De l’Amérique centrale à la Syrie: le complot contre les réfugiés

Photo : Dylan Baddour / Al Jazeera
Yulibet Valero et son fils Wilmer attendent le traitement de leur dossier sur un site médical américain temporaire à Riohacha, en Colombie - Photo : Dylan Baddour / Al Jazeera
Ramzy BaroudEn suivant sur les principaux médias américains, le débat en cours entre les libéraux américains et les experts de la droite, on a rarement l’impression que Washington est responsable de la crise en cours en Amérique centrale.

En fait, aucun autre pays n’est autant responsable que les États-Unis pour le chaos en Amérique centrale et la crise de réfugiés qui en résulte.

Alors pourquoi, malgré les différences idéologiques et politiques apparemment substantielles entre la Fox News de droite et la libérale CNN, les deux médias s’activent autant pour dissimuler le sale petit secret de leur pays ?

Ces dernières années, la violence exercée par les États et les gangs, conjuguée à l’extrême pauvreté, a forcé des centaines de milliers de personnes à fuir El Salvador, le Guatemala, le Nicaragua et le Honduras, parmi d’autres pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud.

Mais les principaux médias américains ne s’intéressent que très rarement aux causes fondamentales qui ont produit cette situation.

Fox News par exemple, reprend inlassablement le vocabulaire injurieux du président Donald Trump qui considère les réfugiés comme des criminels et des terroristes qui constituent une menace pour la sécurité nationale des États-Unis.

Lors d’une conférence de presse en octobre dernier, Trump a exhorté un journaliste à placer son appareil photo au “milieu” d’une caravane de migrants dans leur dangereux voyage à travers le Mexique, afin de localiser des personnes du “Moyen-Orient” infiltrées dans la foule. Dans la pensée de Trump, “peuple du Moyen-Orient” est synonyme de terroristes.

CNN, d’autre part, s’est efforcée de contrer le sentiment anti-immigrés croissant des autorités et des médias qui pollue les États-Unis, un discours constamment poussé et manipulé par Trump et ses partisans.

Pourtant, peu de journalistes libéraux ont le courage d’aller au-delà de ce qu’ils considèrent comme une simple rivalité politique, se confinant dans un humanisme hypocrite, éloigné de tout contexte politique.

Interventionnisme et expéditions militaires

Le fait est que la crise des réfugiés en Amérique centrale est semblable à la pléthore de crises de réfugiés au Moyen-Orient et en Asie centrale de ces dernières années. Les migrations massives sont presque toujours le résultat direct de l’ingérence politique et des interventions militaires.

De l’Afghanistan à l’Irak en passant par la Libye et la Syrie, des millions de réfugiés ont été forcés – par des circonstances indépendantes de leur volonté – de partir en quête de sécurité dans un autre pays.

Des millions d’Irakiens et de Syriens se sont retrouvés au Liban, en Jordanie et en Turquie, tandis qu’un nombre bien plus réduit à réussi à atteindre l’Europe, tous cherchant à échapper à de terribles situations de guerres.

Les politiciens opportunistes et “populistes” en Europe ne sont pas différents de leurs homologues américains. Tandis que les premiers se sont emparés de la tragédie des réfugiés pour semer les graines de la peur et leur propagande haineuse, les Américains ont de leur côté accusé les réfugiés d’être responsables de leur propre misère.

Accuser la victime n’est pas une nouveauté.

Les Irakiens ont déjà été accusés de ne pas apprécier à sa juste valeur la démocratie occidentale, les Libyens pour leur État défaillant, les Syriens d’avoir choisi le mauvais bord dans la guerre civile qui dure, etc.

Pourtant, les conflits en cours en Irak, en Libye et en Syrie sont tous, à des degrés divers, le résultat d’interventions militaires, une vérité qui ne semble pas être assimilée par les esprits nombrilistes des intellectuels libéraux et de droite.

La triste ironie est que ces malheureux réfugiés, qu’ils fuient vers l’Europe ou vers les États-Unis, soient perçus comme des agresseurs, des envahisseurs, par opposition aux États-Unis et à leurs alliés qui avaient envahi leurs pays, jadis plus stables et souverains.

Trump a souvent qualifié la caravane de migrants centro-américains d’ “invasion”. Fox News a repris à son compte cette affirmation et a envisagé la possibilité de faire tirer à vue sur les réfugiés au moment de leur arrivée.

Si Fox News n’avait même pas la décence de traiter les réfugiés comme des êtres humains dignes d’empathie et de respect, CNN n’avait pas le courage d’élargir la discussion au-delà du vocabulaire écœurant et de la politique inhumaine de Trump.

Élargir les paramètres de la discussion reviendrait à exposer une politique qui n’a pas été initiée par Trump, mais par Bill Clinton puis appliquée scrupuleusement par George W. Bush et Barack Obama.

Les Démocrates aussi bien que les Républicains sont – indépendamment de leurs postures médiatiques – responsables de la crise actuelle des réfugiés.

En 1996, le président démocrate Clinton a déclenché une guerre contre les réfugiés en faisant voter deux lois coup sur coup : la loi sur la Réforme de l’Immigration Clandestine et la Responsabilité des Immigrés, et la loi sur la Lutte contre le Terrorisme et le Recours à la Peine de Mort.

Déportations en masse

Des millions de personnes – qui avaient fui les guerres et les coups d’État militaires encouragés ou provoqués par les États-Unis – ont été renvoyées vers l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Deux millions de personnes ont été déportées sous les périodes de présidence de Bush, tandis que 2,5 millions l’ont été sous Obama.

Une situation déjà terrible a été exacerbée. La violence et la volonté d’y échapper n’ont fait qu’augmenter.

Pour rallier son électorat en colère et radicalisé, Trump a agité une fois de plus la carte des migrants, menaçant de construire un “grand mur” et de supprimer les “échappatoires” dans la loi américaine sur l’immigration.

À l’instar de ses prédécesseurs, il a présenté peu de moyens pour remédier à une réalité injuste , résultat direct de la politique étrangère destructrice des États-Unis qui dure depuis des décennies.

Mais les réfugiés ont continué d’arriver, principalement du “triangle nord” de l’Amérique centrale. Sans que l’on prenne en compte le véritable contexte politique, ils ont également été dûment critiqués pour leur situation difficile.

Considérant le peu de qualité de Fox News et de CNN, ce n’est pas surprenant. Peu d’Américains connaissent l’histoire sordide de leur pays dans cette région, à commencer par le coup d’État organisé par la CIA au Guatemala en 1954, ou par le soutien américain au coup d’État contre le président démocratiquement élu du Honduras, Manuel Zelaya, en 2009, ou de tout ce qui s’est passé entre ces deux dates.

Les relations malsaines entre les États-Unis et leurs voisins du Sud remontent à 1904, lorsque le président Theodore Roosevelt a stipulé le “droit” de son pays d’exercer un “pouvoir international de police” en Amérique latine. Depuis lors, toute la région est devenue l’affaire de Washington.

L’accord de libre-échange (CAFTA-DR) signé entre les pays d’Amérique centrale et les États-Unis, a produit sa part des dégâts. Il “a restructuré l’économie de la région et garanti sa dépendance économique vis-à-vis des États-Unis grâce à des déséquilibres commerciaux importants et à l’afflux de produits agricoles et industriels américains qui ont affaibli les industries nationales”, a écrit Mark Tseng-Putterman dans Medium.

Reconnaître tout cela n’est pas sans danger. Si les grands médias américains acceptaient de reconnaître le rôle destructeur de leur pays en Amérique centrale et en Amérique du Sud, ils seraient alors forcés d’abandonner leur posture de victime (la droite) ou de sauveur (la gauche) qui les ont si bien servis.

Les mêmes travers étouffants, politiques et intellectuels, s’observent en Europe.

Mais ce déni de responsabilité morale ne fera qu’aggraver le problème et ne le résoudra pas. Tout le racisme déployé par la droite et toutes les larmes de crocodile de la gauche ne rectifieront en rien cet angle de vue profondément biaisé.

C’est aussi vrai en Amérique centrale qu’au Moyen-Orient.

Ramzy Baroud * Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.

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5 décembre 2018 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah