Par Mariam Barghouti
Les Palestiniens ont répliqué au massacre commis par Israël à Jénine par des manifestations et une résistance dans toute la Cisjordanie, et notamment par une attaque contre une colonie de Jérusalem-Est où au moins sept Israéliens ont été tués.
Le jeudi 26 janvier, les forces israéliennes d’occupation ont envahi le camp de réfugiés de Jénine et ont assassiné neuf Palestiniens dans ce que les habitants du camp ont appelé « un massacre ». Plus tard dans la journée, Yousef Abedalkarim Muhsein, 22 ans, est devenu le dixième Palestinien tué lorsqu’il a été abattu par les forces israéliennes à Al-Ram, près de Ramallah.
Vendredi, les Palestiniens ont réagi.
Tout au long de la journée de vendredi, les Palestiniens de toute la Palestine historique [Palestine de 48] ont manifesté. Ces confrontations ont été motivées par le massacre de Jénine en particulier, et par les provocations habituelles des colons, des services de renseignement et des forces armées israéliens engagés dans l’annexion illégale du peu qui reste de la Cisjordanie.
La journée a culminé avec cinq opérations de tirs armés menées à travers la Cisjordanie vendredi soir, dont une dans la colonie israélienne de Neve Yaakov à Jérusalem-Est occupée, qui a entraîné la mort d’au moins sept colons israéliens.
Résistance par la prière
À l’aube de ce vendredi, le jour le plus sacré de la semaine pour les fidèles musulmans, des dizaines de milliers de Palestiniens à Jérusalem et des centaines à Hébron ont faits leurs prières de l’aube respectivement à la mosquée Al-Aqsa et à la mosquée Ibrahimi.
« Il y a un grand danger », déclare à Mondoweiss Jalal Abu-Khater, un écrivain de Jérusalem. « Nous avons l’impression qu’Al-Aqsa est prise d’assaut et ce n’est pas dans notre imagination », souligne-t-il. « C’est très réel, et nous sommes en train de perdre notre dernier lieu de souveraineté à Jérusalem ».
L’acte de prière collective dans ces lieux précis est devenu un acte de résistance et de défiance au milieu des invasions continues de colons et de la violence policière dont on est témoin dans le complexe d’Al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem, et des attaques de colons-militaires dans la vieille ville d’Hébron où plus de 800 colons vivent protégés par les forces d’occupation.
À Jérusalem, les Palestiniens se sont levés avec des slogans de soutien à Jénine et à la résistance de Gaza, face à la répression et au ciblage continus des Palestiniens.
« Le fait d’être fréquemment présents dans ce lieu nous permet d’y rester attachés », a expliqué Abu Khater. « C’est un lieu commun pour de nombreuses personnes dans le monde, mais c’est un espace personnel pour nous à Jérusalem ».
En effet, le 3 janvier de cette année, le ministre de l’Intérieur – le fasciste Itamar Ben-Gvir – est entré dans l’enceinte d’Al-Aqsa dans une tentative de provocation qui rappelle l’entrée de l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon dans l’enceinte en septembre 2000. L’entrée de Sharon avait déclenché le deuxième soulèvement palestinien, ou Deuxième Intifada.
Aujourd’hui, Nafeesa Khuwais, une palestinienne âgée et connue dans la vieille ville comme une gardienne d’Al-Aqsa, a été arrêtée et escortée vers la sortie par un groupe de policiers des frontières armés.
En arabe, les civils qui restent dans l’enceinte d’Al-Aqsa afin de la protéger et de maintenir la présence palestinienne dans le lieu de culte sacré sont connus sous le nom de Murabiteen, ce qui signifie les « gardiens » qui stationnent contre les agressions.
Dans un effort similaire, les Palestiniens d’Hébron se voient souvent refuser l’entrée de la mosquée Ibrahimi.
Cette politique a été mise en place après le massacre de 1994 perpétré par le colon israélo-américain Baruch Goldstein qui, avec le soutien de l’armée israélienne, est entré dans la mosquée lors des prières de l’aube et a ouvert le feu sur les fidèles, tuant 29 Palestiniens.
Goldstein est toujours célébré comme un héros par les colons d’Hébron lors d’une cérémonie annuelle.
L’année dernière a été une année record pour la violence des colons et le déplacement forcé des Palestiniens. À l’aube de vendredi, cependant, les rues de la vieille ville d’Hébron étaient pleines de Palestiniens qui ont partagé de la nourriture et du pain, redonnant vie aux rues qui, autrefois animées, sont devenues aujourd’hui une ville fantôme.
« Aller prier là-bas est un acte politique en soi, et c’est pourquoi c’est important », a expliqué Abu Khater.
Manifestations à travers la Palestine
La matinée et l’après-midi de vendredi ont été marquées par des manifestations et des confrontations contre la violence israélienne et l’expansion ininterrompue des colons.
En Cisjordanie, le cortège funéraire de Yousef Abedalkarim Muhsein a quitté l’enceinte de l’hôpital de Ramallah vendredi matin, en direction de sa ville d’Al-Ram où il a été enterré.
Les vidéos du dernier adieu à Muhsein montrent ses amis et les membres de sa communauté se jetant sur son corps alors qu’ils se préparent à l’enterrer.
Des affrontements ont eu lieu à Al-Ram après les funérailles, des jeunes jetant des pierres sur les forces israéliennes qui ont lancé des gaz lacrymogènes, des balles réelles et des grenades paralysantes sur les manifestants.
Les soldats israéliens ont également empêché les journalistes de couvrir les manifestations et le cortège funéraire de Muhsein.
D’autres manifestations ont eu lieu près de sites militaires, de colonies et de postes de contrôle dans les villages et villes autour de Jéricho, Naplouse, Qalqilya, Ramallah, Hébron et Jérusalem, où les forces armées israéliennes d’occupation ont répondu par la force.
« De Kufr Nima à Jénine, nous sommes un peuple uni qui ne meurt pas », les chants ont résonné dans le petit village de Kufr Nima, à 13 km au nord-ouest de Ramallah. Dans toutes les manifestations, divers drapeaux d’organisations étaient portés, signalant les progrès continus vers l’unification de la résistance à travers le pays.
Vendredi soir, des citoyens palestiniens d’Israël [Palestine de 48] à Umm el-Fahem et à Haïfa ont également organisé des protestations contre le massacre de Jénine. « Elevez votre voix », ont scandé les manifestants à Haïfa, « élevez, élevez encore, le son des chants », ont-ils poursuivi alors que la police israélienne tentait de disperser le groupe.
Deux Palestiniens ont été arrêtés à Umm el-Fahem et au moins trois à Haïfa, selon les sources locales d’information.
Les Palestiniens de la bande de Gaza ont également dénoncé le massacre de Jénine et se sont joints aux protestations qui ont éclaté tard dans la soirée de jeudi.
Des dizaines de Palestiniens ont protesté près de la clôture israélienne imposée près de la ville de Khan Younis, au sud de la bande de Gaza, tandis que des centaines de Palestiniens du camp de réfugiés d’Al-Bureij, dans le centre du territoire assiégé, se sont également joints aux protestations et ont brûlé des pneus.
Réponses officielles
« La coordination de la sécurité avec le gouvernement d’occupation n’est plus à l’ordre du jour », a déclaré le porte-parole du bureau présidentiel de l’Autorité palestinienne, Nabil Abu Rdeineh, dans un communiqué faisant suite au raid israélien de jeudi à Jénine.
L’Autorité palestinienne (AP) a toujours menacé de couper les liens de sécurité avec Israël, mais a continué à arrêter des Palestiniens au nom d’Israël, comme en témoignent la répression massive de l’année dernière contre le Repaire aux Lions, le groupe de résistance armée opérant depuis la vieille ville de Naplouse, ainsi que l’intensification des arrestations de dizaines de jeunes politiquement actifs en Cisjordanie.
Lors d’une réunion d’urgence, l’Autorité palestinienne a demandé que la Cour pénale internationale intervienne en ajoutant le massacre le plus récent de Jénine au dossier criminel des violations israéliennes des droits de l’homme. En outre, l’AP a demandé une intervention immédiate du Conseil de sécurité de l’ONU, en vertu de sa septième charte, en cas d’actes d’agression.
Au nom du bureau présidentiel, Abu Rdeineh a également appelé tous les mouvements nationaux à se réunir pour convenir d’une stratégie nationale collective pour faire face à l’agression israélienne.
Alors que l’Autorité palestinienne a dénoncé le massacre de Jénine à l’issue d’une réunion d’urgence, les organisations palestiniennes de Gaza ont répondu au massacre en tirant des roquettes vers Ashkelon, selon les médias locaux.
L’attaque a été menée par le Jihad islamique palestinien (PIJ), qui est également lié aux groupes de résistance armée opérant depuis le camp de réfugiés de Jénine.
Entre 1h00 et 4h00 du matin vendredi, les avions de guerre israéliens ont commencé à bombarder plusieurs sites affiliés aux factions palestiniennes dans le camp de réfugiés d’Al-Maghazi, situé dans le centre de Gaza, ainsi qu’à Beit Hanoun, situé au nord de Gaza. Aucune victime n’a été signalée.
« La résistance à Gaza fait son devoir et défend notre peuple à Gaza », a déclaré Hazem Qassem, le porte-parole du Hamas, dans un communiqué. La branche armée du Hamas, les Brigades Al-Qassam, avait souligné que les avions de guerre israéliens seraient confrontés à une défense anti-aérienne et sol-air.
D’autres factions palestiniennes ont annoncé leur soutien à une réponse palestinienne armée au massacre de Jénine. Le groupe politique marxiste, le Front palestinien de libération de la Palestine (FPLP) a également dénoncé le massacre contre les Palestiniens à Jénine et a déclaré que les organisations palestiniennes à Gaza ont le droit de répliquer en conséquence.
« Les semaines à venir verront davantage d’attaques israéliennes contre notre peuple en raison des pratiques et des lois du gouvernement fasciste israélien qui visent les Palestiniens dans toute la Palestine ainsi que les prisonniers palestiniens », a déclaré vendredi le porte-parole du FPLP, Jamel Mezher.
Mezher a également prédit que les mois de mars et avril verront probablement une augmentation des actions provocatrices israéliennes en raison du calendrier des fêtes juives, car les fêtes coïncident souvent avec une augmentation des attaques contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem.
Alors que les manifestations étaient réprimées par la police et l’armée israéliennes vendredi soir, des activités de résistance armée palestinienne ont éclaté à travers la Cisjordanie et Jérusalem occupée.
La montée en force de la résistance armée
Vers 20h15, une fusillade s’est produite dans la colonie israélienne de Neve Ya’akov, au sud d’Al-Ram, près de Jérusalem-Est. La fusillade a entraîné la mort d’au moins sept colons israéliens et en a blessé au moins trois, selon les rapports de la police israélienne.
S’enfuyant vers Beit Hanina, l’une des dernières villes palestiniennes de Jérusalem-Est, le Palestinien qui a tiré a été suivi par la police israélienne et tué lors d’une fusillade. Selon des sources locales, l’attaquant avait utilisé une arme de poing pour mener son attaque armée.
L’homme a ensuite été identifié par la police israélienne comme étant Alkam Khairi, 21 ans, du camp de réfugiés de Shufaat, au nord de Jérusalem.
Le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le Premier ministre Benjamin Netanyahu ont tous deux fait des déclarations sur les lieux de l’attaque.
Ben-Gvir s’est engagé à « armer de plus en plus de citoyens », tandis que Netanyahu a qualifié l’attaque de « l’une des pires que nous ayons connues ces dernières années ».
Le cabinet du gouvernement Netanyahou se réunira demain pour discuter d’une réaction.
Entre 18h00 et 21h00 vendredi, un total de cinq opérations de résistance armée ont été menées sur diverses cibles militaires en Cisjordanie.
Des Palestiniens armés ont visé le poste de contrôle militaire de Beit Furik à l’est de Naplouse, le camp de détention militaire d’Ofer à l’ouest de Ramallah, la tour militaire de Beit Ummar près de la colonie illégale de Karmei Tzur au nord-ouest d’Hébron, tandis que le poste de contrôle de Jalameh au nord-est de Jénine a été visé par un engin explosif artisanal, selon des sources locales.
En outre, de jeunes Palestiniens ont lancé des cocktails Molotov sur des tours militaires israéliennes situées près du camp de réfugiés d’Al-Arroub à Hébron, tandis que des combattants de la résistance ont tiré sur des avions militaires israéliens survolant Qabatiya et Jaba’ au sud de Jénine.
Après l’opération à Jérusalem, les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem sont descendus dans la rue pour célébrer l’évènement.
Cette journée de protestation et de représailles faisait suite au massacre de Jénine, qui a porté à 32 le nombre de Palestiniens tués au cours des trois premières semaines de 2023.
En raison notamment de l’assaut militaire israélien en Cisjordanie lancé au printemps de l’année dernière, baptisé opération « Break the Wave », 2022 a été l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis que l’ONU a commencé à documenter les meurtres en 2005.
Au cours des deux dernières années, 557 Palestiniens ont été assassinés par des colons ou des forces israéliennes d’occupation.
Auteur : Mariam Barghouti
* Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l'International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Mariam Barghouti est également correspondante en Palestine du site d'informations et d'analyses Mondoweiss. Son compte Twitter.
27 janvier 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine