Par Ramzy Baroud
Le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, est sur le point de renverser un cours historique qui dure depuis 100 ans.
Ce politicien inexpérimenté et démagogique peine à comprendre le danger qui réside dans sa décision de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. S’il s’exécute, il est susceptible de déclencher un nouveau chaos dans une région déjà extrêmement volatile.
L’initiative, qui est maintenant apparemment dans ses “premières étapes“, n’est pas simplement symbolique comme certains en ont fait naïvement état dans les médias grand public occidentaux. En réalité, la politique étrangère américaine a été quasiment toujours été centrée sur le pouvoir militaire, et rarement sur les faits historiques.
Mais Trump, connu pour son imprudence et sa nature impulsive, menace d’éradiquer le peu de bon sens qui subsistait dans la conduite de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.
Si le nouveau président persiste dans son projet, indifférent aux appels des Palestiniens et aux avertissements internationaux, il risque de regretter les conséquences de son action.
Il y a de cela un siècle, les forces britanniques sous le commandement du général Sir Edmund Allenbyn occupaient la ville palestinienne arabe de Jérusalem. Cette action violente, en décembre 1917, a été lourde de conséquences et a perturbé l’équilibre culturel et politique qui prévalait en Palestine depuis près d’un millénaire.
Elle a également marqué le début d’une guerre qui s’est révélée l’une des plus longues, plus sanglantes et plus déstabilisantes de l’histoire humaine moderne. Bien que la Palestine ait été arrachée des mains http://www.telegraph.co.uk/news/2017/01/23/everything-need-know-donald-trumps-pledge-move-us-embassy-israel/http://www.telegraph.co.uk/news/2017/01/23/everything-need-know-donald-trumps-pledge-move-us-embassy-israel/de ceux qui opéraient sous les auspices de l’Empire ottoman, ses nouveaux dirigeants britanniques comprenaient cependant l’importance inégalée de Jérusalem pour son peuple.
Cette compréhension était toujours présente, même lorsque la France et la Grande-Bretagne ont signé l’accord Sykes-Picot en mai 1916, se répartissant les territoires ottomans entre eux. Le statut de Jérusalem avait alors été fixé comme zone internationale en raison de sa signification religieuse partagée.
La même importance pour la neutralité de Jérusalem a été réitérée dans la décision de la Société des Nations en 1922 de donner à la Grande-Bretagne un mandat politique sur la Palestine, et dans la résolution des Nations Unies en novembre 1947 de diviser la Palestine en deux entités.
Alors que l’État palestinien envisagé ne s’est jamais concrétisé (à cause des nombreux obstacles placés sur sa route par les États-Unis et Israël), l’État sioniste devint une réalité en mai 1948. Quelques mois après l’accord d’armistice, Israël déclara en décembre 1949, Jérusalem comme étant sa capitale.
C’est alors que la mythologie biblique a été remodelée pour répondre aux exigences politiques.
Le premier Parlement israélien (la Knesset) a déclaré en janvier 1950 que “Jérusalem était, et avait toujours été la capitale d’Israël”. Le “était” et le “toujours été” sont des références à une interprétation tordue de l’histoire qui n’a aucune place dans le droit international moderne (dont Israël ne s’est jamais préoccupé).
Après 1500 ans de règne cananéen sur la Palestine, la terre entre le Jourdain et la mer Méditerranée est tombée sous la domination de nombreux envahisseurs, y compris les Philistins, les Israélites, les Phéniciens, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Macédoniens, les Romains, les Arabes, les Croisés, puis il fut gouverné par divers califats islamiques de 1291 jusqu’au mandat britannique en 1922.
Le contrôle des Israélites a duré à peine 77 ans et il est largement contesté que les juifs israéliens d’aujourd’hui soient même liés (d’un point de vue génétique) aux groupes qui ont habité la Palestine il y a 2000 ans.
Pourtant, cela suffisait pour le mythe national israélien moderne, qui est maintenant défendu par les extrémistes religieux les plus fascisants aux États-Unis et en Israël.
En 1967, Israël a occupé le reste de la Palestine historique, y compris Jérusalem-Est palestinienne, en annexant la ville en 1980. La communauté internationale a continuellement rejeté et condamné l’occupation israélienne, en insistant à nouveau sur Jérusalem.
Des pays du monde entier, même ceux qui sont considérés alliés d’Israël comme les États-Unis, rejettent la souveraineté israélienne sur Jérusalem et refusent les invitations israéliennes à déplacer leurs ambassades de Tel Aviv vers la ville illégalement occupée.
L’attitude des États-Unis à l’égard de Jérusalem a cependant été entachée de contradictions. Depuis 1995, la position des États-Unis a été divisée entre le Congrès historiquement pro-Israël et la Maison Blanche également pro-israélienne, mais légèrement plus pragmatique.
En octobre 1995, le Congrès des États-Unis a adopté la loi sur l’ambassade de Jérusalem. La loi a été adoptée à une écrasante majorité à la Chambre et au Sénat. Cette loi nommait Jérusalem capitale indivise d’Israël et exhortait le Département d’État à déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
L’administration américaine à l’époque a protesté contre la violation du protocole du fait qu’une telle décision est de la responsabilité de l’exécutif, et non pas d’élus soumis à l’influent lobby pro-Israël à Washington.
L’autre dilemme est que si les États-Unis s’éloignent du consensus international sur la question, ils perdraient le peu de crédibilité qu’ils conservaient en tant que “courtier de la paix”, et seraient confrontés aux terribles et prévisibles conséquences, dont l’instabilité politique et la violence.
Il est vrai que Jérusalem a une immense signification spirituelle pour les musulmans, les chrétiens et les juifs, mais la signification culturelle et religieuse ininterrompue qu’elle a eu pour les Palestiniens chrétiens et les musulmans ne la rend pas moins significative comme centre économique, politique et culturel.
La chose étrange est que les États-Unis sont sur le point de violer le consensus international (consensus occidental aligné sur les États-Unis) concernant le conflit en Palestine. S’adressant à la conférence de Paris le 15 janvier, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a averti Trump contre les “très graves conséquences” auxquelles ont peu s’attendre au cas où l’ambassade américaine serait déplacée à Jérusalem.
Les Français et les autres pays européens sont conscients qu’une telle démarche mettrait fin au prétendu “processus de paix” conduit par les États-Unis dans la quête jusqu’à présent futile d’une solution à deux États.
Cependant, cela devrait être la moindre des préoccupations de chacun, étant donné que le “processus de paix” et la sinistre plaisanterie de la “solution à deux États” ont été en grande partie d’une volonté américaine de maintenir le leadership, le pouvoir et l’influence des États-Unis sur le conflit en Palestine.
Les États-Unis et leurs alliés occidentaux avaient certainement le pouvoir et les moyens nécessaires pour parvenir à une résolution pacifique et équitable du conflit, si c’était bien là leur première priorité. Ils n’ont pas réussi à le faire au cours des 25 ans dernières années, en commençant par les pourparlers de Madrid de 1991 et en terminant par la lamentable conférence de Paris le 15 janvier.
Malgré les échecs passés des Américains, le jeu de l’administration Trump dans le déménagement de l’ambassade américaine risque de provoquer un incendie politique dans toute la Palestine et au Moyen-Orient, avec des résultats terribles et irréversibles.
Les Palestiniens et les Arabes comprennent que déplacer l’ambassade est loin d’être une initiative symbolique, mais revient à donner carte blanche pour boucler la prise de contrôle israélienne de la ville, y compris ses lieux saints, et achever le nettoyage ethnique des Palestiniens musulmans et chrétiens.
Cette escalade va forcément conduire à la violence. Les intérêts vitaux des États-Unis au Moyen-Orient pourraient subir les conséquences d’une décision aussi imprudente. Des responsables palestiniens et des personnalités religieuses ont condamné la décision américaine. Un haut fonctionnaire palestinien l’a qualifié de déclaration de guerre contre les musulmans.
Considérant l’importance de Jérusalem pour les Palestiniens musulmans palestiniens et des centaines de millions de croyants à travers le monde, Trump pourrait effectivement allumer un baril de poudre qui pourrait même faire dérailler sa présidence.
Alors que certains des médias occidentaux prédisent déjà “une nouvelle vague de violence palestinienne” si l’ambassade devait être déplacée, la nouvelle administration américaine doit réfléchir sérieusement avant de se lancer dans de telles initiatives si destructrices.
Que Trump ait l’intention de revenir sur l’héritage de son prédécesseur n’implique pas que le nouveau président américain entame son mandat en provoquant plus de violence et en poussant une région déjà volatile plus loin dans l’abîme.
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.
24 janvier 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah