Par Amira Hass
Le processus pourrait relancer le système politique palestinien, à condition qu’Israël n’emprisonne pas les candidats.
Le décret du “président” palestinien Mahmoud Abbas annonçant des élections parlementaires et présidentielles pour l’Autorité palestinienne respectivement en mai et juillet – 14 et 15 ans après les précédentes, qui étaient toutes deux supposées être pour une durée de quatre années – a été généralement bien accueilli.
Et pour cause : malgré la division et la ségrégation dictées par Israël, les forces politiques palestiniennes et les organismes tels que la Commission électorale centrale palestinienne continuent de s’adresser à la population palestinienne de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, en tant qu’entité unique ayant des intérêts communs qui doivent être exprimés – y compris par des élections.
Pendant des années, le Hamas et le Fatah ont préféré ne pas organiser d’élections générales, chacun pour ses propres raisons, tout en disant officiellement le contraire.
Les représentants des pays donateurs ont caché leur embarras face à la paralysie du processus démocratique formel de leur protégé, l’Autorité palestinienne, mais les Palestiniens ne se sont jamais faits à la réalité de l’absence d’élections. Dans un sondage réalisé en décembre, environ 75 % des personnes interrogées ont déclaré que ces élections devraient être organisées.
La position du public palestinien, des organisations de défense des droits de l’homme et des petits partis politiques l’a emporté sur la commodité d’un pouvoir permanent – et dans la division – de deux organisations. Cela aussi doit être salué.
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Mais bientôt, les congratulations laisseront place aux doutes : certaines des raisons pour lesquelles les tentatives d’organiser des élections ont échoué au cours des dix dernières années n’ont pas été éliminées, loin s’en faut, et la pandémie du coronavirus a ajouté de nouveaux obstacles.
L’inscription des nouveaux électeurs ainsi que la liste des candidats de chaque parti se feront par voie électronique, mais le vote lui-même se fera en présentiel, dans les bureaux de vote.
Si les taux d’infection, de maladies graves et de décès ne diminuent pas sensiblement avant mai, la pandémie pourrait servir de prétexte supplémentaire pour reporter les élections – surtout si le Fatah devait découvrir, à la veille du scrutin, qu’il risque de prendre un nouveau coup de massue sur la tête parce que les accusations de corruption et de népotisme sont toujours là.
Cela, en plus des mauvaises notes obtenues par le Fatah et Abbas suite à leurs échecs.
Dans ce sondage d’opinion de décembre, qui a été mené par le Centre palestinien pour la politique et la recherche en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, 66 % des personnes interrogées ont déclaré qu’Abbas devrait démissionner.
Lorsqu’on a demandé aux sondés comment ils voteraient si l’élection présidentielle avait lieu le jour du sondage, 43 % ont répondu Abbas et 50 % ont répondu qu’ils voteraient pour Ismail Haniyeh, le responsable de l’aile politique du Hamas. De tous les hauts responsables du Fatah, seul Marwan Barghouti, qui purge une peine de prison à vie dans une prison israélienne, pourrait battre Haniyeh aux élections.
Mais pour le présenter comme candidat à la présidence, le mouvement totalement ossifié du Fatah devrait faire preuve de la créativité et de la flexibilité qu’il a perdues depuis longtemps.
Si l’élection du Conseil législatif palestinien a lieu en mai, et si le Fatah n’est pas satisfait des résultats, le mouvement trouvera très probablement un prétexte pour reporter l’élection présidentielle prévue en juillet.
Les responsables du Fatah sont tellement déconnectés des électeurs qu’ils ne peuvent imaginer une défaite.
Le sondage a donné au Fatah un léger avantage sur le Hamas lors des élections législatives (38% contre 34%), mais étant donné les disputes et les divisions au sein du Fatah, il est probable qu’avant les élections, au moins une liste de plus sera formée par les loyalistes du Fatah qui ont été tenus à l’écart des positions de pouvoir, comme les partisans de Mohammed Dahlan et de Barghouti.
Il serait surprenant que le Fatah surmonte, en moins de cinq mois, tous les désaccords et rivalités internes entre ses hauts responsables – dont aucun n’est populaire auprès des Palestiniens – et parvienne à se présenter avec un seul et même ticket – le 1er mai étant la date limite pour la présentation des listes.
D’autre part, il est très probable que les électeurs palestiniens se souviendront de la leçon de 2006 : lorsqu’ils ont sanctionné le Fatah dans les urnes, préférant les candidats du Hamas dans une élection juste et transparente, Israël et le monde ont puni les électeurs en bloquant le transfert des frais de douane et des donations.
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Cette crainte constitue une reconnaissance implicite de la corruption électorale de la part des donateurs et d’Israël qui de fait disent : “votez pour les candidates pour lesquels nous voulons que vous votiez ; sinon, les caisses de l’État se videront”.
Une autre leçon de 2006 – lorsque Israël a kidnappé la plupart des représentants élus du Hamas en Cisjordanie – affectera vraisemblablement la composition des listes du mouvement. Ainsi, contrairement aux prévisions des commentateurs israéliens, le Hamas ne sera pas en mesure de prendre part à la compétition puis d’administrer les enclaves palestiniennes de Cisjordanie, dans lesquelles il est aujourd’hui une force “absente” en raison des mesures oppressives d’Israël et de l’Autorité palestinienne.
Il est plus important pour le Hamas de garantir qu’une majorité de Gazaouis continuera à voter pour lui.
Face à cette situation, le Hamas et le Fatah pourraient vouloir présenter différemment la situation actuelle de division et l’appeler un “gouvernement national d’urgence”, dans lequel chaque partenaire conserve sa “clientèle” et sa situation de [très relatif – NdT] pouvoir.
La publication même du décret présidentiel montre que les accords voulus par le Hamas et le Fatah au cours de l’année passée ont fini par être atteints – du moins leur première étape, malgré les pronostics selon lesquels la reprise de la collaboration répressive avec Israël perturberait le processus de rapprochement mené par Jibril Rajoub du Fatah et Saleh al-Arouri du Hamas.
Le décret a été publié cinq jours après que Abbas a aboli un amendement de 2007 à la loi électorale exigeant que tous les candidats reconnaissent l’OLP comme le seul représentant légitime du peuple palestinien.
Le changement de la semaine dernière a été introduit à la demande du Hamas, qui a pour sa part retiré sa demande d’organiser simultanément les élections législatives et présidentielles (une position qui est pourtant soutenue par une majorité d’électeurs palestiniens).
Comme le précise la loi de 2007, l’élection du Conseil législatif palestinien se fera à la proportionnelle, avec des listes nationales uniquement.
Un système mixte a été utilisé lors de l’élection de 2006, combinant les listes nationales des partis avec des candidats représentant chacune des 16 circonscriptions électorales, qui sont connus de leurs électeurs. Le Hamas préfère cette dernière méthode, car les candidats religieux, qui représentent chacun une zone géographique relativement petite, inspirent une plus grande confiance aux électeurs traditionnels que les candidats considérés comme laïques ou “un peu religieux”.
Les amendements de 2007 fixent également des quotas minimums de candidates, en précisant que 26 % des 132 sièges du Parlement doivent être occupés par des femmes.
La Commission électorale centrale, qui est dirigée par Hanna Nasser (ancien président de l’université de Birzeit, qui a été expulsé par Israël en 1974 en raison de son statut public), est en attente d’élections depuis une décennie, et une partie importante des accords conclus sur la loi électorale actualisée peut être attribuée au rôle de médiateur de la commission entre le Hamas et le Fatah.
L’un des principaux défis auxquels est confronté l’ensemble du système politique palestinien est la participation aux élections des Palestiniens de Jérusalem-Est.
Dans le passé, le Hamas et le Fatah ont exploité l’excuse selon laquelle Israël ne s’engageait pas à tolérer la tenue d’élections à Jérusalem-Est, pour repousser à plusieurs reprises la date de la consultation. Mais selon le sondage de décembre, 56% des personnes interrogées sont favorables à la tenue d’élections générales même si elles n’ont pas lieu à Jérusalem (39% sont contre).
Plus le Fatah voudra organiser ces élections, plus il trouvera de moyens de contourner l’interdiction israélienne. Mais l’inverse est également vrai : plus le Fatah aura peur des résultats, plus il insistera sur l’importance symbolique de la tenue des élections à Jérusalem.
Avec tous les défauts inhérents à la tenue d’élections sous l’occupation israélienne, le processus même de leur tenue est susceptible d’intéresser et d’attirer de jeunes Palestiniens, en tant qu’électeurs et candidats, donnant au moins un nouveau souffle au système politique palestinien proche de la sclérose.
À une condition cependant : qu’Israël n’emprisonne pas les candidats qui interviennent sur les tactiques de la résistance populaire à l’occupation, et qu’il ne permette pas aux seuls membres du Fatah qui lui sont soumis de se présenter aux élections.
* Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste à vivre à Gaza, et a notamment écrit “Boire la mer à Gaza” (Editions La Fabrique)
16 janvier 2021 – Haaretz – Traduction : Chronique de Palestine