Par Alex MacDonald
Les militants palestiniens et sahraouis ont exprimé leur espoir d’une plus grande coopération et solidarité à la suite de l’accord de normalisation israélo-marocain, qui a vu les États-Unis reconnaître la souveraineté de Rabat sur le Sahara occidental contesté.
La décision prise cette semaine par le Maroc d’établir des liens diplomatiques avec Israël a été accueillie avec indignation par les Palestiniens. Cette décision fait suite à des accords de reconnaissance similaires impliquant les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Soudan.
La décision a mis en lumière la similarité de la lutte pour la souveraineté et la reconnaissance que mènent les Palestiniens et les Sahraouis contre les puissantes armées d’Israël et du Maroc.
Bien que cette similitude soit évidente depuis des décennies – Rabat a revendiqué le Sahara occidental en 1957 – elle a été largement ignorée par une grande partie de la direction palestinienne qui est restée proche du gouvernement marocain.
Mohamed Ahmed Madi est à la tête du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui, un groupe soutenant la solidarité avec le Sahara occidental et proche du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti de gauche.
Dans le passé, son organisation, qui a pour objectif de promouvoir la coopération avec les Sahraouis, a dû faire face à l’opposition du Fatah et du Hamas, qui dirigent respectivement la Cisjordanie occupée et la bande de Gaza assiégée.
Madi, qui vit actuellement à Gaza, a déclaré à Middle East Eye qu’il espérait que l’alliance ouverte du Maroc avec Israël rendrait les dirigeants palestiniens plus ouverts à la cause sahraouie.
“Notre organisation espère une évolution positive. Nous pensons que la normalisation du Maroc poussera les factions de revoir leurs positions”, a-t-il dit.
“Mais en même temps, nous préférons une position stable à des positions fluctuantes qui évoluent en fonction des circonstances”.
Le militantisme pour la solidarité avec les Palestinien et les Sahraouis a une longue histoire.
Le FPLP a toujours été un fervent partisan du Front Polisario, l’organisation qui contrôle une grande partie du Sahara occidental et qui est engagée depuis des décennies dans une lutte politique (et parfois armée) contre le Maroc pour l’indépendance sahraouie.
Le fondateur et ancien dirigeant du FPLP, George Habash, a rendu visite pour la première fois aux dirigeants du Front Polisario en Algérie dans les années 1970 et a déclaré son soutien à leur cause et au renversement de la monarchie “réactionnaire” du Maroc.
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D’autres factions palestiniennes ont cependant adopté des positions différentes. Le Hamas, en particulier, entretient depuis longtemps des liens étroits avec le Parti marocain pour la justice et le développement (PJD), qui détient le pouvoir exécutif au Maroc depuis 2011.
Cela a conduit, en 2016, à l’interdiction des activités du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui à Gaza.
A l’époque, Madi a accusé le JDP d’avoir fait pression sur le Hamas pour qu’il mette fin aux activités de son organisation, et il a dit qu’il avait appris la nouvelle par les médias marocains.
Aujourd’hui, après l’accord israélo-marocain qui piétine les droits des Palestiniens et des Sahraouis, il a dit qu’il fallait plus que jamais agir.
“Nous nous efforçons de mobiliser le plus grand nombre possible de militants pour défendre la juste cause sahraouie, et, en tant que membres du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui, nous cherchons à sensibiliser l’opinion publique et à introduire la question sahraouie dans toute la région arabe et dans le monde entier pour atteindre nos objectifs”, a-t-il déclaré.
“Notamment en brisant le black-out médiatique systématique, sur l’occupation marocaine qui dure depuis plus de 45 ans”.
Deux occupations
Tant les Sahraouis que les Palestiniens sont les victimes d’une politique post-coloniale de peuplement.
La déclaration Balfour de 1917, publiée par les Britanniques, a promis la création d’une patrie juive en Palestine, sans consulter la population autochtone.
De même, les accords de Madrid signés en 1975 ont entériné le découpage du Sahara occidental, précédemment connu sous le nom de Sahara espagnol, entre le Maroc et la Mauritanie – cette fois-ci sans le consentement des Sahraouis autochtones.
Le Front Polisario a été officiellement lancé en 1973 dans le but d’obtenir l’indépendance de la région. Il a mené une guérilla avec le Maroc et la Mauritanie (soutenue par l’Algérie) jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit conclu en 1991.
Malgré les liens étroits entre le Front Polisario et les groupes palestiniens de gauche, le soutien public apporté par le Maroc à la cause palestinienne a conduit de nombreux dirigeants officiels de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à négliger la situation au Sahara occidental.
Lors d’un discours en 1980, Habache a dénoncé l’hypocrisie de l’OLP qui avait refusé, à l’époque, de soutenir une résolution lors d’une conférence internationale soutenant “la révolution du peuple sahraoui et la reconnaissance de la République sahraouie”.
Ibtihaml Alaloul, une employée et militante d’une ONG palestinienne basée en Suède, a dit qu’il était très décevant que la direction palestinienne soit restée si longtemps du côté du Maroc sur la question du Sahara occidental.
“Si les Palestiniens ne comprennent pas la situation des Sahraouis, alors qui la comprendra ?” a-t-elle déclare au MEE.
Alaloul fait campagne depuis longtemps sur la question du Sahara occidental. Elle s’est rendue à plusieurs reprises dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie, où la vie d’au moins 40 000 habitants reflète celle des Palestiniens vivant dans des camps à travers le Moyen-Orient.
Auparavant, elle s’était fortement impliquée dans la formation des salariés des médias sahraouis. Elle dit avoir été surveillée par le Maroc lors de sa dernière visite dans le royaume au début de 2020.
Bien qu’elle n’ait pas encore fait campagne dans les territoires palestiniens occupés ou en Israël, Alaloul a rassemblé des groupes palestiniens et sahraouis en Suède pour discuter des points communs de leur lutte, et a organisé des séminaires et des projections de films sur le Sahara occidental dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban.
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Alaloul a déclaré que de nombreux Palestiniens, en particulier ceux associés à des groupes de gauche, comprennent la situation et la lutte au Sahara occidental, mais qu’il y en a encore trop qui pensent que la position de l’Autorité palestinienne, qui tient lieu de gouvernement dans les territoires occupés, à l’égard du Maroc est “appropriée et légale”.
“Il est vraiment regrettable qu’ils aient ce genre de rapport avec le Maroc”, a-t-elle déclaré, ajoutant qu’il était important que les Palestiniens réalisent “que nous ne parviendrons pas à nous libérer, si nous ne défendons pas d’autres causes”.
Aucune valeur juridique
Pas plus tard qu’en juillet, le Maroc a condamné la menace d’Israël d’annexer unilatéralement des parties de la Cisjordanie, en déclarant que cela constituerait une “violation flagrante des résolutions de la légalité et du droit international”.
Quelques mois plus tard, le Maroc lui-même a envoyé des forces dans la zone tampon de Guerguerat au Sahara occidental, une région patrouillée par une force de maintien de la paix des Nations unies, violant ainsi les termes de l’accord de cessez-le-feu de 1991.
En réponse, le Front Polisario a déclaré la fin de la trêve de 30 ans. Moins d’un mois plus tard, le Maroc a signé un accord de normalisation avec Israël, qui s’accompagnait de la promesse américaine de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Ce geste n’est “rien de plus qu’une annonce sur Twitter qui n’a aucune valeur juridique”, selon Nazha el-Khalidi, une militante sahraouie des droits des femmes qui a été arrêtée à de nombreuses reprises par l’État marocain pour avoir fait campagne pour les droits des Sahraouis.
Elle a décrit le Maroc comme un “allié traditionnel” d’Israël, faisant référence à une longue histoire de coopération secrète, et a déclaré que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu essayait de détourner l’attention des accusations de corruption dont il est l’objet, en concluant des accords avec “des régimes dictatoriaux bancals comme les régimes du Golfe et le régime marocain”.
“L’annonce de Trump va renforcer les liens de solidarité entre les Sahraouis et les Palestiniens, qui se sont sentis floués par le faux soutien marocain à la cause palestinienne”, a-t-elle déclaré au MEE.
“Cette décision a donné une grande impulsion à notre cause et alertera plus de gens sur l’occupation [du Sahara occidental]. Cela augmentera la solidarité internationale avec nos droits légitimes”.
L’évolution de la situation est regrettable selon Allaloul, mais elle aura l’avantage de dissiper les illusions que les Palestiniens avaient encore sur le Maroc.
“Avant, quand vous parliez des droits des Sahraouis, ils vous répondaient ‘mais le Maroc est avec la Palestine’,” a déclaré Allaloul.
“Mais maintenant que le Maroc soutient ouvertement un occupant, ils vont sûrement se rendre compte qu’ils avaient tort.”
Auteur : Alex MacDonald
* Alex MacDonald est reporter à Middle East Eye et a réalisé des reportages en Irak, en Turquie, au Qatar et en Bosnie, examinant les luttes sociales et idéologiques apparemment sans fin dans la région.Son compte twitter.
13 décembre 2020 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet