A défaut d’un État pour les Palestiniens, Abbas installe un État policier

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Flics d'Abbas réprimant une manifestation à Ramallah - Mars 2017 - Photo : [Zann Huizhen Huang/Al Jazeera

Par Jaclynn Ashly

“L’Autorité palestinienne peut maintenant arrêter qui elle veut”: les journalistes palestiniens déclarent une grève de la faim.

Alors que les critiques locales et internationales continuent de s’élever contre les mesures prises par l’Autorité palestinienne (AP) basée à Ramallah pour resserrer l’étau sur la liberté d’expression en Cisjordanie occupée, sept journalistes palestiniens emprisonnés par l’AP ont commencé une grève de la faim après avoir été arrêtés en vertu de la loi controversée sur la cybercriminalité approuvée par le président palestinien Mahmoud Abbas le mois dernier.

Les journalistes palestiniens Mamduh Hamamra, correspondant d’Al-Quds News, Tariq Abu Zeid, correspondant d’Al-Aqsa TV et le journaliste indépendant Qutaiba Qassem se sont déclarés en grève de la faim aussitôt après que leurs détentions ont été prolongées de 15 jours jeudi dernier, selon un communiqué publié par Omar Nazzal, membre du syndicat des journalistes palestiniens et ancien prisonnier d’Israël.

Issam Abdin, avocat et chef du service plaidoyer à l’ONG palestinienne al-Haq, a confirmé à Ma’an que quatre autres journalistes palestiniens : Ahmad Halayqa, correspondant de Al-Quds News, Amer Abu Arafa, correspondant de Shehab News Agency et les reporters Islam Salim et Thaer al-Fakhouri, ont déclaré être en grève de la faim jeudi pour protester contre leur détention.

Ces journalistes avaient tous été arrêtés plusieurs jours auparavant pour de prétendues violations des clauses de la nouvelle loi, selon Abdin.

Les sept journalistes auraient travaillé pour des médias qui sont parmi les 30 sites bloqués par l’AP en juin – dont tous auraient été affiliés au mouvement Hamas, le parti au pouvoir dans la Bande de Gaza assiégée qui s’est trouvé entraîné dans dix ans d’amère rivalité avec l’AP sous contrôle du Fatah, ou avec le vieux rival politique d’Abbas, Muhammad Dahlan.

Alors que la décision de bloquer les sites web en Cisjordanie a été condamnée à l’époque comme une violation sans précédent des libertés de le presse sur le territoire palestinien, Abbas a passé la répression contre les médias à la vitesse supérieure le mois dernier en adoptant la loi sur la cybercriminalité par décret présidentiel.

« Une loi draconienne »

Dans un communiqué publié jeudi, Nazzal a déclaré qu’au moins six des journalistes emprisonnés – omettant al-Fakhouri – étaient incarcérés sur des allégations de violation de l’article 20 sur la loi sur la cybercriminalité.

L’article stipule qu’un individu est passible d’au moins un an de prison ou être condamné à une amende d’au moins 1.410$ pour « création ou administration d’un site web ou une plate-forme technologique d’information qui peut attenter à l’intégrité de l’Etat palestinien ou à l’ordre public ou à la sécurité extérieure de l’Etat. »

Pendant ce temps, « toute personne qui diffuse les types d’informations mentionnées ci-dessus par quelque moyen que ce soit, y compris en les radiodiffusant ou en les publiant » est passible d’un an de prison ou d’une amende allant de 282$ à 1.410$, selon la nouvelle loi.

Abdin a dit à Ma’an que ces « clauses lâches », par lesquelles des individus peuvent être emprisonnés simplement pour avoir publié certains articles sur leurs comptes de réseaux sociaux, vont permettre l’arrestation des journalistes palestiniens et « la destruction de la liberté du travail journalistique en Palestine. »

Nadim Nashig, co-fondateur et directeur du groupe de défense numérique palestiniens et arabes 7amleh, a qualifié la loi de « terrible » et « draconienne ».

« C’est la pire loi de l’histoire de l’AP, » a dit Nashif à Ma’an. « Elle permet à l’AP d’arrêter n’importe qui selon des définitions floues. »

Nashif a noté que non seulement la loi criminalise la création, la publication et la propagation de certaines informations jugées dangereuses par l’AP, mais elle stipule également que des individus ayant contourné des blocages de l’AP sur des sites web via des serveurs proxy ou des réseaux privés virtuels (RPV) pourraient être condamnés à trois mois de prison.

Nashif a dit à Ma’an que la loi avait fait « régresser » la Cisjordanie .

Malgré l’occupation israélienne de la Cisjordanie et plus de 10 ans de scission politique avec le Hamas, « en général, on a laissé les médias et les sites web tranquilles, » a dit Nashif. « Ils ne faisaient pas partie de cette lutte politique. »

« L’AP est en train de briser les derniers espaces de liberté d’expression, » dit-il.

Des journalistes palestiniens piégés entre la division Hamas-AP

Des groupes de défense des droits n’ont pas tardé à condamner la détention des journalistes, affirmant que l’objectif de la nouvelle loi était d’extirper la contestation politique contre Abbas et l’AP – vraisemblablement sous l’égide de la coordination sécuritaire largement condamnée de l’AP avec l’Etat israélien, bien que l’AP ait affirmé à plusieurs reprises avoir mis fin à cette politique depuis juillet.

Selon le groupe de défense des droits des prisonniers Addameer, un responsable de la sécurité de l’AP avait initialement dit qu’au moins cinq des journalistes emprisonnés avaient été arrêtés pour « fuite d’informations et communication avec des parties hostiles. »

Cependant, a ajouté Addameer, le Syndicat des journalistes palestiniens a contacté les forces de sécurité palestiniennes mercredi matin et on leur a dit que les journalistes ont été arrêtés « pour faire pression sur le Hamas pour qu’il libère un autre journaliste détenu dans la bande de Gaza, » se référant à Fouad Jaradeh, correspondant pour la chaîne de TV officielle de l’AP, Palestine TV, qui est en prison à Gaza depuis plus de deux mois.

Le Hamas et l’AP ont été critiqués pour avoir mené des actions de représailles contre des individus affiliés au groupe adverse, notamment sous la forme d’arrestation et d’emprisonnement politiques.

Abdin a déclaré à Ma’an que les journalistes palestiniens ont été « plongés dans la division Hamas-Fatah », car les deux groupes ont ciblé les journalistes pour étouffer l’opposition qui pouvait nuire à leur emprise politique dans la Bande de Gaza et la Cisjordanie respectivement.

Dans un communiqué publié mercredi 9, le Centre palestinien pour le développement et la liberté d’expression MADA déclare que l’arrestation des journalistes font « partie d’une nette intensification des violations contre la liberté de la presse » en Cisjordanie et à Gaza.

Cependant la nouvelle loi et les démarches d’Abbas pour étouffer la dissidence contre l’AP ne « sont pas seulement problématiques pour les journalistes, » a dit Nashif à Ma’an. « Tout militant ou individu que l’AP considère comme un adversaire peut maintenant être arrêté sans aucune raison claire. »

L’AP a également été accusée de mener des rafles visant les Palestiniens affiliés au Hamas en Cisjordanie , tandis qu’elle a intensifié des mesures, ces derniers mois, pour faire pression sur le Hamas pour qu’il abandonne le contrôle de la bande de Gaza.

Une étude du groupe de réflexion palestinien al-Shabaka a documenté les conséquences des campagnes de sécurité de l’Autorité palestinienne « dont l’objectif était d’établir l’ordre public » mais que les habitants ont perçu comme une criminalisation de la résistance contre Israël.

« C’est illégal en vertu du droit palestinien »

Abdin a souligné que le blocage de site et la nouvelle loi sur la cybercriminalité violaient l’article 27 de la loi fondamentale palestinienne qui protège les libertés de la presse des citoyens palestiniens, y compris leur droit d’établir, d’imprimer, de publier et de distribuer toutes les formes de médias. La loi garantit également la protection des citoyens qui travaillent dans le domaine du journalisme.

L’article interdit également la censure des médias, déclarant que « aucun avertissement, suspension, confiscation ou restriction ne soit imposé aux médias, » sauf si une loi violant ces conditions a rendu une décision légale.

Abbas n’a cependant pas reçu l’autorisation du pouvoir judiciaire pour approuver ces restrictions considérables contre la presse, selon Abdin.

Depuis que le Hamas a remporté les élections législatives en 2006, le Conseil législatif palestinien ne s’est pas réuni à Ramallah, ce qui signifie que la grande majorité des lois adoptées par l’Autorité palestinienne au cours des dix dernières années ont été adoptées par Abbas, qui a prolongé indéfiniment sa présidence par décret présidentiel en 2009.

Al-Haq a souligné que la nouvelle législation contrevient au droit international, dont l’article 19 du Pacte international relatifs aux droits civiques et politiques (ICCPR).

Des groupes de droits, des militants et des journalistes ont exigé que l’Autorité palestinienne modifie la loi pour se conformer à la législation palestinienne préexistante, annule le blocage des sites d’information et mette fin à sa pratique consistant à arrêter régulièrement des militants, des écrivains, des journalistes et autres Palestiniens pour leurs opinions politiques.

13 août 2017 – Ma’an News – Traduction : ISM France – MR