Il a été parmi les premiers martyrs – un nombre qui est maintenant de 49. Un des neuf Palestiniens visés et tués par des tireurs israéliens ce premier jour, Abed El-Fattah a atteint une sorte de célébrité posthume lorsque dans ce qui est devenu une photographie iconique il a été saisi par le photographe de Gaza, Mahmoud Abu Salama, puis est ensuite apparu sur la première page du Washington Post.
Voici l’histoire à l’origine de cette photo.
Abed El-Fattah était à la fois le plus grand et le plus jeune des quatre fils de la famille. (Il avait aussi cinq sœurs!) Il était connu comme aimant plaisanter mais il était aussi un élève à l’esprit très vif à l’école, avec une aptitude spéciale pour les mathématiques. Mais le garçon a quitté l’école alors qu’il n’avait que 16 ans pour aider sa famille. Il a suivi une formation de plombier et a passé des heures en plus à travailler chez un boulanger, aidant ainsi à payer les frais de scolarité de l’une de ses sœurs. Abed El-Fattah s’achetait lui-même ses vêtements avec ce qu’il gagnait.
Pourquoi a-t-il décidé de risquer sa vie, aussi dificile soit-elle, non seulement pour participer aux protestations mais aussi pour se rapprocher des lignes de front? Les membres de sa famille m’ont dit qu’Abed El-Fattah voulait voir le village de Simsim (سمسم) d’où venait sa famille, situé à 15 kilomètres au nord-est de Gaza. Le 12 mai 1948, les milices sionistes ont chassé les villageois de chez eux. L’idée d’une marche quotidienne vers la clôture de séparation pour réclamer le droit des Palestiniens à retourner dans leurs foyers ancestraux a saisi son imagination, et il écoutait les nouvelles tous les jours.
Le 30 mars, Abed El-Fattah s’est réveillé à 8 heures du matin et a travaillé au restaurant de falafels de son frère jusqu’à environ 14 heures. Puis il est allé chez lui pour déjeuner avec sa mère, mais il n’a pas mangé beaucoup. Au lieu de cela, il commença à se préparer pour la marche, en mettant des vêtements neufs qu’il avait achetés la veille. C’était comme s’il voulait être parfaitement habillé pour ce qui allait devenir le jour de sa mort. Puis il a quitté la maison dans un taxi. Ses amis d’à côté (Zyed Abu Oukar et Yousef Masoud) et son frère Muhammad, avec qui il était très proche, le suivirent peu de temps après.
Beaucoup de manifestants transportaient des pneus, qui étaient devenus le symbole des première et deuxième Intifadas. Des pneus avaient été utilisés à cette époque pour bloquer les véhicules conduits par des soldats sionistes. Mais cette fois-ci, plusieurs milliers de personnes rassemblées le long de la clôture ont commencé à brûler des pneus afin de boucher la vue des tireurs d’élite israéliens qui les visaient avec des armes à balles réelles.
Selon Muhammad, Abed El-Fattah ne les a pas rejoints. Cependant, lorsque les tireurs d’élite ont commencé à tirer sur un jeune garçon portant un pneu près de la clôture, il s’est précipité vers lui et l’a attrapé pour que l’adolescent puisse courir plus vite. Tous deux retournaient vers la foule des manifestants lorsque les tireurs d’élite israéliens ont tiré cinq balles: l’une a frappé Muhammad, qui était le plus proche. Il n’a été épargné que parce que la balle a été déviée par le téléphone portable dans la poche de sa chemise. Un autre coup a touché Abed El-Fattah dans la tête. Il a été transporté à l’hôpital, mais il n’a pu être sauvé.
“Mon âme m’a été enlevée”, dit son père.
Comment peut-on décrire une telle perte ? Je pourrais écrire sur sa famille et ses amis en deuil, qui sont hantés par sa mémoire. Ou je pourrais décrire la mosquée de la communauté et la maison de sa sœur qu’il avait aidée à construire. Ou je pourrais questionner Fadwa, une femme âgée du quartier qui ne peut pas marcher et qui est confinée dans un fauteuil roulant. Abed El-Fattah savait qu’elle n’avait pas d’enfants pour s’occuper d’elle, devenant ainsi son fils par substitution, lui apportant des repas et l’aidant dans les corvées presque tous les jours. Maintenant, elle dit douloureusement à quel point il lui manque.
“Il est toujours avec nous, car il est dans nos cœurs”, dit sa mère, les larmes aux yeux.
Et malgré leur chagrin sans limite, ses frères continuent à participer à la marche avec leur père, dans l’espoir que le changement viendra, et que peut-être, peut-être, ils pourront un jour voir Simsim.
* Haneen Abed Al-Naby étudie la littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza. L’une de ses principales passions est la lecture, et son roman préféré est “A Beautiful Lie” de Irfan Master. La musique et les langues sont aussi des passions. Elle attribue cette dernière à son père, qui a vécu en Allemagne pendant 13 ans. Ainsi, Haneen parle allemand, turc et anglais. Ses compétences en anglais ont été grandement développées lorsqu’elle a été admise au programme Acess d’Amideast en 2012, et elle a ensuite fait du bénévolat pour l’organisation.
12 mai 2018 – WeAreNotNumbers – Traduction : Chronique de Palestine