouleversements politiques sans précédents s’apprête à nous tomber dessus, et nous ne sommes pas en mesure de lui résister, ni de riposter. Ce que j’ai dit il y a six mois dans un éditorial d’Al Jazeera intitulé “Tout ce que l’Autorité palestinienne produit, c’est de la rage” est toujours vrai : cette rage ne protégera pas Jérusalem et ne garantira pas l’autodétermination du peuple palestinien.
Soixante-deux Palestiniens ont été tués en une journée à Gaza, alors qu’ils exerçaient leur droit de manifester pacifiquement et tout ce que nous pouvons faire, c’est de nous désespérer et de pleurer nos morts, pendant que l’AP continue de se coordonner avec l’appareil de sécurité israélien qui massacre son peuple, pendant que le Hamas n’a qu’une seule idée : garder le contrôle de la bande de Gaza. Ce que ni l’un, ni l’autre, ne comprennent, c’est à quel point le peuple palestinien se sent perdu et désespéré pendant qu’ils se bouffent le nez pour un pouvoir de pacotille.
Le seul moyen de sortir du marécage de désespoir dans lequel nous sommes enfoncés c’est de changer de stratégie ; il faut que nos dirigeants admettent leur échec et qu’ils laissent la place à d’autres. Il nous faut des dirigeants capables de prendre des décisions audacieuses. Il est temps pour nous de prendre en main notre destin et d’être reconnu sur la scène internationale comme une entité politique dotée d’une réelle autorité.
Auteur : Jalal Abukhater
* Jalal Abukhater est Jérusalemite. Il est titulaire d'une maîtrise en relations internationales et en politique de l'Université de Dundee, en Écosse. Son compte Twitter.
16 mai 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet