Par Jonathan Cook
Le nouveau Premier ministre britannique abuse de son autorité en élargissant le champ d’application de lois déjà draconiennes pour requalifier ses détracteurs en « soutiens » du terrorisme.
L’arrestation hier de Sarah Wilkinson, militante de la solidarité avec la Palestine, après celle du journaliste Richard Medhurst la semaine dernière – toutes deux fondées sur une improbable allégation de violation de l’article 12 de la loi sur le terrorisme – est la meilleure preuve que les purges autoritaires de Keir Starmer à l’encontre de la gauche travailliste ont pour but de museler les voix critiques à l’échelle nationale.
Désormais bien installé dans le bureau du ministre, Starmer peut écraser les droits fondamentaux des citoyens britanniques avec autant de plaisir qu’il a écrasé les vestiges de la démocratie au sein du parti travailliste, et ce pour les mêmes raisons.
Le Premier ministre britannique, déterminé à terroriser, pour les réduire au silence, les personnes qui critiquent sa complicité avec Israël et son génocide à Gaza, s’en prend maintenant à des membres de son gouvernement.
M. Starmer a préféré élargir considérablement le champ d’application de lois « antiterroristes » déjà draconiennes, plutôt que de s’opposer aux États-Unis, en mettant fin aux ventes d’armes à un gouvernement israélien fasciste dirigé par Benjamin Netanyahu ou en se joignant à la plainte déposée par l’Afrique du Sud contre Israël auprès de la Cour internationale de justice.
Là, les juges ont déjà statué que le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens au cours des 11 derniers mois constituait un « génocide plausible ». La prochaine étape consistera, pour l’Afrique du Sud et les nombreux États qui la soutiennent, à prouver à la Cour internationale que le génocide ne fait aucun doute.
Les buveurs de sang habituels du lobby israélien, comme David Collier, ont salivé à l’idée de l’arrestation de Wilkinson. Elle risque jusqu’à 14 ans de prison pour avoir prétendument « soutenu » une organisation interdite, à savoir le Hamas. Selon certaines informations, on lui aurait dit qu’elle était arrêtée en raison du « contenu qu’elle a publié en ligne ». La police a saisi tous ses appareils électroniques.
Selon sa fille, elle a été libérée sous caution à condition de ne « jamais » utiliser ces appareils. Soyons clairs : la police n’utilise la loi sur le terrorisme de cette manière que parce qu’elle a reçu des instructions politiques. L’arrestation de Wilkinson n’est possible que parce que la police et Starmer, soi-disant avocat des droits de l’homme, ont détourné la qualification de « soutien au terrorisme ».
Il s’agit d’une répression politique des plus évidentes.
Traditionnellement, qualifier le « soutien » à un groupe terroriste de crime avait pour but de donner aux autorités le pouvoir de punir toute personne qui offrait une assistance matérielle à la commission d’un attentat, comme l’envoi d’argent ou d’armes, la dissimulation de combattants armés, la fourniture d’informations cruciales, etc.
Même pour ce qui concerne les paroles, les lois pénales classiques exigent généralement des preuves que quelqu’un a incité de manière crédible à la violence directe ou mis la vie d’autres personnes en danger, comme en témoignent les charges retenues contre les personnes impliquées dans les récentes émeutes d’extrême droite qui comprenaient des tentatives de pogroms contre les musulmans et les immigrés.
Cela est tout à fait différent de la manière dont est aujourd’hui criminalisée, sous l’appellation de « soutien au terrorisme », toute affirmation positive au sujet d’une action menée par une organisation interdite – d’autant plus que le Hamas n’a pas seulement une aile militaire, mais aussi une section politique et un service d’aide sociale.
La nécessité d’opérer des distinctions prudentes devrait être évidente. Faire l’éloge des dirigeants du Hamas, même de ses chefs militaires, pour avoir accepté de participer à des pourparlers de paix équivaudrait-il à « soutenir » une organisation terroriste ? Cela devrait-il conduire à une arrestation et à une peine de prison ?
Il n’a jamais été illégal de « soutenir » le Sinn Fein – l’aile politique de l’IRA -, c’est-à-dire d’avoir des propos élogieux à l’égard de son dirigeant de longue date, Gerry Adams, ou de soutenir ses positions politiques.
Il n’était même pas illégal de « soutenir » les « terroristes » de l’IRA. Au début des années 1980, de nombreuses personnes ont critiqué les autorités d’Ulster et le gouvernement britannique de Margaret Thatcher pour leur traitement barbare des prisonniers de l’IRA. Le fait de « soutenir » la grève de la faim de Bobby Sands, membre de l’IRA, qui a conduit à sa mort dans la prison de Maze, n’était pas un délit passible d’arrestation, par exemple.
Le Jewish News expose les motifs apparents de la descente d’une douzaine de policiers au domicile de Mme Wilkinson et de la décision de l’arrêter et d’ouvrir une enquête sur des accusations de terrorisme. Ces motifs, s’ils sont exacts, devraient nous faire froid dans le dos. C’était sans doute l’intention de Starmer.
1. Le Jewish News expose les motifs apparents de la descente d’une douzaine de policiers au domicile de Wilkinson et de la décision de l’arrêter et d’enquêter sur elle pour terrorisme. Ces motifs, s’ils sont exacts, devraient nous faire froid dans le dos. C’était sans doute le but de Starmer.
Selon le Jewish News, Wilkinson a enfreint l’article 12 en décrivant l’assaut aérien du Hamas en Israël le 7 octobre comme une « infiltration incroyable ». Ce qui était clairement le cas. Quel que soit le critère utilisé, il s’agit bien d’une infiltration. Et mon dictionnaire donne comme l’une des principales définitions du mot « incroyable » : « difficile à croire », ou « extraordinaire » dans le sens de « très loin de l’ordinaire ».
Voir le Hamas utiliser des deltaplanes pour franchir l’une des structures militaires les plus sophistiquées jamais construites pour emprisonner des millions de personnes est la définition même d’« incroyable ». Il est en effet difficile de croire que le Hamas a réussi techniquement à faire ce qu’il a fait ce jour-là.
Même si la police ignorait le vrai sens du mot et supposait au contraire que l’on voulait dire « grand » ou « merveilleux » – pour décrire le Hamas sortant de la cage dans laquelle les habitants de Gaza ont été emprisonnés pendant des décennies et privés des nécessités de base pendant 17 ans – cela ne constituerait guère un crime, et encore moins un « soutien » au terrorisme.
Comme le prévoit le droit international, les peuples occupés, tels que les Palestiniens, ont le droit de résister à une armée qui occupe leur territoire, y compris en recourant à la violence. Il suffit de demander à Starmer s’il pense que le peuple ukrainien a ce droit.
De plus, comme le concède discrètement le Jewish News, Wilkinson a écrit son tweet le 7 octobre, c’est-à-dire le jour même où l’attaque du Hamas a eu lieu. Elle n’avait donc aucune idée, au moment où elle l’a écrit, que des civils étaient tués en grand nombre.
(L’ampleur des atrocités commises par le Hamas contre les civils le 7 octobre est bien plus contestée que les médias occidentaux ne veulent bien l’admettre. Il est rapidement apparu que le Hamas ne tuait pas de bébés, comme on le racontait, et qu’il ne les décapitait pas non plus. Aucune preuve substantielle n’a été apportée à date pour démontrer qu’il y a eu des viols ce jour-là, et encore moins que le recours au viol est une politique systématique, comme le prétendent Israël et ses soutiens. Certains civils israéliens, nous le savons maintenant, ont été tués par les propres forces de sécurité d’Israël au titre du protocole Hannibal. D’autres civils israéliens ont pu être pris pour cible par des groupes armés et des individus non alliés au Hamas qui se sont déversés de Gaza par les brèches créées dans la clôture électronique autour de l’enclave).
Mais même si nous supposons que Wilkinson savait que des civils avaient été tués ce jour-là, et en grand nombre, et que son utilisation du terme « incroyable » visait à indiquer qu’elle approuvait les massacres, le fait de noter l’exploit militaire extraordinaire qu’a constitué la sortie de Gaza ne devrait toujours pas constituer un crime.
Personne ne devrait être enfermé pour avoir été impressionné par la violence. Si nous voulions en faire une sorte de principe, nous devrions arrêter un grand nombre de Juifs sionistes et de non-Juifs en Grande-Bretagne qui ont tenu à exprimer leur enthousiasme pour les mois de massacres perpétrés par Israël à Gaza.
2. The Jewish News cite également les louanges de Wilkinson à l’égard d’Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, peu après son assassinat par Israël à Téhéran. Elle l’a qualifié de « héros ».
Pour situer le contexte, notons qu’avant son assassinat, Haniyeh était largement considéré comme un modéré, même au sein de l’aile politique du Hamas. Vivant en exil, il semble qu’il n’ait pas eu connaissance de l’attentat du 7 octobre. Il était également l’un des principaux acteurs des efforts visant à mettre fin à l’effusion de sang à Gaza et à instaurer un cessez-le-feu par le biais de négociations avec Israël.
En tuant Haniyeh, Netanyahu a voulu soutenir les partisans de la ligne dure au sein des ailes militaires et politiques du Hamas. Saboter les espoirs de cessez-le-feu, a permis au gouvernement israélien de poursuivre son génocide.
Il n’est pas plus déraisonnable de considérer Haniyeh comme un « héros » pour avoir mené une lutte politique visant à libérer la population de Gaza de ce que la Cour internationale a qualifié d’occupation illégale et de système d’apartheid israélien brutal que de considérer Gerry Adams, du Sinn Fein, comme un héros pour sa lutte politique visant à libérer la communauté catholique d’Irlande du Nord de la domination oppressive de la Grande-Bretagne et des loyalistes d’Ulster.
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On peut ne pas être d’accord avec la politique de Haniyeh ou d’Adams. On peut dénoncer toute personne qui soutient leurs positions. Mais on ne devrait certainement pas pouvoir enfermer leurs partisans – pas si nous voulons continuer à croire que nous vivons dans une société libre.
Adams a été député au parlement britannique pendant de nombreuses années, bien qu’il ait refusé d’occuper son siège à Westminster en signe de protestation. Personne n’a jamais sérieusement suggéré que ceux qui l’ont soutenu – en le qualifiant de héros ou en votant pour lui lors des élections – devraient être arrêtés et emprisonnés. Si quelqu’un l’avait fait, cela aurait été dénoncé comme un abus de pouvoir et une opération profondément antidémocratique.
3. Enfin, le Jewish News suggère que Wilkinson a publié en ligne, il y a environ huit ans, des messages historiques qui s’apparentent à un déni de l’Holocauste. Wilkinson conteste apparemment cette affirmation et affirme qu’il s’agit d’une campagne de diffamation.
Même en supposant le pire, – que Wilkinson aurait vraiment mis en doute l’Holocauste – cela ne devrait pas être du ressort de la police du « terrorisme ». Avoir des opinions irrationnelles, infondées ou immorales n’équivaut pas à « soutenir » le terrorisme. Absolument pas.
N’oublions pas non plus que, si les lois britanniques sur le terrorisme doivent vraiment être appliquées de manière aussi extensive, la première personne qui devrait être arrêtée pour « soutien » au terrorisme est Starmer lui-même. Il y a quelques mois, il a insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’Israël avait le droit de bloquer la nourriture, l’eau et l’électricité à 2,3 millions de personnes à Gaza, une politique qu’Israël a effectivement poursuivie et qui a entraîné une famine volontairement provoquée et la mort de nombreux Palestiniens. Le procureur de la Cour pénale internationale demande l’arrestation de Netanyahu pour cette politique de famine qui constitue un crime contre l’humanité.
Starmer, l’avocat des droits de l’homme, savait qu’affamer Gaza relevait du terrorisme – ou de la punition collective, comme on l’appelle en droit international. Et pourtant, il a soutenu sans réserve cet acte terroriste. Et ses paroles ont eu beaucoup plus de pouvoir pour influencer les événements que celles de Wilkinson auraient jamais pu en avoir.
En tant que chef de l’opposition, il était en mesure d’exercer une réelle pression sur Israël pour qu’il mette fin à sa politique de famine en soulignant qu’il s’agissait d’un acte de terrorisme d’État. En tant que premier ministre, il est en mesure de faire avancer l’arrestation des dirigeants israéliens pour leurs actes terroristes en vertu du principe de la compétence universelle. Il peut également cesser d’armer le génocide.
Si le système de droit international fonctionnait normalement, Starmer risquerait sans aucun doute de se retrouver dans le box des accusés de La Haye, accusé de complicité de crimes de guerre.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à la réalité terrifiante et orwellienne d’un Premier ministre complice de génocide, qui peut adapter les lois britanniques de « lutte contre le terrorisme » pour emprisonner tous ceux qui s’opposent au génocide israélien et qui dénoncent sa propre complicité, en les accusant de « soutien » au terrorisme.
Starmer veut être juge, jury et bourreau. Nous ne devons pas le laisser faire.
Auteur : Jonathan Cook
30 août 2024 jonathan-cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet