Par Yara Hawari
Au cours des deux dernières semaines, l’armée israélienne a envahi à plusieurs reprises la ville palestinienne de Ramallah et a mené une série d’incursions militaires qui ont presque entièrement échappé à l’attention de la communauté internationale.
Samedi, nous avons vu la situation s’aggraver lorsque l’armée d’occupation a pris position devant la municipalité de Ramallah et divers établissements des beaux quartiers. Dans une scène qui rappelle la deuxième Intifada, des affrontements se sont alors déclenchés lorsque les shabâb (les jeunes) ont répondu à l’invasion avec des jets de pierres, se mettant à l’abri derrière des dizaines de voitures de luxe alignées dans cette zone chic de la ville. Les soldats ont tiré des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en acier enrobées de caoutchouc. Ils ont également harcelé et repoussé des journalistes, des médecins et des passants. Il y a eu des arrestations, des fouilles dans des établissements et des dizaines de blessures infligées par les tirs de gaz lacrymogène.
Cette démonstration de punition collective a également laissé une population inquiète, se demandant ce que l’armée israélienne était en train de faire à Ramallah cette fois-ci.
La justification officielle fournie par l’armée israélienne a été qu’elle confisquait des caméras de sécurité privées permettant de filmer des agresseurs palestiniens présumés. Dans le même temps, d’autres ont émis l’hypothèse que le Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait tenté de gagner des points électoraux et de montrer au public israélien qu’il était “sérieux” dans sa façon de traiter les Palestiniens. Cette justification ne tient pas, car les médias israéliens ne font pas état des invasions. Et, comme à l’accoutumé, la majorité des Israéliens juifs n’ont aucune idée de ce qui se passe à Ramallah.
La justification de l’armée d’occupation ne tient pas la route, car il ne leur faudrait pas une semaine pour confisquer toutes les caméras dont ils ont besoin dans le secteur. D’autant plus qu’Israël a la Cisjordanie occupée sous surveillance intensive avec ses drones.
Ce qui est plus vraisemblable, c’est qu’Israël joue des muscles pour faire pression sur l’Autorité palestinienne afin qu’elle se soumette encore davantage politiquement, en lui rappelant que les soldats peuvent littéralement entrer où bon leur semble et faire ce qu’ils veulent. Cela fait également partie d’une politique systématique visant à maintenir les Palestiniens dans un état d’incertitude et sous occupation, ce que le régime israélien a perfectionné à Gaza.
Cependant, même involontairement, ces efforts rappellent également aux habitants palestiniens de Ramallah que chaque fois que l’armée israélienne met le pied dans des zones contrôlées par l’Autorité palestinienne, elle le fait dans le cadre du mécanisme de coordination sécuritaire [répressive]. Sur le papier, cette coordination entre Israël et l’Autorité palestinienne permet de partager des informations sur les questions de sécurité afin de contrecarrer le prétendu “terrorisme”.
En réalité, cela donne à Israël la pleine souveraineté sur la Cisjordanie.
Les Israéliens peuvent simplement informer l’Autorité palestinienne lorsqu’une de leurs forces se rend en Cisjordanie et leur dire de veiller à rester derrière des portes fermées… Cela permet également des actes plus sinistres, l’Autorité palestinienne fournissant à Israël des informations sur le sort d’individus, comme ce fut le cas du militant Basel al Araj assassiné en 2017.
La scène samedi soir d’un groupe de soldats se mettant à l’abri des jets de pierres devant la mairie de Ramallah a rappelé de façon symbolique la coordination en matière de répression et le fait que l’Autorité palestinienne n’est même pas en mesure de fournir la protection la plus élémentaire aux Palestiniens.
Mais surtout, cela démontrait par excellence l’erreur de l’Autorité ou de l’État palestinien. Le cadre d’Oslo est complice de cette erreur, et bien qu’il soit censé être un système devant conduire à la création d’un État palestinien, il a au contraire divisé la Cisjordanie en zones qui empêchent toute contiguïté palestinienne et permettent un contrôle militaire de facto de l’armée israélienne.
Aujourd’hui, ce qui existe en réalité, c’est un régime, du fleuve à la mer, qui maintient un système de contrôle oppressif basé sur la ségrégation raciale.
La complicité se trouve également entre les mains de la communauté diplomatique internationale qui, sans surprise, n’a publié aucune déclaration condamnant l’armée israélienne depuis le début de ces dernières invasions à Ramallah.
Cependant, l’invasion de Ramallah n’a rien d’exceptionnel. En effet, des dizaines de villages et de villes en Palestine occupée souffrent chaque semaine d’incursions israéliennes. La ville de Ramallah, la plaque tournante de la bourgeoisie et de la classe politique palestiniennes, s’est vue ramenée à quelque chose qui est commun pour de nombreux Palestiniens.
C’était un bon rappel, bien que brutal, que les cafés et les immeubles chics ainsi que les voitures coûteuses, font tous partie d’une bulle délirante, une bulle qui éclatera sûrement tôt ou tard.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
17 janvier 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine