La séquence dans laquelle se révélera cet échec – que l’on peut anticiper – sera sans doute le suivant : l’Autorité Palestinienne (AP) à Ramallah va rejeter “l’accord” une fois que les détails complets du plan de l’administration US seront dévoilés; puis Israël différera sa décision jusqu’à ce que le rejet des Palestiniens soit minutieusement exploité par les médias américains pro-israéliens.
La réalité est que compte tenu du poids écrasant de la droite et des forces ultranationalistes en Israël, un État palestinien indépendant, même sur 1% de la Palestine historique, ne sera pas acceptable selon les normes politiques actuelles en Israël.
Un élément supplémentaire : la carrière du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu est entachée par des accusations de corruption et plusieurs enquêtes policières. Sa position est trop faible pour garantir sa propre survie jusqu’aux prochaines élections générales, et encore moins pour défendre un “Deal du siècle”.
Cependant, le dirigeant israélien contesté va manœuvrer au maximum pour emporter encore plus de faveurs de ses alliés américains, détourner l’attention du public israélien de ses propres affaires de corruption et tenir les Palestiniens responsables du fiasco politique que cela va certainement déclencher.
C’est une reprise de la “Feuille de route pour la paix” de George W. Bush et de Camp David II de Bill Clinton. Ces deux initiatives, aussi injustes qu’elles étaient envers les Palestiniens, n’ont dès le début jamais été acceptées par Israël. Pourtant dans de nombreux livres d’histoire, il est écrit que les dirigeants palestiniens “ingrats” avaient torpillé les efforts de paix des États-Unis et d’Israël. Netanyahu tient à entretenir ce mensonge patenté.
Le dirigeant israélien, qui a reçu il y a peu le cadeau de la relocalisation de l’ambassade américaine à Jérusalem, sait à quel point ce “Deal” est important pour l’administration Trump. Avant de devenir président, Trump a évoqué très tôt son “accord final” dans une interview au Wall Street Journal le 1er novembre 2016. Il ne donnait alors aucun détail, se contentant d’affirmer qu’il était capable de “réaliser … l’accord qui ne peut l’être … pour le bien de l’humanité”.
Depuis lors, nous avons compté sur des fuites occasionnelles à partir de novembre 2017 jusqu’à récemment. Nous avons appris qu’un État palestinien démilitarisé serait établi sur une petite partie de la Cisjordanie, sans Jérusalem-Est occupée comme capitale, qu’Israël gardera toute la ville de Jérusalem et annexera des colonies juives [toutes illégales au regard du droit international], gardant même le contrôle de la vallée du Jourdain, entre autres choses.
Les Palestiniens auront encore une “Jérusalem”, même si elle doit être créée de toutes pièces, le quartier d’Abu Dis devant alors simplement s’appeler Jérusalem.
Malgré tout le battage médiatique, rien n’est vraiment nouveau ici. Le “deal du siècle” promet d’être une simple répétition des précédentes propositions américaines qui répondaient aux besoins et aux intérêts d’Israël.
Les propos du gendre de Trump, Jared Kushner, dans une interview au journal palestinien Al-Quds, corroborent ce point de vue. Il y affirme que le peuple palestinien “est moins investi dans les discussions des politiciens que dans la recherche d’un accord qui leur donnera, ainsi qu’aux futures générations, de nouvelles opportunités, des emplois plus nombreux et mieux rémunérés”.
Où avons-nous entendu cela auparavant ? Oh, oui, la soi-disant “paix économique” de Netanyahu qu’il brandit depuis plus d’une décennie. Certes, l’Autorité palestinienne (AP) a prouvé que sa volonté politique est à vendre au plus offrant, mais s’attendre à ce que le peuple palestinien fasse de même est une illusion sans précédent historique.
En effet, l’AP est devenue un obstacle à la liberté palestinienne. Un récent sondage mené par le Centre palestinien pour la politique et les enquêtes, a révélé que la majorité des Palestiniens blâment principalement Israël et l’AP pour le siège de Gaza et qu’ils estiment que l’AP est devenue un fardeau pour le peuple palestinien.
Il n’est guère surprenant qu’en mars 2018, 68% de tous les Palestiniens souhaitaient la démission du président de l’AP, Mahmoud Abbas.
Alors qu’Israël endosse la plus grande partie de la responsabilité de son occupation militaire de plusieurs décennies, de ses guerres successives et de ses sièges meurtriers, les États-Unis sont également responsables du soutien et du financement des initiatives coloniales d’Israël. Mais l’AP ne peut pas jouer le rôle de la malheureuse victime…
Ce qui rend la particularité du “deal du siècle” si dangereuse, c’est que le fait que l’on ne peut absolument pas faire confiance à l’AP. Celle-ci a bien joué, et depuis longtemps, le rôle qui lui a été assigné par Israël et les États-Unis. La politique de l’AP a servi de relais local pour soumettre les Palestiniens, s’opposer à leurs protestations et assurer la disparition de toute initiative politique qui ne tourne pas autour de la glorification d’Abbas et de ses seconds couteaux.
Ce n’est guère une réussite de voir qu’une grande partie de la politique extérieure de l’AP a été investie ces dernières années dans l’isolement économique et politique complet de Gaza déjà appauvrie et sous blocus, plutôt que d’unifier le peuple palestinien autour d’une lutte collective pour mettre fin à l’horrible occupation israélienne.
Pour les responsables de l’AP, dénoncer le “Deal du siècle” comme une violation des droits des Palestiniens – alors qu’ils n’ont pas fait grand chose pour faire en premier lieu respecter ces droits – c’est la définition même de l’hypocrisie. Il n’est pas étonnant que Kushner puisse s’imaginer que les États-Unis vont simplement acheter les Palestiniens avec de l’argent dans un “deal” du genre “Prends l’oseille et tire-toi”, comme le dit si bien Robert Fisk.
Que peut faire l’AP maintenant ? Elle est piégée par sa propre imprudence. D’une part, le sponsor financier de l’AP à Washington DC a fermé les robinets, et d’autre part le peuple palestinien a perdu le dernier iota de respect pour son soi-disant “leadership”.
Le “Deal du siècle” de Trump peut par inadvertance mélanger les cartes menant à un “redistribution des rôles entre toutes les autres parties impliquées”, comme le soutient Anders Persson. Une option possible pour le peuple palestinien est la reprise et le développement du modèle de mobilisation populaire qui est apparu à la barrière entre Gaza et Israël depuis de nombreuses semaines.
La fin du partenariat US/AP et la destruction imminente du statu quo pourraient être l’occasion attendue pour le peuple palestinien pour libérer ses forces à travers la mobilisation de masse et la résistance populaire en Palestine même, le tout lié à un rôle actif des communautés palestiniennes dans la diaspora.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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4 juillet 2018 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – Lotfallah