Par Jonathan Cook
L’échec des efforts des Nations-Unies pour protéger les terres palestiniennes de l’exploitation économique met en lumière l’hypocrisie des États occidentaux.
Avec beaucoup de retard, les Nations-Unies ont finalement publié, la semaine dernière, des données sur les entreprises qui ont profité de la colonisation illégale de la Cisjordanie par Israël.
La Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits humains, Michelle Bachelet, a annoncé que 112 grandes entreprises opéraient dans les colonies israéliennes en violant les droits humains.
Outre des grandes banques israéliennes, des services de transport, des cafés, des supermarchés et des entreprises d’énergie, de construction et de télécommunications, il y a des entreprises internationales très importantes comme Airbnb, booking.com, Motorola, Trip Advisor, JCB, Expedia et General Mills.
Human Rights Watch, un organisme de surveillance international, a réagi à la publication de la liste en soulignant que les colonies violent la quatrième Convention de Genève. Il a ajouté que cela signifiait que ces entreprises s’étaient rendues complice de “crimes de guerre”.
La présence de ces entreprises dans les colonies a contribué à brouiller la distinction entre Israël et les territoires palestiniens occupés. Cela a, à son tour, normalisé l’érosion du droit international et sapé le consensus international sur l’établissement d’un État palestinien viable aux côtés d’Israël.
La compilation de ces données a commencé il y a quatre ans. Mais tant Israël que les États-Unis ont exercé une forte pression sur les Nations-Unies pour empêcher leur publication.
La détermination soudaine de l’ONU est sans doute sa manière de protester contre la publication du plan de “paix” au Moyen-Orient de l’administration Trump, ce mois-ci. Ce plan donne le feu vert à l’annexion par Israël des colonies et des zones les plus fertiles et les plus riches en eau de Cisjordanie.
En réponse à la publication de la liste, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a menacé d’intensifier l’ingérence de son pays dans la politique américaine. Il a fait remarquer que ses agents avaient déjà “fait passer des lois dans la plupart des États américains, qui obligent à prendre des mesures énergiques contre quiconque tente de boycotter Israël”.
Il a été soutenu par tous les principaux partis juifs d’Israël. Amir Peretz, chef du parti travailliste de centre-gauche, s’est engagé à “travailler dans tous les forums pour abroger cette décision”. Et Yair Lapid, un leader de Bleu et Blanc, le principal rival de Netanyahu, a appelé Bachelet la “commissaire aux droits des terroristes”.
Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, a quant à lui accusé l’ONU de “partialité anti-israélienne acharnée” et de soutenir le mouvement international de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
En fait, l’ONU ne prend aucune mesure significative contre les 112 entreprises et n’encourage personne à le faire. La liste est conçue pour faire honte à ces entreprises – en montrant qu’elles ont entériné, par leurs activités commerciales, le vol de terres et de ressources palestiniennes par Israël.
L’ONU a même adopté une vision extrêmement réduite de ce qui peut être considéré comme une implication dans les colonies. Par exemple, elle a exclu des organisations comme la FIFA, la fédération internationale de football, dont la filiale israélienne comprend six équipes de colons.
L’une des sociétés identifiées, Airbnb, a annoncé fin 2018 qu’elle retirerait de son site web de réservation de logements toutes les propriétés des colonies – vraisemblablement pour éviter d’être publiquement montrée du doigt.
Mais peu de temps après, Airbnb a fait marche arrière et il est difficile de croire que ce soit pour des raisons strictement commerciales : la société ne possède que 200 logements sur son site. C’est sans doute plutôt parce qu’Airbnb a eu peur de Washington et a été intimidé par les groupes pro-israéliens qui l’accusaient d’antisémitisme.
En fait, le moment choisi par l’ONU ne pourrait pas être plus désolant. La liste ressemble davantage au dernier sursaut de ceux qui – par leur négligence pendant près de trois décennies – ont laissé la solution à deux États sombrer dans le néant.
Si le soi-disant plan de paix de Trump peut se permettre d’être aussi unilatéral, c’est uniquement parce que les puissances occidentales ont déjà permis à Israël d’anéantir tout espoir d’un État palestinien par des décennies d’expansion incessante des colonies. Aujourd’hui, près de 700 000 juifs israéliens vivent sur le territoire palestinien occupé.
Lundi, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne devaient se réunir pour discuter de leur réponse au plan. On n’en espère rien d’autre que quelques critiques molles.
Les actions de quelques États européens en disent beaucoup plus long que les mots.
Vendredi, l’Allemagne a emboîté le pas à la République tchèque en déposant une requête en faveur d’Israël auprès de la Cour pénale internationale de La Haye qui délibère sur l’opportunité de poursuivre les responsables israéliens pour crimes de guerre, y compris pour l’implantation de colonies.
L’Allemagne ne semble pas vouloir nier que les colonies sont des crimes de guerre, mais elle espère bloquer les poursuites en invoquant des raisons techniques discutables : à savoir que, bien que la Palestine ait signé le Statut de Rome, qui a établi la Cour de La Haye, elle n’est pas encore un État à part entière.
Jusqu’à présent, l’Autriche, la Hongrie, l’Australie et le Brésil semblent suivre le mouvement.
Mais si la Palestine n’a pas les attributs d’un État, c’est parce que les États-Unis et l’Europe, y compris l’Allemagne, ont constamment manqué à leurs promesses envers les Palestiniens.
Non seulement ils ont refusé d’intervenir pour sauver la solution à deux États, mais ils ont récompensé Israël par des accords commerciaux et des incitations diplomatiques et financières, alors même qu’Israël sapait l’intégrité institutionnelle et territoriale nécessaire à l’autonomie palestinienne.
La position de l’Allemagne, comme celle du reste de l’Europe, est hypocrite. Ils ont prétendu s’opposer à l’expansion sans fin des colonies israéliennes, et maintenant au plan de Trump, mais leurs actions ont ouvert la voie à l’annexion de la Cisjordanie que le plan entérine.
En novembre dernier, la Cour européenne de justice a finalement décidé que les produits fabriqués dans les colonies de Cisjordanie – à partir de ressources palestiniennes saisies illégalement sur des terres palestiniennes saisies illégalement – ne devraient pas être étiquetés de manière trompeuse comme étant “fabriqués en Israël”.
Et pourtant, les pays européens continuent de reporter l’application de cette décision. Et qui plus est, certains d’entre eux légifèrent contre le droit de leurs citoyens à soutenir le boycott des colonies.
De même, l’Europe et l’Amérique du Nord continuent à accorder au Fonds national juif, une entité qui finance la construction de colonies, le “statut d’organisme de bienfaisance”, en lui accordant des avantages fiscaux lorsqu’il collecte des fonds à l’intérieur de leurs juridictions.
Les médias israéliens regorgent d’histoires sur la façon dont le JNF aide activement les groupes de colons extrémistes à expulser les Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est. Mais la Grande-Bretagne et d’autres États bloquent les efforts juridiques visant à contester le statut spécial de la JNF.
Bientôt, semble-t-il, l’Europe n’aura plus à s’inquiéter que son hypocrisie soit aussi visible. Une fois que les colonies auront été annexées, comme l’entend l’administration Trump, l’UE pourra cesser ses vain soupirs et se mettre à traiter les colonies comme définitivement israéliennes – tout comme elle l’a fait en pratique avec les “quartiers” israéliens de Jérusalem-Est occupée.
La honteuse liste de l’ONU pourra alors aller rejoindre les décennies de Résolutions condamnatoires qui dorment tranquillement sous la poussière.
Auteur : Jonathan Cook
18 février 2020 – JonathanCook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet