Par Abdel Bari Atwan
L’Arabie saoudite continue de provoquer des surprises et d’attiser les flammes dans les conflits de la région, comme si les guerres en Syrie, au Yémen, en Libye et (partiellement) en Irak ne suffisaient pas. Après avoir retenu prisonnier le Premier ministre libanais Saad al-Hariri et l’avoir forcé à démissionner, elle a commencé à montrer plus ouvertement que jamais son désir d’une alliance avec Israël.
Le 16 novembre, le journal Internet saoudien Elaph a publié une interview du chef d’état-major israélien, Gadi Eizenkot, dans laquelle celui-ci affirmait la volonté du gouvernement israélien d’échanger des renseignements avec l’Arabie saoudite afin de confronter l’Iran. Ses remarques ont été soigneusement préparées et le moment de leur publication était très significatif. Il a précisé qu’une alliance militaire saoudo-israélienne est en train d’être établie. Les pays n’échangent généralement pas de renseignements militaires à moins qu’ils ne soient confrontés à un ennemi commun en période de conflit.
Affronter l’Iran est avant tout dans l’intérêt d’Israël. L’Iran est en effet le seul pays de la région capable de représenter une menace existentielle pour l’État d’occupation et il a réussi à développer une formidable capacité de missiles dont il a fourni des milliers d’exemplaires à ses proches alliés en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen.
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L’Iran ne représente pas une réelle menace pour l’Arabie Saoudite. La récente frappe de missiles près de Riyad lancée par les alliés iraniens des Houthis au Yémen, et les attaques similaires qui ont précédé, étaient des représailles pour la campagne militaire menée par l’Arabie Saoudite qui bombarde et bloque sans pitié le Yémen depuis deux ans. Cela ne justifie certainement pas que les Saoudiens concluent une alliance militaire avec Israël contre l’Iran.
Eizenkot a récemment été l’invité vedette d’une cérémonie organisée par l’administration Trump à Washington, qui comprenait les chefs militaires des États-Unis, de l’Arabie saoudite, des EAU et de l’Égypte. Le chef d’éta-major libanais, le général Joseph Aoun, était également censé y assister mais a décliné l’invitation quand il a appris qu’Eizenkot serait présent.
Les remarques du chef d’état-major israélien indiquent clairement que s’il y a une autre guerre contre le Liban, Israël et l’Arabie saoudite se joindront à d’autres États arabes “modérés”, dont les dirigeants ont conclu que leurs intérêts et ceux d’Israël ont fini par converger. Deux jours auparavant, Israël a soutenu une initiative saoudienne à l’ONU pour condamner la Syrie pour ses violations des droits de l’homme. La veille, le ministre israélien des Communications a publiquement invité le chef mufti d’Arabie saoudite, cheikh Abdelaziz Al Ash-Sheikh, à se rendre en Israël. Cela faisait suite à des fatwas du clerc dans lesquelles il déclarait qu’il était inadmissible de prendre les armes contre Israël, où il soutenait l’idée d’une coopération avec Israël contre le Hezbollah et condamnait le Hamas comme groupe “terroriste”.
En forçant Hariri à démissionner, les Saoudiens entendaient créer un vide constitutionnel et provoquer un conflit sectaire au Liban, en prélude à une intervention israélo-saoudienne visant à effacer la présence du Hezbollah et à freiner la croissance d’organisations similaires ailleurs : au Yémen (Houthi Ansarallah), en Irak (les forces de mobilisation populaire) et Gaza (le Hamas).
Ces organisations n’ont émergé et ne se sont développées qu’à cause de l’échec des armées officielles dans leurs pays : à quelques exceptions près, ces armées se sont transformées en “décor de théâtre”, ont collaboré aux guerres américaines dans la région, n’ont pas résisté au projet israélien et / ou ont servi principalement à protéger les dirigeants corrompus et leurs régimes pourris.
Les dirigeants d’Israël ne vont pas faire la guerre au nom de Riyad. Mais ils sont très heureux d’attirer l’Arabie Saoudite dans une série de conflits qui seront très destructeurs pour elle comme pour le reste de la région, l’épuisant financièrement, hypothéquant ses ressources pour les décennies à venir, compromettant sa sécurité et sa stabilité, voir conduisant à sa partition.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
19 novembre 2017 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah