A Gaza, les Israéliens tuent aussi les musiciens

Photo : via Palestine Studies

Par Majd Stum

Lorsque la musique enveloppait les rues de Gaza, ce n’était pas seulement un loisir ni un luxe, mais une histoire racontée par les cordes et les notes, un langage qui exprime la conscience d’un peuple qui lutte chaque jour contre l’occupation pour préserver son identité culturelle et nationale, un pont qui relie le passé au présent.

Selon le rapport annuel du ministère de la culture, 10 des 107 musiciens enregistrés à Gaza sont tombés en martyrs.

Cependant, la réalité va au-delà des chiffres enregistrés, ajoutant de nouveaux visages à la liste des disparus qui ont joué un rôle essentiel dans l’enrichissement de la scène musicale de la bande de Gaza.

Quant autres musiciens, ils ont tous été touchés et déplacés suite à l’agression sioniste qui ravage le territoire.

Cet article ne se limite pas à des chiffres ou des statistiques, mais constitue aussi une tentative de redonner vie à certains de ces musiciens disparus.

Youssef Dawas : musicien et écrivain, ses cordes et ses paroles peignaient la vie de son peuple

Yousef Dawas était connu pour sa passion pour la musique, car il était un talentueux guitariste. Il excellait aussi dans l’écriture, reflétant la vie de son peuple sous l’oppression de l’occupation.

Avec sa guitare, Youssef peignait des mélodies qui ressemblaient à la vie des habitants de Gaza, remplies d’espoir, marquées par les guerres, et pleines de détails que les chiffres ne peuvent raconter.

Il était également actif dans de nombreuses initiatives visant à montrer un autre visage de la Palestine, comme « We Are Not Numbers » [Nous ne sommes pas des chiffres], où il contribua à documenter la souffrance du peuple palestinien au-delà des chiffres et des statistiques, afin d’imprégner d’humanité les histoires vécues par les habitants de Gaza.

Il écrivit aussi un article intitulé « Qui paiera le prix des vingt années que nous avons perdues ? », dans lequel il décrivait la souffrance de sa propre famille à Gaza.

Ses écrits mettaient également en lumière d’autres aspects de la vie quotidienne sous occupation, comme son article poignant sur une famille qui a perdu son verger lors d’un bombardement israélien, illustrant comment la tragédie les unissait dans l’espoir de survivre ensemble.

Cet article, publié sur le site Palestine Chronicle résumait clairement la vision de Youssef de la vie et de la mort, empreinte d’une conscience profonde des dangers auxquels sont confrontés les Palestiniens.

Il excellait aussi dans la rédaction de nombreux récits humanitaires dans ses articles en anglais, dont le plus marquant est l’histoire d’Anan et Rima, un couple de Gaza qui a entrepris un difficile voyage dans un but médical sous le blocus israélien.

Ses écrits ont dévoilé son exceptionnelle capacité à saisir avec précision les nuances des émotions humaines en temps de guerre.

Yousef, ce jeune homme qui jouait de la musique et écrivait pour la Palestine, a été assassiné le 14 octobre 2023 lors d’un raid israélien qui a visé sa maison dans le nord de Beit Lahia, tuant plusieurs membres de sa famille.

Malgré sa disparition, sa musique et ses écrits restent un témoignage vivant de sa créativité et de son amour profond pour la Palestine.

Mahmoud Al-Jubairi : « Al-Nabtashi » chantait pour la joie, il a disparu lors du déplacement

Mahmoud al-Jubairi, connu sous le nom d’al-Nabtashi, était un symbole de joie et la voix du sourire dans la bande de Gaza.

Il parcourait les mariages et les événements sociaux avec son art populaire et ses chansons traditionnelles, répandant la gaîté dans les cœurs des habitants de Gaza qui souffraient sous le poids du siège et des guerres.

Il était connu pour son amour du patrimoine de son pays et son engagement pour faire revivre les chansons populaires palestiniennes.

Le 16 octobre 2023, après que l’armée d’occupation sioniste a forcé les habitants du nord de Gaza à fuir vers le sud, en prétendant leur offrir des corridors de sécurité sûrs et des zones à l’abri des frappes, Mahmoud s’est mis en route avec des milliers de civils sous la pluie de bombes, pour un périlleux voyage de déplacement.

Il n’a jamais atteint sa destination car il a été la cible d’une perfide frappe aérienne israélienne qui lui a ôté la vie au cours de ce voyage forcé.

Ses amis et ses proches l’ont pleuré avec une profonde douleur, se souvenant de ses rires qui emplissaient les lieux et de ses chansons qui allégeaient souvent le poids de la souffrance.

Ihlam Farah : la professeure de musique morte, vidée de son sang

Ihlam Farah, l’octogénaire enseignante de musique, faisait partie des personnalités qui ont marqué le domaine de l’éducation musicale.

Issue d’une famille originaire de Gaza, elle a consacré de nombreuses années à enseigner à des générations comment jouer des instruments tels que l’orgue, le violon, l’accordéon et d’autres instrument encores.

Ihlam a refusé de partir et a décidé de rester malgré les conditions difficiles qu’elle a traversées dans la bande de Gaza.

Elle était connue par son éternel sourire et son désir de répandre la joie à travers la musique. Elle jouait pour ses élèves des mélodies porteuses de messages d’espoir et de résistance à l’école Deir Al Latin.

Son engagement ne se limitait pas à l’école, elle jouait également lors de nombreuses occasions au sein de la communauté, y compris pendant le mois de Ramadan et lors des fêtes, ce qui lui valait l’affection de tous.

Le 13 novembre 2023, Ilham a été abattue par l’occupant israélien alors qu’elle se trouvait près de l’hôpital Al Shifa, dans le nord de Gaza.

Quelques heures avant sa mort, elle a passé son dernier appel téléphonique à sa nièce, lui disant alors qu’elle était allongée sur le sol : « Je suis abandonnée dans la rue, je ne sens plus mes jambes, je ne peux plus bouger ».

Ce sont les derniers mots qu’elle a prononcés avant de rendre son dernier souffle, sur place, alors que les tentatives de sauvetage échouaient, l’hôpital étant encerclé par les chars israéliens, ce qui empêchait quiconque d’atteindre les blessés pour les secourir.

Lubna Mahmoud Alyan : la violoniste dont on a détruit le rêve

Pour Lubna Mahmoud Alyan, la musique a toujours été plus qu’un simple instrument, c’était un moyen d’exprimer son identité et sa joie.

Sa passion pour la musique a commencé dès son jeune âge, elle a appris à jouer du violon au Conservatoire national de musique Edward Saïd, et a obtenu son diplôme à l’École de musique de Gaza, où elle a fait preuve d’un talent remarquable et d’une capacité à jouer empreinte d’une grande sensibilité.

Lubna aspirait à rejoindre un orchestre palestinien, arabe et international, afin de représenter la Palestine sur les scènes mondiales.

Elle n’avait pas encore atteint ses 14 ans, pourtant elle possédait la passion et l’ambition qui reflétaient la capacité des enfants palestiniens à défier leurs conditions et à continuer à viser le meilleur.

Le matin du mardi 21 novembre 2023, Lubna et sa famille sont tombés en martyrs lors d’une frappe aérienne israélienne qui a visé la maison de sa tante paternelle à Nuseirat.

Ce fut l’un des jours les plus sanglants de Gaza. Elle a perdu la vie dans ce raid avec sa famille martyre : sa mère Sally Musa, son père Mahmoud Alyan, et sa fratrie Zayn, Kenaan et Sari.

De nombreux autres membres de sa famille sont également tombés en martyrs lors de ce massacre.

Lubna faisait partie d’une nouvelle génération de musiciens porteurs d’un message d’espoir. Bien qu’elle soit partie trop tôt, son rêve d’un avenir meilleur pour la Palestine perdurera.

Mahmoud Murad Saqallah : entre artisanat et musique

Mahmoud Murad Saqallah est un nom que l’on évoque depuis des générations à Gaza, non seulement en tant qu’homme d’affaires prospère, mais aussi comme un symbole de multiples talents et d’humanité.

Pendant plus de cinquante ans, Mahmoud a été l’un des pionniers du commerce de pièces détachées pour automobiles, en fondant la société Saqallah Pièces Auto à Jabalia, spécialisée dans les embrayages et les freins.

Mais sa vie ne s’est pas arrêtée au commerce, il était aussi compositeur et poète. Ses paroles et ses mélodies avaient un caractère national et humanitaire, et il a écrit des chants pour les mères, des chansons patriotiques, et même une chanson dédiée au défunt président Yasser Arafat, qui l’a reçu personnellement dans son quartier général après avoir reçu le prix Nobel de la paix.

La musique n’était pas seulement un moyen d’exprimer sa patrie, mais aussi un outil pour raviver l’espoir dans l’âme de ceux qui l’entouraient.

En plus de son talent artistique, il était entraîneur de football, artisan pâtissier émérite et était connu pour son amour du travail et sa créativité dans tous les domaines.

Sur le plan personnel, il était le père aimant de quatre fils et de deux filles, et tous ceux qui l’ont connu l’ont décrit comme un homme au grand cœur, ayant le sens de l’humour et toujours prêt à aider ceux qui sont dans le besoin.

Le 23 novembre 2023, alors qu’il s’était réfugié dans une maison du quartier d’Al-Rimal Sud, des missiles de l’occupation israéliennes ont frappé la maison, volant sa vie. Il a laissé derrière lui un riche héritage de réalisations et de souvenirs.

Akram Al-Ajlah : le percussionniste réduit au silence par le siège

Akram Al-Ajlah était un percussionniste talentueux qui a su marier l’héritage musical palestinien aux sonorités modernes.

Sa disparition raconte une autre histoire de la souffrance du peuple de Gaza.

Il est décédé fin novembre 2023 après une lutte contre la maladie à l’hôpital Al-Shifa de Gaza.

Ce n’était pas seulement la maladie qui a causé sa mort, mais aussi le siège imposé par les chars israéliens à l’époque, qui a privé l’hôpital des médicaments et du matériel médical nécessaires pour sauver des vies.

Mohammad Abu Naji : le joueur de oud dont la musique a été tuée par la balle d’un sniper

Mohammad Abu Naji, le joueur de oud dont la musique exprimait la douleur et l’espoir…

Il jouait pour la mémoire et le rêve, il n’était pas seulement un musicien, mais aussi un témoin de la réalité quotidienne de la population de Gaza assiégée et bombardée.

En décembre, Mohammed a été contraint de quitter sa maison dans le nord de Gaza après que la zone soit devenue trop dangereuse en raison des bombardements incessants.

Il s’est réfugié dans une école de l’UNRWA à Beit Lahia en quête de sécurité. Mais l’école, remplie du bruit des pleurs des enfants et des lourdes respirations des personnes déplacées, sensée être un refuge sûr, ne l’était pas. Avec l’avancée des chars israéliens et l’encerclement de la zone, l’école est devenue trop petite pour accueillir tous les déplacés, et le danger omniprésent.

Même à l’intérieur de ces murs, Mohammed n’était pas en sécurité ; le 9 décembre, il a été abattu par une balle tirée par un sniper israélien.

Selon ses proches, il répétait sans cesse que la musique était son moyen pour raconter au monde ce qu’est Gaza, d’exprimer l’amour de son peuple pour la vie malgré la douleur. Mais la balle de l’occupation lui a volé cette chance sans même lui laisser le temps de faire ses adieux à ses mélodies qui l’avaient accompagné tout au long de sa vie.

Kamal Dweik : des airs de la liberté sous le siège des chars d’assaut

Né en 1960 dans la bande de Gaza, Kamal Dweik était l’un des noms les plus célèbres dans le domaine du violon à Gaza. Dès les années 1980 et 1990, Kamal est devenu une figure reconnue, non seulement pour sa virtuosité au violon, mais aussi pour sa capacité à faire transparaître son âme à travers les mélodies qu’il jouait.

Pendant des décennies, Kamal a offert une musique inspirante et vivante, jouant également un rôle important en tant qu’enseignant dans de nombreux centres de musique de la région.

Malgré les menaces constantes de l’occupation, Kamal a refusé de quitter sa maison à Beit Lahia, une région envahie et assiégée par les chars. Il tenait fermement à rester sur sa terre, malgré le danger imminent, convaincu que sa présence dans sa maison était une forme de résistance silencieuse face aux tentatives d’évacuation forcée.

Malgré les conditions tragiques qu’il vivait, il est resté fidèle à sa terre. Lorsque les obus aveugles des chars israéliens ont atteint sa maison, il a dû la quitter. Il est revenu le lendemain pour inspecter sa maison, désormais en ruines, c’est alors qu’un missile Zanana l’a ciblé, mettant fin à sa vie le 29 novembre 2024.

Sa mort n’a pas été seulement une perte personnelle pour les habitants de Gaza, mais aussi une perte culturelle.

La liste des musiciens qui sont devenus des cibles des bombardements s’allonge, car chaque note qu’ils jouent porte un message pour le monde. Ils rappellent que la Palestine n’est pas seulement une terre occupée, mais aussi une patrie vibrante de vie, au cœur de laquelle l’esprit de résistance est toujours vivant.

3 janvier 2025 – The Palestine Studies – Traduction de l’arabe : Chronique de Palestine – Fadhma N’Soumer

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