Par Ramzy Baroud
Durant longtemps, Abbas s’est efforcé de correspondre au mieux, lui et son Autorité, au terme de “modérés” aux yeux d’Israël et de l’Occident. Malgré le rejet, tout en apparence, par le dirigeant palestinien de “l’Accord du siècle” venu des États-Unis – qui rend pratiquement nulles et non avenues les aspirations nationales palestiniennes – Abbas tient à jouer au “modéré” aussi longtemps que possible.
Assurément, Abbas a prononcé de nombreux discours au Nations Unies dans le passé et, à chaque fois, il n’a guère impressionné les Palestiniens. Mais cette fois-ci, les choses devaient être différentes. Non seulement Washington a désavoué Abbas et l’Autorité palestinienne, mais il a également jeté aux orties son propre discours politique sur la paix et la solution à deux États. De plus, l’administration Trump a officiellement donné sa bénédiction à Israël pour annexer près d’un tiers de la Cisjordanie, retirant Jérusalem de toute discussion et reniant définitivement le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Plutôt que de rencontrer immédiatement les dirigeants des différents partis politiques palestiniens et de prendre des mesures concrètes pour réactiver les institutions politiques en sommeil mais centrales telles que le Conseil national palestinien (PNC) et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Abbas a préféré se donner l’accolade à New York avec l’ancien Premier ministre [et criminel de guerre notoire] Ehud Olmert et continuer à régurgiter son attachement à une époque révolue.
Dans son discours à l’ONU, Abbas n’a rien dit de nouveau… ce qui, dans ce cas, est pire que de ne rien dire du tout.
“Voici ce que donne le projet qui nous a été présenté”, a déclaré Abbas tout en tenant une carte de ce à quoi ressemblerait un État palestinien tel que considéré par “l’Accord du Siècle” de Donald Trump. “Et c’est l’État qu’ils nous donnent”, a ajouté Abbas, faisant référence à ce futur État comme à un “gruyère [fromage suisse]”, c’est-à-dire un État fragmenté par les colonies juives, les routes de contournement et les zones militaires israéliennes.
Même le terme de “gruyère” – présenté dans certains médias comme nouvelle expression dans un discours cent fois répété – est une vieille image exploitée à plusieurs reprises par les dirigeants palestiniens eux-mêmes dès le début du soi-disant processus de paix, il y a un quart de siècle.
Abbas a fait de son mieux pour paraître exceptionnellement résolu en insistant sur certains termes, comme lorsqu’il a assimilé l’occupation israélienne au système d’apartheid. Sa prestation a cependant paru peu convaincante, tournant parfois à vide.
Abbas a fait part de sa grande “surprise” lorsque Washington a déclaré Jérusalem comme capitale indivise d’Israël, relocalisant ensuite son ambassade dans la ville occupée, comme si le projet n’était pas depuis longtemps annoncé et qu’en fait, le déménagement de l’ambassade était l’une des principales promesses de Trump à Israël avant même son investiture en janvier 2017.
“Puis ils ont coupé l’aide financière qui nous était accordée”, a déclaré Abbas d’une voix pleurnicheuse en évoquant la décision américaine de suspendre son aide à l’Autorité palestinienne en août 2018. “Nous sommes privés de 840 millions de dollars”, a-t-il dit. “Je ne sais qui donne à Trump d’aussi horribles conseils. Trump n’est pas comme ça. Le Trump que je connais n’est pas comme ça”, s’est exclamé Abbas dans une étrange interpellation, comme s’il souhaitait envoyer un message à l’administration Trump selon quoi l’Autorité palestinienne a toujours foi dans le jugement du président américain.
“Je voudrais rappeler à tout le monde que nous avons participé à la conférence de paix de Madrid, aux négociations de Washington et à l’accord d’Oslo et au sommet d’Annapolis sur la base du droit international”, a expliqué Abbas, indiquant ainsi qu’il restait attaché au même programme qui n’a strictement amené aucun bénéfice politique au peuple palestinien.
Abbas a ensuite décrit une réalité sortie de son esprit, où son Autorité est supposée mettre sur pied les “institutions nationales d’un État respectueux des lois, moderne et démocratique, construit sur la base des valeurs internationales, et qui repose sur la transparence, la responsabilité et la lutte contre la corruption.”
“Oui”, a insisté Abbas, en regardant son public avec un sérieux de comédie. “Nous sommes l’un des premiers pays (au monde) à lutter contre la corruption.” Le chef de l’Autorité palestinienne a ensuite invité le Conseil de sécurité à envoyer une commission pour enquêter sur les accusations de corruption au sein de l’Autorité palestinienne, une invitation déroutante et inutile, considérant que ce sont les dirigeants palestiniens qui devraient exiger de la communauté internationale qu’elle contribue à respecter les règles internationales et mette fin à l’occupation israélienne.
Et le tout à l’avenant… Abbas oscillant entre la lecture de remarques pré-rédigées sans nouvelles idées ni stratégie définie, et des discours vides de sens qui reflètent la faillite politique de l’Autorité de Ramallah et le propre manque d’imagination d’Abbas.
Le chef de l’Autorité palestinienne, bien sûr, n’a pas manqué d’afficher sa condamnation habituelle du “terrorisme” palestinien en promettant que les Palestiniens ne “recourront pas à la violence et au terrorisme, indépendamment de l’acte d’agression contre nous”. Il a assuré à son auditoire que son Autorité croit en “la paix et la lutte contre la violence”. Sans donner plus de détails, Abbas a déclaré son intention de continuer sur la voie d’une “résistance populaire et pacifique”, qui, en fait, n’existe que dans son esprit.
En résumé, le discours d’Abbas devant le Conseil de Sécurité était particulièrement inapproprié. En effet, ce fut un échec à tous les points de vue. Le moins que le dirigeant palestinien aurait pu faire était de tenir un discours politique palestinien puissant et collectif. Au lieu de cela, sa déclaration n’était qu’une lamentable évocation de son propre héritage, lequel est criblé de déceptions et d’inepties.
Comme on devait s’y attendre, Abbas est retourné à Ramallah pour saluer une fois de plus ses partisans spécialistes en applaudissements, toujours prêts à brandir des portraits du chef vieillissant, comme si son discours à l’ONU avait réussi à changer fondamentalement la dynamique politique internationale en faveur des Palestiniens.
Il nous faut dire et répéter que le véritable danger dans “l’Accord du Siècle” n’est pas seulement le contenu de ce sinistre plan, mais le fait que les dirigeants palestiniens trouveront très certainement un moyen de coexister avec lui, aux dépens du peuple palestinien opprimé, tant que l’argent des donateurs continuera de couler et tant qu’Abbas continuera de se faire appeler “président“.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons”» (Clarity Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
21 février 2020 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah