Mais, en interagissant avec des centaines de personnes et en étant confronté à de multiples environnements de médias traditionnels et alternatifs, j’ai aussi beaucoup appris sur l’évolution du sentiment politique général dans le monde occidental par rapport à la Palestine.
Alors que les pays que j’ai visités – les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni (Angleterre et Écosse), les Pays-Bas, l’Autriche, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – ne représentent aucunement tous les pays occidentaux, j’ai pu acquérir une assez bonne vue d’ensemble sur les idées, les perceptions et les attitudes prévalant dans les gouvernements, les médias, les universités et la société civile de ces pays.
Premièrement, la base de soutien à la Palestine dans la société civile croît de manière exponentielle, non seulement dans le nombre de personnes qui se sentent concernées par la Palestine ou qui s’y intéressent, mais aussi dans la nature de cet engagement. Le détachement ou le sentiment de d’impuissance du passé a presque complètement disparu, au profit d’une approche proactive – comme si les personnes voulaient être des acteurs de changement aux niveaux local et national.
Deuxièmement, le consensus sur le soutien du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) ne cesse d’augmenter parmi les syndicats, les églises, les universités etc… L’ancien point de vue selon lequel la campagne BDS était un instrument de division et contre-productive n’a plus guère d’impact ces temps-ci. La plupart des débats concernant le BDS ne portent pas sur l’éthique de la stratégie de boycott, mais sur la nature et l’ampleur de ce boycott.
Troisièmement, le degré de détermination dans le soutien aux Palestiniens s’est également renforcé. Les positions sans conséquence consistant à parier sur le «mouvement pour la paix» israélien ou sur les «colombes» du Parti travailliste tout en condamnant les «extrémistes des deux côtés», ne font plus guère recette.
En effet, les guerres israéliennes successives sur Gaza et le siège ininterrompu sur le territoire enclavé ont progressivement, mais de façon irréversible, poussé le récit sur la Palestine en faveur d’une toute nouvelle direction, celle qui ne compte pas sur une hypothétique «prise de conscience israélienne». La récente et meurtrière réaction israélienne face aux manifestants pacifiques de la «Grande marche du Retour» à Gaza a galvanisé le soutien aux Palestiniens, même au sein de publics relativement apolitiques.
Quatrièmement, incapables de résister à la montée des mouvements pro-palestiniens, les partisans israéliens et pro-israéliens poussent, comme jamais auparavant, l’accusation d’antisémitisme contre ceux qui remettent en question l’occupation israélienne, reprennent l’expression «Apartheid israélien» ou soutiennent la campagne BDS.
Bien que la tactique n’étouffe plus le débat sur la Palestine, elle crée suffisamment de distraction pour détourner l’attention, l’énergie et les ressources vers des questions secondaires. Un exemple typique est l’obsession des médias britanniques sur le prétendu antisémitisme soi-disant répandu au sein du Parti travailliste, au moment même où des milliers de Gazaouis étaient blessés et plus d’une centaine tués alors qu’ils manifestaient pacifiquement à Gaza.
Cinquièmement, les jeunes sont moins susceptibles d’être intimidés par les vieilles combines israéliennes. Alors que la génération précédente de responsables de la société civile et de militants était involontairement influencée par les nombreuses tactiques de dénigrement utilisées par Israël et ses partisans, la jeune génération n’est pas aussi facilement intimidée. Cela s’explique en partie par le fait que les médias en réseau – en particulier les médias sociaux – ont aidé les jeunes à atteindre un degré de communication à l’échelle mondiale qui a renforcé leur sentiment d’unité et leur détermination.
La nouvelle génération d’étudiants palestiniens et de jeunes intellectuels prend également toute sa place dans cette évolution. Leur capacité à se connecter avec les sociétés occidentales en tant qu’éléments extérieurs et intérieurs à la fois, a aidé à combler les fossés culturels et politiques.
Sixièmement, alors que les idées de la «solution d’un État démocratique» n’ont pas encore atteint la masse critique qui pourrait éventuellement pousser les gouvernements à changer de politique, la soi-disant «solution à deux États» n’a plus guère de partisans. C’est presque un renversement complet des points de vue qui ont imprégné mes premières tournées mondiales, il y a près de 20 ans.
Septièmement, certains cercles de la société intellectuelle et même de la société civile, sont encore englués dans la pensée erronée que la meilleure façon de transmettre le point de vue palestinien est par l’intermédiaire des non-Palestiniens. Cette conviction est même défendue par certains Palestiniens eux-mêmes (en particulier les membres des générations précédentes qui ont souffert de la marginalisation et de la discrimination politiques et culturelles).
Bien que de nombreux intellectuels juifs et occidentaux antisionistes aient été placés au premier plan pour véhiculer un message palestinien, l’aliénation des Palestiniens par rapport à leur propre discours s’est révélée très pénalisante. Malgré un soutien fort et en augmentation constante par rapport à la Palestine, il y a encore un grave déficit dans une compréhension authentique de la Palestine et des aspirations du peuple palestinien – son histoire, sa culture, ses réalités quotidiennes et ses points de vue.
Inutile de dire que ce qu’il faut, c’est une remise en forme urgente et complète du récit sur la Palestine en même temps qu’une décolonisation du discours palestinien.
Huitièmement, le lien entre la lutte palestinienne pour la liberté et celle des autres groupes autochtones est souvent mis en évidence, mais beaucoup plus peut être fait. Les partisans israéliens poussent activement la notion trompeuse que les Israéliens sont les «natifs» de la terre et tendent donc la main aux communautés indigènes du monde entier à la recherche d’un terrain d’entente. Alors que la réalité est à l’opposé, les groupes pro-palestiniens peuvent faire beaucoup plus pour lier la lutte des autochtones palestiniens à celle d’autres groupes indigènes et d’autres groupes opprimés et historiquement marginalisés à travers le monde.
Tout aussi important : tout au long de mon voyage de trois mois à travers le monde, j’ai été le témoin direct des nombreuses initiatives personnelles et de groupes menées par des milliers de personnes en solidarité avec le peuple palestinien: depuis Salma, âgée 11 ans, qui a convaincu tous ses camarades de classe à Perth en Australie de mentionner la Palestine sur la carte du monde dans sa classe de géographie, bien que sachant qu’ils seraient tous mal notés pour leur action, jusqu’au couple âgé à Auckland, en Nouvelle-Zélande, qui bien qu’octogénaires et se déplaçant avec beaucoup de difficultés, continue de distribuer aux passants dans une rue très fréquentée des tracts parlant de la Palestine, chaque semaine toutes ces 20 dernières années.
Ce sont ces personnes, et les millions comme elles, qui sont le véritable appui pour la Palestine. Ce sont des combattants dans les tranchées de la solidarité humaine que ni Israël ni personne d’autre, ne pourra vaincre.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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30 mai 2018 – Transis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah