Par Rebecca Romani
Lababidi établit clairement un parallèle entre Gaza et d’autres génocides, évoquant Elie Wiesel et le souvenir du génocide perpétré par le gouvernement américain contre les Lakotas et les Sioux de Standing Rock au Dakota.
Palestine Wail ‘Complainte de Palestine’, un livre mince de moins de 100 pages, est un recueil lumineux de poèmes et d’essais qui nous conduit sur les chemins de traverse du deuil et nous offre des aperçus d’espoir en décrivant des moments de la vie quotidienne en Palestine, souvenirs et culture, tout en exhortant à la compassion et à l’ouverture d’esprit.
Poète arabo-américain ayant des racines en Palestine, Yahia Lababidi est manifestement en deuil de la Palestine et, aujourd’hui, du Liban. Sa tâche est monstrueuse : faire entendre la voix et la vision de ceux qui ont été brutalement ravagés et réduits au silence, afin qu’ils soient pris en considération.
Lababidi est un poète prolifique – de nombreux poèmes de ce recueil ont été publiés ailleurs – notamment dans Scholar, Electronic Intifada, Tell Me More et NPR.
Mais, comme l’explique Lababidi, il a puisé son réconfort dans l’art et dans l’écriture. C’est ce réconfort qu’il offre, à son tour, au lecteur par le biais d’images clairement dessinées et de mots habilement choisis.
Divisée en sections portant des titres tels que « Unbearable Casualties » (pertes insupportables) et « On A Far Shore » (sur un rivage lointain), la poésie de Palestine Wail est complétée par deux essais aux références variées qui relient la situation actuelle à Gaza à d’autres lieux et à d’autres personnes.
Les essais de Lababidi démarrent avec une vigueur et une clarté inattendues, donnant et réitérant le ton de l’ouvrage entre eux. Le livre est opportunément couronné par une magnifique peinture du célèbre artiste palestinien Sliman Mansour, représentant une mère palestinienne protégeant ses enfants dans ses bras et regardant une resplendissante colombe de la paix.
Le premier essai, « Wounds as Peepholes » (Des plaies comme des oeils de judas), qualifie courageusement ce qui se déroule à Gaza de génocide perpétré par le gouvernement israélien. Malgré le risque encouru (un autre éditeur a refusé le livre à cause de cette référence), Lababidi nomme l’acte sans sourciller, faisant écho à la fois à la Convention des Nations unies sur le génocide (dont les États-Unis et Israël sont signataires) et au Dr Gabor Maté.
Lababidi établit clairement un lien entre Gaza et d’autres génocides, en évoquant Elie Wiesel et le génocide commis par le gouvernement américain contre les Lakota et les Dakota Sioux à Standing Rock. Ce sont ces génocides, ainsi que le génocide arménien du début du XXème siècle, qui ont constitué l’épine dorsale de la solution finale et qui trouvent aujourd’hui leur écho dans les événements de Gaza.
Lababidi invoque d’autres écrivains, d’autres voix, comme celles du poète persan Rumi et de l’écrivain libanais Khalil Gibran, pour donner de l’ampleur à son chagrin. Mais cet essai introductif est également destiné à encourager le lecteur à s’ouvrir à l’idée que les personnes blessées (celles contre lesquelles on a agi) retournent souvent cette violence contre les autres, et à réfléchir au fait que nos sociétés modernes sont blessées à la fois par ce qu’on nous a fait et par ce que nous avons fait en retour.
Néanmoins, Lababidi ne laisse pas le lecteur à la dérive au milieu de la douleur et du conflit. Dans les poèmes qui suivent, il prête généreusement les mots qui permettent de pleurer ce qui était autrefois inimaginable – le quotidien médiatisé devenu monstrueux. Il nous montre ainsi comment témoigner, sans nous laisser envahir par ce que nous n’aurions pas cru possible.
Si ses vers sont souvent délicats et descriptifs, ses poèmes ne sont pas pour autant des fleurs rétrécies. Ils sont les héritiers des soufis et de leurs métaphores brillantes, et s’appuient sur le style sophistiqué de la poésie arabe classique. Mais l’émotion, l’indignation et la chaleur sont toutes les siennes.
Les fleurs, les arbres, les oiseaux, la musique et le soleil permettent de dissiper le brouillard de désespoir qui plane sur le recueil. Ce n’est pas un hasard si Lababidi invoque la nature, presque comme une composante majeure de l’espoir et de la guérison. Le jardin, fruit d’une collaboration avec la nature, est plus fort que l’urbicide, c’est-à-dire le meurtre des centres urbains. Les oliviers séculaires et les fleurs qui s’épanouissent à chaque saison rappellent la beauté et la magie des jardins islamiques, qui sont eux-mêmes des invocations au Paradis.
Même les oiseaux qui volent à travers les poèmes portent un sens sur leurs ailes. Messagers de l’espoir, ils évoquent la chanson émouvante de Marcel Khalife, « Asfour », qui parle de la peur et du désir de liberté d’un petit oiseau représentant les enfants palestiniens effrayés.
En même temps, Lababidi est la bonté même. Il ne harangue pas le lecteur, mais, comme Rumi, l’invite à témoigner.
Comme l’a écrit le célèbre poète palestinien Mahmoud Darwish, « Tout beau poème est un acte de résistance ».
Dans la première section de la poésie, il est clair que Lababidi a choisi de résister – de résister au désespoir paralysant, à l’effacement, à la censure et à l’apathie. Ce qui arrive à Gaza lui est profondément personnel. Il évoque une grand-mère bien-aimée, Rabiha Dajani, qui a été forcée de fuir sa ville pendant la Nakba, ou Catastrophe de 1948, tout en étant profondément déçu par son pays actuel, les États-Unis, qui pourchassent les manifestants alors qu’ils vendent des armes horribles pour commettre des massacres.
Lababidi n’hésite pas non plus à aborder la question des éléphants dans la pièce : qui ou quoi mérite notre attention et notre pitié ? Dans « Why Care » (Pourquoi s’en soucier ?), il suggère que c’est parce que nous avons le privilège de ne pas partager un sort similaire, tandis que l’éléphant plus grand – pourquoi de l’empathie pour l’Ukraine et pas pour Gaza ? – plane sur l’ensemble de cette section.
Mais il ne laisse pas le lecteur s’en tirer à si bon compte. Dans « Say Something » (Dites quelque chose), il prie pour un témoignage conscient :
« Dites l’humanité sous les décombres…
dites Seigneur, pardonnez-nous
l’énormité de nos péchés. »
(p. 36)
Mais c’est à ceux qui protestent que Lababidi consacre une réflexion plus approfondie. « Allez aux manifestations », dit-il,
« Bénis soient les jeunes qui nous rappellent qu’il n’est pas possible de détourner le regard
pas de terre étrangère
pas d’autres ».
Université de Columbia (p. 9)
Et, en fait, c’est là l’objectif de Lababidi – voir les liens infinis entre les personnes et les peuples et voir qu’en blessant et en maltraitant l’un, nous nous blessons et nous maltraitons nous-mêmes.
Dans son ouvrage Afterward : De la poésie et de la résistance, la voix de Lababidi prend un ton de défiance et de défis. L’artiste désespéré des premiers poèmes a disparu. L’énergie qui imprègne la dernière partie de sa poésie est ici pleinement mise en évidence. L’obscénité de la collaboration de l’Occident au génocide israélien d’hommes, de femmes et d’enfants a été nommée. Et l’artiste brandit son art et ses vers comme un bouclier protecteur.
« Les artistes sont dangereux », dit Lababidi. Et il évoque les saints patrons des écrivains résistants, le Dr Refaat Alareer, visé par une frappe israélienne en décembre 2023, et Ghassan Kanafani, écrivain palestinien prolifique, assassiné par le Mossad en 1972.
Mais, dit Lababidi, c’est à travers l’art, les mots et la musique que nous devons trouver un terrain d’entente, sous peine d’être condamnés à errer, à méditer sur le péché, la vengeance et la perte de notre âme collective.
Il est difficile d’écrire sur une telle catastrophe humaine au moment où elle se produit, mais Lababidi est très clair : ne rien dire, se détourner, c’est nier une humanité commune. Mais en lisant des œuvres comme celle-ci, qui témoignent par des mots et des images, l’espoir trouve un refuge et le lecteur apprend qu’il n’y a pas d’« autres », mais seulement « nous ».
Auteur : Rebecca Romani
* Rebecca Romani est titulaire d'une maîtrise en télévision et cinéma de l'université d'État de San Diego. Elle est une rédactrice artistique indépendante qui écrit souvent sur l'art et la culture de la région MENA aux États-Unis. Elle a été publiée dans plusieurs journaux et magazines.
4 décembre 2024 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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