Par Maram Humaid
Les employés de l’UNRWA dans Gaza sont en état de choc après les suspensions d’emplois dans l’agence des Nations Unies, laissant de nombreuses personnes face à un avenir incertain.
Raffat Abu Hashim travaillait dans son bureau de l’agence de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) à Khan Younis, au sud de la bande de Gaza, lorsqu’il a reçu le courriel tant redouté en provenance du site du personnel.
Son contrat ne sera pas renouvelé lorsqu’il se terminera en décembre.
“Je n’avais jamais imaginé que cela m’arriverait”, a déclaré à Al Jazeera ce père de six enfants, âgé de 53 ans.
“J’ai servi à l’UNRWA pendant 32 ans, lorsque j’ai été embauché comme urgentiste en janvier 1987. Je suis profondément choqué”, a-t-il dit, essuyant des gouttes de sueur sur son front.
Abu Hashim n’a pas dit à sa famille – qui dépend de lui comme seul soutien de famille – qu’il faisait face à une imminente perte d’emploi.
“Je pense à eux, à mes enfants qui vont à l’école et à l’université, aux prêts que je dois à la banque et à d’autres engagements financiers”, dit-il.
“Comment puis-je leur dire que je n’aurai plus de travail ? Mon travail est l’épine dorsale de leur vie.”
Suspension des contrats de l’UNRWA
Le gouvernement américain a annoncé au début de l’année qu’il réduirait son financement de 365 à 65 millions de dollars, après que le président Donald Trump ait accusé les Palestiniens d’être “ingrats” pour les millions de dollars d’aide reçus.
“Nous payons aux Palestiniens CENT MILLIONS DE DOLLARS par an et n’obtenons aucune appréciation ou respect”, a twitté M. Trump, un mois après sa reconnaissance largement condamnée de Jérusalem comme capitale d’Israël, une décision qui a conduit l’Autorité palestinienne à condamner les États-Unis pour ne plus être un intermédiaire impartial.
“Puisque les Palestiniens ne veulent plus parler de paix, pourquoi devrions-nous leur verser ces énormes paiements dans le futur ?”
Plus de la moitié des deux millions d’habitants de Gaza dépendent de l’aide de l’UNRWA, qui a fourni un soutien pendant sept décennies dans l’approvisionnement alimentaire, les soins de santé, les services sociaux, l’emploi et l’accès à l’éducation.
Actuellement, le territoire sous blocus souffre d’un taux de chômage de 44 pour cent. Mercredi dernier, l’agence a licencié 113 autres employés, tous en raison de la réduction budgétaire de 80% des États-Unis.
En outre, l’UNRWA a annoncé que les contrats de 1000 de ses employés dans la bande de Gaza – dont Abu Hashim – ne seront pas renouvelés. Cela comprend la fin du programme de santé mentale, qui emploie 430 personnes.
Une manifestation à durée indéfinie a lieu depuis ce jour au siège de l’agence à Gaza pour protester contre les suppressions d’emplois.
“C’est un massacre contre les employés”, explique à Al Jazeera Amal al-Batsh, vice-présidente du syndicat du personnel de l’UNRWA. “La solution à la crise ne devrait pas se faire au détriment du personnel qui fournit des services aux dizaines de milliers de réfugiés dans la bande de Gaza”.
Batsh dit aussi que les “décisions injustes” auront un impact négatif sur tous les services fournis aux réfugiés et affecteront gravement les employés et leurs familles, y compris leur état psychologique, ajoutant à la détérioration des conditions de vie à Gaza.
“C’est une question politique plutôt que financière”, a déclaré Batsh. “Nous avons proposé un certain nombre de solutions, mais elles ont été rejetées par l’administration de l’UNRWA, ce qui constitue une menace pour l’ensemble des réfugiés, la présence de l’UNRWA et ses services dans la bande de Gaza”.
“Nous intensifierons nos protestations jusqu’à ce que l’UNRWA revienne sur sa décision”, a-t-elle ajouté.
“Douleur et tristesse”
Les employés de l’UNRWA à Gaza, qui sont au nombre d’environ 13 000, ont été stupéfaits en apprenant la supression des emplois, beaucoup d’entre eux étant les seuls soutiens pour leurs familles. Un homme a tenté de se brûler vif devant le siège de la ville de Gaza, mais il a été retenu dans son geste par ses collègues.
Mona al-Qishawi, âgée de 52 ans, travaille comme conseillère en santé mentale dans un centre médical de l’UNRWA depuis deux ans dans la ville de Gaza, et elle était parmi les manifestants lors du sit-in.
“Au cours des derniers mois, l’administration de l’agence nous a assuré qu’elle nous offrirait des contrats fixes d’ici janvier, mais nous recevons des lettres plaçant nos emplois à temps partiel avec la moitié du salaire, avant de mettre fin à nos services d’ici décembre”, dit-elle à Al Jazeera.
Qishawi fait une pause, essayant de retenir ses larmes. “Je suis veuve – mon mari est mort il y a huit ans, et je suis responsable de mes six enfants”, ajoute-t-elle. “Deux d’entre eux étudient en Grèce et je dois leur envoyer régulièrement de l’argent.”
“Nous vivons dans un appartement loué et j’ai beaucoup d’autres dépenses que je peux à peine couvrir avec un plein salaire, alors comment puis-je faire face maintenant aux nouvelles suppressions d’emplois ?”
Sa collègue Huwaida al-Ghoul, âgé de 43 ans, pousse un gros soupir.
“Je ne peux pas exprimer la douleur et la tristesse dans mon cœur”, nous dit-elle. “J’ai travaillé pendant 16 ans et j’ai donné le meilleur de moi-même à mon travail.
Ghoul, qui a cinq enfants, est la principale source de revenus de sa famille car son mari, qui travaillait comme ouvrier en Israël, est au chômage depuis le début de la deuxième Intifada en 2000.
Un de ses enfants a de l’asthme et une maladie pulmonaire, ce qui a entraîné des frais médicaux. Elle rembourse également un prêt bancaire.
“Avec la dernière décision, je vais finir en prison pour ne pas être en mesure de rembourser le reste du prêt”, dit-elle en sanglotant.
Elle a ensuite sorti un rapport médical de son sac. “En entendant les nouvelles mercredi, j’ai eu un évanouissement et j’ai été transférée à l’hôpital”.
“J’ai passé toute la journée à pleurer à la maison avec mes enfants qui essayaient de me réconforter. Comment pourrais-je dire à mon enfant de six ans que je ne pourrais plus gagner ma vie pour lui ?”
Faire de la cause palestinienne une question humanitaire et non politique
Mohsen Abu Ramadan, un analyste économique de Gaza, a déclaré que l’UNRWA a lancé une nouvelle politique qui ne fait que consolider la situation qui s’aggrave dans la bande de Gaza, notamment le siège de 11 ans, l’extrême pauvreté et le chômage élevé.
“L’UNRWA et de nombreuses organisations internationales, en particulier celles financées par les Etats-Unis à Gaza, vont dans une direction qui est de remplacer la cause palestinienne – la fin de l’occupation et du siège israéliens et le retour des réfugiés – par un programme humanitaire “, nous dit Abu Mohsen.
“C’est une tentative d’imposer la théorie de la ‘paix économique’ à la place des solutions nationales palestiniennes”, poursuit-il.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait appelé à une telle politique dans les années 1990, rappelle Abu Mohsen, et il est aujourd’hui soutenu par l’administration Trump et son conseiller spécial, son gendre Jared Kushner, avec son plan pour le Moyen-Orient.
Abu Mohsen explique que la bande de Gaza est “la cible de la paix économique” car elle représente l’essence de la cause palestinienne, et donc un terrain fertile pour mettre en œuvre le plan de Kushner à travers le lancement de prétendus projets humanitaires.
“Ce qui est préoccupant, c’est pourquoi l’administration de l’UNRWA a choisi de mettre en œuvre ces décisions désespérées, qui se plient aux objectifs de ‘l’accord du siècle‘, au lieu d’y résister”, dit-il encore.
“L’UNRWA est censé faire un plus grand effort pour contrer les effets des coupes budgétaires en organisant plus de conférences de donateurs, et en ne choisissant pas de sacrifier son personnel et ses services.”
Raffat Abu Hashim a promis que les manifestations se poursuivraient jusqu’à ce que l’UNRWA se revienne sur ses décisions et “réexamine ces mesures injustes contre le personnel de l’agence à Gaza”.
Il n’a pas informé sa famille qu’il serait sans emploi en décembre et il a même nié que son nom figure parmi les 1000 employés qui ont reçu la lettre de licenciement.
“Est-il raisonnable qu’une agence d’aide humanitaire nous traite de cette façon ?” demande-t-il.
Auteur : Maram Humaid
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.
29 juillet 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine