Par Susan Abulhawa
La nouvelle loi israélienne sur l’ “État-nation” suit les traces de Jim Crow, de l’Indian Removal Act et des lois de Nuremberg.
Plus de 80 ans après l’adoption par l’Allemagne nazie de ce qui allait être connu sous le nom de “lois de Nuremberg sur la race”, les députés israéliens ont voté en faveur de la ainsi-nommée “loi de l’État-nation”. Ce faisant, ils ont essentiellement codifié la “suprématie juive” en une loi qui reflète effectivement la législation de l’ère nazie sur la stratification ethno-religieuse des citoyens allemands.
La “loi de l’État-nation” d’Israël stipule dans sa première clause que “la mise en œuvre du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est unique au peuple juif”. En d’autres termes, les 1,7 million de citoyens palestiniens d’Israël, descendants des natifs qui ont réussi à rester dans leurs foyers quand les juifs européens ont conquis des parties de la Palestine historique en 1948, seront sans souveraineté ou libre arbitre pour toujours, à la merci des Juifs israéliens.
De la même manière, la première des lois de Nuremberg, la loi sur “la citoyenneté du Reich”, considérait la citoyenneté comme un privilège réservé aux personnes de “sang allemand ou apparenté”. Les autres avaient été classés comme sujets de l’État, sans droits de citoyenneté.
Puisqu’il n’y avait aucune manière scientifiquement défendable de distinguer les Allemands juifs du reste de la société allemande, les députés du Reichstag se sont appuyés sur l’ascendance des personnes pour déterminer leur judéité. Toute personne qui avait trois ou quatre grands-parents juifs était définie comme un Juif, peu importe si cette personne s’identifiait elle-même ou non en tant que Juive ou appartenait ou non à la communauté religieuse juive.
Cela ne sera pas nécessaire en ce qui concerne les citoyens palestiniens d’Israël parce que, depuis sa création en 1948, Israël a mis en place tout un ensemble de procédures et règles pour s’assurer que les non-juifs ne puissent s’intégrer dans la société juive dominante.
Ceci nous amène à la deuxième loi de Nuremberg : la “loi pour la protection du sang allemand et l’honneur allemand”, qui visait à empêcher le mélange du sang aryen, qualifié de “souillure raciale”.
La nouvelle “loi de l’État-nation” peut ne pas mentionner “la souillure de la race”, mais en Israël, des lois contre le métissage sont déjà en place, déguisées en lois visant à protéger les valeurs traditionnelles. Le mariage ne peut être célébré que par des autorités religieuses et le rabbinat orthodoxe a une compétence exclusive sur les mariages juifs. Le mariage interreligieux en Israël est strictement interdit par la loi.
La “loi du drapeau du Reich“, qui a établi les couleurs nationales de l’Allemagne en noir, rouge et blanc, et le drapeau à croix gammée en tant que nouveau drapeau national, faisait également partie des lois de Nuremberg.
La deuxième clause de la “loi de l’État-nation” d’Israël concernant les symboles nationaux indique de même que “le drapeau de l’État est blanc, avec deux bandes bleues près des bords, et une étoile de David bleue au centre”. Deux jours après son adoption, la police et les soldats israéliens ont arrêté un garçon palestinien pour avoir brandi un drapeau palestinien à l’extérieur de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem occupée.
La troisième clause de la nouvelle “loi de l’État-nation” réitère la prétention illégitime d’Israël à disposer de Jérusalem comme capitale, une revendication illégale et internationalement condamnée qui a été encouragée par la décision provocatrice du président américain Donald Trump de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. .
Il est intéressant de noter que cette nouvelle loi ne définit pas de frontières nationales et qu’Israël reste le seul pays au monde sans frontières déclarées. Cela n’est pas surprenant, car Israël est un État colonialiste en expansion constante, même si son admission aux Nations Unies en 1948 était basée sur sa revendication des zones à l’intérieur de la ligne d’armistice de 1948, qui n’inclut pas Jérusalem ni aucune partie de la Cisjordanie.
Cette nouvelle loi marque également le début de l’effacement de la langue arabe de sa terre, car elle décrète l’hébreu comme étant la seule langue officielle de l’État, tandis que l’arabe ne dispose que d’un “statut spécial”. Sa quatrième clause explique en outre que l’utilisation de “la langue arabe [sic]” dans les institutions “sera réglementé par la loi”.
Quant aux 4,5 millions de Palestiniens autochtones de Gaza et de Cisjordanie qui n’ont pas la citoyenneté israélienne, la loi de l’État-nation les élude complètement dans la septième clause, qui stipule: “L’État considère la colonie juive comme une valeur nationale, et encourage et promeut son établissement et son développement.”
Dit simplement, Israël continuera à s’activer de son mieux pour construire des colonies exclusivement juives sur les terres palestiniennes volées, et ostensiblement là où un État palestinien devait être formé selon les Accords d’Oslo.
Nous pouvons nous attendre à ce que le développement ininterrompu des colonies juives par Israël ait pour effet de déplacer en permanence et par la force les Palestiniens pour les remplacer par des Juifs importés. Nous avons vu, au cours des dernières décennies de constructions coloniales, que ce processus est accompagné d’une dépossession systématique, de la marginalisation, de la ghettoïsation et du vol des habitants palestiniens autochtones. Ce processus ressemble davantage à l’élimination et à la marginalisation des Premières Nations en Amérique du Nord tel que postulé dans le Manifest Destiny.
Les médias occidentaux devraient cesser d’édulcorer la réalité en qualifiant la “loi d’État-nation” de “controversée” alors qu’en fait, elle met en avant les pires des pulsions humaines, comme par l’Allemagne nazie, les lois Jim Crow et l’Indian Removal America, et d’autres moments abominables de l’histoire humaine.
Auteur : Susan Abulhawa
* Susan Abulhawa est l’auteure de Les Matins de Jénine (éditions Buchet-Chastel, 2008) et la fondatrice de "Playgrounds for Palestine"
27 juillet 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah