Par Ramzy Baroud
Qualifier la récente visite du président américain Joe Biden en Israël et en Palestine d’ « échec » par rapport à un « processus de paix » sommeil est tout simplement inadapté. Pour que cette estimation soit exacte, Washington aurait dû indiquer ne serait-ce qu’un souhait de pousser à des négociations entre le gouvernement israélien et les dirigeants palestiniens.
Mis à part les platitudes politiques et diplomatiques, l’administration américaine actuelle a fait exactement le contraire, comme l’indiquent les paroles et les actions de Biden.
Tout en prétendant que l’engagement américain en faveur d’une solution à deux États « n’a pas changé », Biden a rejeté tout intérêt de son administration à vouloir atteindre un tel objectif en déclarant que « le terrain n’est pas mûr » pour des négociations.
Considérant que l’Autorité palestinienne [AP] de Mahmoud Abbas a annoncé à plusieurs reprises qu’elle était prête à reprendre des négociations, on ne peut que supposer que le processus est bloqué par l’intransigeance d’Israël. En effet, aucun des principaux dirigeants ni des principaux partis israéliens ne défend les négociations, ou le soi-disant « processus de paix », comme un objectif stratégique.
Mais Israël n’est pas la seule partie à blâmer. Les Américains, eux aussi, ont clairement indiqué qu’ils étaient complètement sortis de cette imposture politique, qu’ils avaient inventée et entretenue depuis des décennies.
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En fait, le dernier clou dans le cercueil de la « solution de négociation » a été enfoncé par l’administration de Donald Trump, qui s’est simplement plié à toutes les exigences israéliennes, méprisant ainsi toutes les revendications palestiniennes légitimes.
L’administration Biden a été habituellement critiquée par les Palestiniens, les Arabes et les voix progressistes au sein du Parti démocrate pour ne pas avoir annulé les décisions préjudiciables de Trump en faveur d’Israël : par exemple, le déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, la fermeture du consulat américain à Jérusalem Est, acceptant les affirmations israéliennes totalement abusives concernant sa juridiction sur les colonies juives illégales construites sur des terres palestiniennes volées et occupées, etc…
Même si l’on suppose que l’administration Biden soit capable d’annuler tout ou partie des actions illégales de Trump, à quoi cela servirait-il réellement ? Washington était, et reste, le plus grand bienfaiteur d’Israël, finançant son occupation militaire de la Palestine avec un don annuel de 4 milliards de dollars, en plus de nombreux autres programmes, y compris un budget massif et croissant alloué au seul Iron Dome israélien.
Aussi horribles qu’aient été les années de Trump en termes de démolition d’une solution juste à l’occupation israélienne de la Palestine, les politiques de Biden ne sont que la perpétuation d’un héritage américain pro-israélien qui a été renforcé par les administrations américaines précédentes pendant plusieurs décennies.
Quant à Israël, le « processus de paix » a atteint son objectif, ce qui explique la tristement célèbre déclaration du PDG du conseil des colonies juives de Cisjordanie occupée, connu sous le nom de Yesha, en 2018 : « Je ne veux pas me vanter que ‘nous avons gagné’, mais d’autres diraient qu’il ‘semble que nous gagnions’. »
Cependant, la prétendue « victoire » d’Israël après trois décennies d’un « processus de paix » qui n’est qu’une escroquerie ne peut être attribuée à Trump seul. Biden et d’autres hauts responsables américains ont également été partie prenante.
S’il est largement admis que les responsables politiques américains soutiennent Israël par pur intérêt – par exemple la nécessité de recueillir les bonnes grâces de l’influent lobby pro-israélien à Washington D.C. – le soutien de Biden à Israël découle d’un fondement idéologique.
Le président américain n’a pas craint de reprendre, à son arrivée à l’aéroport israélien Ben Gourion le 13 juillet, sa célèbre déclaration : « Il n’est pas nécessaire d’être juif pour être sioniste ».
Par conséquent, il peut sembler déroutant d’entendre des responsables palestiniens appeler les États-Unis – et Biden en particulier – à faire pression sur Tel-Aviv pour qu’il mette fin à son occupation de 55 ans de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza.
Mohannad Al-Aklouk, le représentant palestinien à la Ligue arabe, par exemple, a répété le même cliché sans consistance en disant attendre des États-Unis qu’ils « exercent une pression pratique sur Israël », « préparent le terrain pour un processus politique équitable fondé sur le droit international, » et « remplisse son rôle de sponsor équitable du processus de paix ».
Étrangement, M. Al-Aklouk semble vraiment croire que Washington, avec son bilan lamentable de parti pris pro-israélien, peut se transformer en sauveur des Palestiniens.
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Un autre responsable palestinien a déclaré à The New Arab que le « président » (élu en 2004… NdT] de l’Autorité palestinienne Abbas était « déçu des résultats de la visite de Biden », car, apparemment, le dirigeant palestinien « s’attendait à ce que le président américain fasse des progrès dans le processus de paix ».
La même source a poursuivi en disant que l’Autorité palestinienne d’Abbas organise à présent des rencontres avec des représentants de « pays puissants » pour remplacer les États-Unis en tant que parrains des négociations autrefois sponsorisées par les États-Unis.
La position politique d’Abbas n’a pas de sens… Le « processus de paix » n’est qu’une invention américaine. C’était un style de diplomatie unique et intéressé qui a été formulé pour s’assurer que les priorités d’Israël restent au centre de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.
Dans le cas palestinien, le « processus de paix » n’a servi qu’à enraciner la colonisation israélienne de la Palestine, tout en dégradant ou en écartant complètement les revendications palestiniennes légitimes.
Ce « processus » a également été construit dans le but de marginaliser le droit international comme cadre de référence politique et juridique de l’occupation israélienne de la Palestine.
Au lieu de remettre en question l’ensemble du système du « processus de paix » et de demander pardon pour les erreurs stratégiques consistant à poursuivre les mirages américains aux dépens des droits des Palestiniens, l’Autorité palestinienne s’accroche toujours désespérément au même vieux fantasme, même lorsque les États-Unis, avec Israël, se sont depuis longtemps retirés de cette comédie.
Même si, prétendument, la Chine, la Russie ou l’Inde accepteraient d’être les nouveaux sponsors d’un « processus de paix », il n’y a aucune raison pour que Tel-Aviv s’engage dans de futures négociations, alors que l’État sioniste est en mesure d’atteindre ses objectifs coloniaux avec le plein soutien américain.
De plus, aucun de ces pays n’a, pour l’instant, beaucoup d’influence sur Israël, et n’est donc pas en mesure de soutenir une quelconque pression significative sur Tel-Aviv pour qu’il respecte le droit international.
Pourtant, l’AP est toujours en place, simplement parce que le « processus de paix » s’est avéré très bénéfique en termes de fonds, de pouvoir et de prestige dont jouit une petite mais puissante clique de Palestiniens qui a été largement installée et entretenue après les accords d’Oslo en 1993.
Il est temps que les Palestiniens cessent d’investir leur capital politique dans l’administration Biden ou toute autre administration. Ce dont ils ont besoin, ce n’est pas d’un nouveau parrain « puissant » d’un « processus de paix », mais d’une lutte populaire pour la liberté et la libération commençant chez eux, une lutte qui galvanise les énergies du peuple palestinien lui-même.
Hélas, ce nouveau paradigme ne peut être atteint lorsque les priorités des dirigeants palestiniens restent fixées sur les aumônes et la validation politique de Washington et de ses alliés occidentaux.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
25 juillet 2022 – ArabNews – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah